Dans le contexte de crises multiples (politique, sociale et économique) qui secouent le Liban, l’équipe nationale de basket-ball peut se targuer d’avoir accompli une rare réussite : en février dernier, à Dubaï (Émirats arabes unis), elle a battu en finale la Tunisie, remportant le championnat des nations arabes organisé sous la supervision de la Fédération internationale de basket-ball (FIBA).
Habituellement, l’un des ingrédients secrets d’un tel succès dans le sport libanais est la naturalisation d’un joueur étranger, les règlements de la FIBA autorisant qu’un joueur d’une sélection nationale soit un citoyen naturalisé. Le Liban détient une longue histoire de recrutement de joueurs américains dans sa sélection, comme Joe Vogel et feu Jackson Vroman, qui se sont vu accorder la citoyenneté libanaise.
Cette fois-ci, Youssef Khayat, star de l’équipe libanaise de basket, déroge à ce système : tout juste âgé de 19 ans (né le 11 mars 2003) et mesurant 2 mètres – ce qui le rend à la fois plus jeune et plus grand que la plupart de ses coéquipiers –, il est un talent local. Il est né et a grandi à Beyrouth, mais vit en France depuis quatre ans après avoir été recruté par l’équipe française du Limoges CSP.
Youssef Khayat traverse le terrain, vole le ballon à ses adversaires pour le dunker. Sa signature est le floater, un tir qui ressemble à un layup. Il a commencé à jouer au basket à l’âge de 5 ans. À l’époque, il n’avait pas de bons résultats en cours d’éducation physique ; sa mère, May Darwich Khayat, l’avait alors inscrit dans une académie de basket pour essayer d’améliorer ses notes. Elle explique à L’Orient Today qu’après avoir appris de l’école que ses capacités de coordination en éducation physique n’étaient pas les meilleures, elle a décidé de l’inscrire à une activité extrascolaire. « Nous sommes une famille de footballeurs, alors j’ai décidé de l’inscrire à cette activité », dit-elle. Mais comme il n’y avait pas de cours ouverts dans sa catégorie d’âge, elle se rabat sur le basket-ball. De son côté, Youssef assure que les encouragements de son père l’ont motivé à rester et à exceller dans ce sport.
Le jeune homme passe d’une académie à un club. Et, comme il était toujours en avance sur ses camarades, il était régulièrement placé au-dessus de son groupe d’âge lors des entraînements. À 13 ans, il a fait de son passe-temps une carrière et passe un essai pour intégrer l’équipe nationale des moins de 16 ans. Il était nerveux. « Tous les autres étaient plus âgés », se souvient Khayat, mais son père l’encourage à le faire en lui disant : « Tu n’as rien à perdre. » Et le voilà intégré à la sélection. Mais pour Youssef, il y avait un inconvénient : alors que tous ses camarades d’école sortaient le week-end, lui s’entraînait sur le terrain. Cependant, ce travail acharné a porté ses fruits. À 14 ans, Youssef Khayat a pu représenter le Liban à Téhéran pour le championnat WABA U16 en 2017 et, une semaine plus tard, il a pris part au championnat asiatique FIBA U18 à Bangkok.
À cette époque, son entraîneur a dit à sa mère qu’il était très bon dans le jeu et lui a recommandé un entraînement à l’étranger, car il avait un brillant avenir devant lui. Mais sa mère n’était pas disposée à le laisser partir avant qu’il n’ait obtenu son brevet (classe de 3e). Son déménagement a donc été reporté à l’année scolaire suivante. Ses parents ont envisagé au départ les États-Unis, pays du basket-ball par excellence et de la NBA, mais ont finalement opté pour la France, notamment parce que Youssef Khayat avait étudié dans des écoles francophones au Liban et que la transition serait donc plus aisée. La France est aussi connue pour ses centres d’entraînement, qui appartiennent aux clubs de basket et recrutent souvent des adolescents comme Khayat. On lui a proposé un poste dans deux clubs différents. Ses parents voulaient qu’il choisisse Limoges parce que c’est une région rurale, et c’est ce qu’il a fait.
Sa mère a déménagé avec lui, louant un appartement près de son école. Sa sœur, Sima Darwich, qui possède la nationalité française, s’occupe également de Youssef pendant son séjour dans l’Hexagone. En France, c’était « totalement différent » du Liban, se souvient Khayat. Tout était fait sur mesure pour lui : son entraînement, son régime alimentaire et même son éducation. Alors qu’au Liban il devait intégrer le sport au reste de sa vie et que les installations sportives étaient souvent médiocres, il disposait dans l’Hexagone de toutes les ressources possibles. Entre autres, une équipe de quatre entraîneurs – un de basket-ball, deux adjoints et un de gymnastique – ainsi qu’un kinésithérapeute qui lui étaient consacrés. Il avait également à sa disposition un nutritionniste qui lui préparait ses plans de repas, fournis eux aussi.
Avant d’obtenir son baccalauréat l’année dernière, ses cours ont été organisés de manière à ce qu’ils n’interfèrent pas avec son entraînement. L’école dans laquelle Youssef s’est inscrit a l’habitude d’accueillir les athlètes, pas seulement les basketteurs, mais aussi les nageurs professionnels. Un bus venait le chercher pendant les périodes libres, l’emmenait à l’entraînement et le ramenait ensuite à l’école. Au Liban, relate Khayat, il n’y avait pas de gymnase rattaché au terrain de basket où il s’entraînait : « Il fallait s’inscrire dans un autre gymnase et prendre un préparateur physique, ce qui coûte plus cher. » S’il était resté au Liban, Youssef Khayat pense qu’il n’aurait probablement pas atteint les sommets de sa carrière aujourd’hui, surtout avec la crise financière actuelle. En tant que jeune joueur, dit-il, « vous avez besoin de quelqu’un qui vous suive constamment. Au Liban, vous vous entraînez deux fois par semaine. En France, vous vous entraînez quatre fois par jour ».
Selon Danyel Reiche, expert en politique sportive au Moyen-Orient et professeur associé invité à l’Université Georgetown-Qatar, les installations sportives disponibles dans les pays respectifs font une énorme différence dans la carrière sportive des joueurs. « La France dispose d’une infrastructure sportive bien plus développée, et elle est l’un des principaux pays sportifs du monde, obtenant notamment de bons résultats dans les sports de balle, déclare-t-il. Il est rationnel d’y aller en tant que jeune athlète si on en a l’opportunité. »
Ascension vers les grandes ligues
Toutefois, le départ de Youssef Khayat du Liban n’a pas été définitif. L’année dernière, il a reçu un appel téléphonique de l’entraîneur de l’équipe nationale, Joe Moujaes, lui demandant de jouer avec la sélection. Rejoindre l’équipe libanaise pour son premier match contre l’Indonésie signifiait prendre un congé de trois semaines du club et du collège français, mais il ne pouvait pas laisser passer une telle opportunité. « J’étais ravi d’aller m’entraîner avec l’équipe, a déclaré Khayat. J’ai rencontré des joueurs que j’admire. Cela a toujours été un rêve pour moi de jouer pour le Liban. »
À seulement 18 ans, il était l’un des plus jeunes joueurs de l’équipe nationale de basket-ball. Cependant, comme la plupart de ses coéquipiers avaient entre 20 et 30 ans, il a ressenti une pression supplémentaire pour faire ses preuves. Il a fait ses débuts avec la sélection en novembre 2021 contre l’Indonésie, au complexe sportif Nohad Naufal de Zouk Mikael. Quand il a vu ses parents dans les tribunes, il a assuré que son anxiété s’était envolée, et quand il a marqué son premier panier, il a senti que la pression avait disparu de ses épaules.
Au cours des trois prochaines années, Youssef Khayat prévoit de dominer la Ligue U21 (des moins de 21 ans) et de se concentrer sur son ascension vers les grandes ligues. Il espère même être drafté en NBA, convaincu qu’il y parviendra s’il continue de jouer à son niveau actuel. Quant à l’année prochaine, il a reçu de nombreuses offres d’universités américaines et de clubs français, mais il a encore jusqu’à la fin de la saison pour se décider. Les deux, dit-il, sont « de très bonnes options ». Pour l’instant, il va continuer à jouer avec le club français de Limoges et la sélection libanaise. Il n’est pas le seul joueur de Limoges qui joue également sur une scène nationale. Un grand nombre de ses coéquipiers jouent pour leurs pays d’origine respectifs au niveau international.
Pour Danyel Reiche, c’est une indication de la « citoyenneté stratégique ». « Si les joueurs peuvent choisir entre plusieurs pays parce qu’ils ont grandi dans l’un et vécu dans l’autre, comme lui, semble-t-il, alors ils parviennent à intégrer l’équipe nationale », affirme-t-il. Youssef Khayat ne possède pour le moment que la nationalité libanaise et l’a utilisée pour jouer dans la sélection du pays du Cèdre. Généralement, les équipes libanaises, en particulier aux Jeux olympiques, sont composées de joueurs de la diaspora qui ne se sont pas qualifiés pour les équipes de leur pays de résidence. Ils utilisent donc leur nationalité libanaise de manière stratégique pour avoir au moins la chance de participer à un événement sportif majeur. Selon M. Reiche, c’était le cas de l’équipe libanaise de dix personnes aux Jeux olympiques 2012 de Londres, dont trois avaient la double nationalité.
Youssef Khayat rêve maintenant d’un éventuel départ pour les États-Unis. Enfant, hormis le joueur libanais Fadi Khatib, ses joueurs de basket préférés étaient les titans de la NBA, Blake Griffin et Chris Paul. Et son équipe préférée, celle des Los Angeles Clippers. « Tout joueur a l’ambition d’aller en NBA », déclare-t-il, mais il ajoute : « Je dois voir quelle est la meilleure option. Beaucoup de joueurs sont sélectionnés en Europe, donc les deux options sont bonnes. J’attendrai la fin de la saison pour voir. » Et malgré tous ses attraits, le déménagement potentiel aux États-Unis a un inconvénient : « Si je déménage aux États-Unis, je ne pourrai pas continuer à jouer pour le Liban à cause du calendrier, assure le jeune basketteur. Mais si je reste en Europe, ce n’est plus un problème. »
Un déménagement aux États-Unis l’emmènerait également très loin de sa famille, mais ses parents le soutiennent. « Tout ce qu’il a fait jusqu’à présent n’est qu’une introduction, affirme sa mère. Il a un long chemin à parcourir, mais il est important que nous l’encouragions à le faire... Il vient juste de commencer son voyage. Rien n’est acquis. »
(Cet article est initialement paru dans « L’Orient Today » en date du mardi 29 mars 2022).
Thanks for raising Lebanon's name. Our love of Basket Ball is afterall what makes us lebanese and what we still excel at.
13 h 41, le 31 mars 2022