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Culture - Photo

Et vous, comment percevez-vous Beyrouth ?

Dans son nouvel espace éponyme, la critique d’art, galeriste et curatrice Zalfa Halabi présente la photographe Salwa Eid qui revisite dans « Beirut Unpublished » les négatifs inédits de sa première exposition, « Inkblots ».

Et vous, comment percevez-vous Beyrouth ?

Les œuvres de la photographe Salwa Eid de la série Beirut Unpubliched exposées à la Zalfa Halabi Art Gallery. DR

Qui n’a pas, durant un séjour à l’étranger ou même suite à une résidence prolongée, prononcé cette phrase : « Je rentre chez moi », encore plus explicite en anglais, « I am going home » ? Christian Bobin disait : « On passe sa vie à rentrer chez soi. » « Qu’est-ce que le véritable chez-soi de chacun d’entre nous ? Est-ce la ville, est-ce la demeure familiale ou est-ce encore un groupe de personnes qui nous attendent ? » s’est demandé pour sa part l’artiste Salwa Eid, avant de se lancer dans ses deux projets photographiques « Inkblots » (2018) et « Beirut Unpublished » (2022).

« J’ai d’abord essayé d’y répondre en parcourant Beyrouth et en capturant ce qui restait de son patrimoine. Mais j’ai rapidement réalisé que ce qui faisait la ville, c’était ses habitants. Ils sont le chez-soi de chacun », déclarait Salwa Eid en 2018. De là va naître la volonté de sonder une nouvelle approche du processus de documentation photographique en tournant l’objectif vers l’intérieur. Dans un lieu qui a connu des événements tragiques au cours des quatre dernières années, entraînant un état constant de flux et de reflux, comment peut-on se reconstruire ? Dans une ville qui semble plus étrangère que jamais, comment ses habitants peuvent-ils encore lui donner assez de sens pour ne pas l’abandonner ? Dans son nouvel espace éponyme sis à Achrafieh, rue Chehadé, la galeriste Zalfa Halabi présente « Beirut Unpublished », le second volet de l’exposition Inkblots de Salwa Eid, avec une nouvelle perspective exclusive, le point de vue de la photographe. Les questions liées à la pratique photographique lors de la documentation des personnes et des lieux étaient au centre de Inkblots.

Pour l’artiste, le processus est aussi important que le résultat final de l’œuvre d’art. Elle expérimente ainsi des techniques de photographie anciennes et modernes, et donne souvent à ses sujets la possibilité de raconter des histoires qui résonnent avec ses propres convictions.

Les œuvres de la photographe Salwa Eid de la série « Beirut Unpublished » exposées à la Zalfa Halabi Art Gallery. DR

Regarder d’abord à l’intérieur de soi

Pour son exposition Inkblots présentée en 2018, Salwa Eid avait réuni autour d’elle dix modèles de son entourage proche (sa grand-mère, son ami d’enfance, la jeune fille qui travaille chez ses parents, ses voisins, etc.) et réalisé ses clichés en utilisant un procédé photographique qui se base sur la double exposition (une technique particulière où elle photographie avec une exposition maximale en fond). Chaque personnage a eu droit à 36 clichés. La séance photo terminée, la photographe enroule le film à nouveau sans le développer, le replace dans l’appareil et confie la caméra à la personne prise en photo qui, à son tour, va aller photographier ce que Beyrouth représente pour elle. Les clichés ainsi captés vont venir se superposer sur les profils de chacun des dix personnages choisis. Et la magie opère, celle qui permet de lire à l’intérieur du cerveau de chacun ce que Beyrouth représente pour lui. Un peu à la manière du test de Rorschach où l’objectif est d’en savoir plus sur la personnalité et permet de laisser apparaître l’organisation de la pensée, la manière dont on se perçoit soi-même, ainsi que les autres et le monde. Des 36 clichés pris, la photographe va en retenir deux pour Inkblots. Le reste est présenté actuellement dans

« Beirut Unpublished ». La mise en place a cela de particulier que chaque caractère possède une colonne de huit clichés en verticale avec une innovation : la ligne horizontale du milieu est placée sur la plateforme dynamique NFT (Non-Fongible Tokens, ou encore Nifties) où l’on peut créer et acheter des créateurs du monde entier. Les images ont ainsi un code, et celui qui l’acquiert peut le revendre à volonté. L’œuvre d’art peut être suivie afin de savoir à combien d’exemplaires elle a été vendue. L’artiste, lui, engrange des droits sur chaque vente. Pour Zalfa Halabi, ce procédé qui permet d’acquérir des œuvres d’art et de les revendre est le procédé du futur. Cette ligne horizontale représente, elle, les clichés dont l’artiste était prête à se défaire.

Les œuvres de la photographe Salwa Eid de la série Beirut Unpubliched exposées à la Zalfa Halabi Art Gallery. DR

Comment documenter une ville qu’on ne reconnaît plus

En 2022 pour « Beirut Unpublished », la photographe ajoute son autoportrait pour, à son tour, jouer le jeu de ce que représente Beyrouth dans sa mémoire. On peut ainsi retrouver les débris de verre suite à la double explosion du 4 août 2020, qui font partie de la mémoire collective libanaise. Quant aux dix personnages présentés, le visiteur pourra reconnaître des monuments architecturaux qui renvoient à l’identité intrinsèque de Beyrouth : les demeures libanaises, le rocher de Raouché, le bâtiment de Zaha Hadid, la tour Murr, ainsi que les cabines téléphoniques saccagées, le port de Beyrouth, les nuits festives de la capitale ou encore des pensées plus intimistes.

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« L’idée était pour Salwa Eid d’établir une nouvelle façon de documenter la mémoire de Beyrouth, estime la galeriste. À l’heure où le paysage est modifié à une allure vertigineuse, à l’heure du Covid, du «blast», de la crise économique, il est difficile de regarder à l’extérieur pour donner un sens à ce que Beyrouth représente pour chacun. À l’heure où la ville est devenue étrangère, ajoute Halabi, où elle ne nous ressemble plus, commençons par faire une introspection en ne retenant que ce qui nous entoure, nous touche et nous émeut encore. Il ne s’agit pas de romantiser Beyrouth mais de se questionner comment reconstruire notre identité dans une ville qui nous échappe. » Voilà comment la photographe, dans une narration très personnelle, a mis en place cet exercice et donné le pouvoir aux personnes photographiées pour laisser défiler leur propre monde et ainsi archiver la mémoire de Beyrouth. Afin de recréer un jour une autre mémoire, meilleure peut-être, dans cette ville qui vit, depuis un moment, un avant-goût de fin de monde.

« Beirut Unpublished », de Salwa Eid

Zalfa Halabi Art Gallery, rue Chehadé, immeuble Dakdouk, Achrafieh.

Salwa Eid, bio express

Née à Beyrouth en 1989, Salwa Eid obtient en 2013 son Bachelor of Arts (BA) en studio arts, sa maîtrise en beaux-arts (MFA), en critique d’art et écriture en 2016, et un diplôme en art management à l’ESA (Business School) à Beyrouth. Elle entame sa carrière photographique en autodidacte en 2015. Pour développer et parfaire davantage sa technique, elle suit des programmes à la fois à Dar el-Moussawer dans sa ville natale, et à l’étranger à la London School of Photography (UK) et à New York (International Centre of Photography).

Qui n’a pas, durant un séjour à l’étranger ou même suite à une résidence prolongée, prononcé cette phrase : « Je rentre chez moi », encore plus explicite en anglais, « I am going home » ? Christian Bobin disait : « On passe sa vie à rentrer chez soi. » « Qu’est-ce que le véritable chez-soi de chacun d’entre nous ? Est-ce la...

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