Le conflit interministériel et politique au sujet de la création de mégacentres pour les électeurs à la veille des législatives prévues le 15 mai arrive à point nommé. Il pourrait donner aux différentes parties politiques une bonne raison de reporter ces élections pour des « raisons techniques ».
Depuis que ce scrutin est devenu le premier sujet d’actualité au Liban, avec un forcing international pour qu’il se tienne à la date prévue, des rumeurs circulent sur la probabilité de son report. Il a ainsi été d’abord question d’un report à cause du vote des émigrés, le Courant patriotique libre estimant que les dispositions de la loi électorale votée en 2017, qui prévoyait la création de six nouveaux sièges pour les émigrés, devaient être appliquées. Dans le camp adverse, de nombreuses voix se sont élevées pour préciser qu’il est impossible de prendre les mesures nécessaires pour mettre en application cette disposition de la loi en un si court laps de temps. Le CPL avait même été accusé à ce moment-là de vouloir le report des élections et d’utiliser le vote des émigrés pour atteindre cet objectif. Finalement, cette question a été surmontée et l’idée du CPL a été abandonnée pour l’échéance de 2022.
Il y a eu ensuite la surprenante décision de Saad Hariri de suspendre ses activités politiques et celles du courant du Futur, et par conséquent de ne pas se présenter aux élections. Cette décision, qui rebat certainement les cartes électorales en privant la scène sunnite de son principal représentant, a aussi été interprétée comme un motif sérieux d’un report des élections, sous prétexte que la participation de la communauté sunnite pourrait être très basse, ce qui poserait un problème au niveau de la légitimité des élections dans un système basé sur le consensus et sur la représentation de toutes les communautés. Mais là aussi, l’écueil potentiel a été surmonté avec les appels répétés de Dar el-Fatwa et du mufti de la République Abdellatif Deriane à la participation massive aux élections et avec l’annonce de l’ancien président du Conseil Fouad Siniora de sa volonté de participer au scrutin, soit en tant que candidat lui-même, soit en appuyant des listes, ouvrant ainsi la voie à de nombreuses candidatures de personnalités proches ou dans la mouvance du courant du Futur.
Soudain, et alors que l’on croyait que rien ne pouvait plus entraver la tenue des élections à la date prévue, un nouveau problème a surgi. Il se résume à la volonté du chef de l’État Michel Aoun et de son camp d’installer des mégacentres, ces bureaux de vote géants, pour éviter que les électeurs résidant dans des régions éloignées de leur circonscription électorale puissent voter sans avoir à faire de longs trajets. Cette proposition est en principe destinée à faciliter le vote des électeurs, surtout avec la crise économique aiguë et les prix astronomiques de l’essence. Ce projet, qui figurait dans la loi électorale adoptée en 2018, avait été reporté pour des questions techniques et le voilà qui réapparaît et suscite la même polémique que lors de la précédente échéance électorale. Toutefois, aujourd’hui, s’il faut croire les informations qui ont filtré de la réunion ministérielle destinée à discuter ce dossier, la plupart des parties concernées affirment appuyer la création de mégacentres. Les obstacles seraient donc purement techniques et nécessitent un budget additionnel.
Aujourd’hui, le Liban se trouve donc devant trois scénarios possibles : le chef de l’État et son camp renoncent à leur demande et les élections se déroulent à la date prévue avec les dispositions habituelles. Le camp présidentiel insiste sur les mégacentres et soit les élections sont reportées pour laisser un délai suffisant à leur installation, soit les ministres et les députés réagissent très rapidement et parviennent à les adopter avant la date du scrutin. Ce dernier scénario reste difficile à réaliser.
La question qui se pose est la suivante : quelle est l’importance des mégacentres dans le déroulement du scrutin ? Selon les responsables de plusieurs machines électorales, ces centres sont une catastrophe pour les candidats et les partis politiques parce qu’ils les privent du contrôle des déplacements des électeurs. En effet, lorsqu’un candidat assure les frais de déplacement de ses électeurs, il garantit leur vote. Par contre, s’ils se déplacent seuls et à leurs propres frais, il n’a plus de prise directe sur eux. Or, pour les élections du 15 mai, la plupart des candidats se plaignent d’une absence de mobilisation des électeurs, par manque d’enthousiasme. Pour cette raison, la plupart des parties politiques ne soutiennent pas les mégacentres. Elles préféreraient même que les élections soient reportées, sans toutefois vouloir assumer la responsabilité du report. Jusque-là, cette option se heurte à deux considérations : d’abord une pression internationale pour maintenir les élections à la date prévue, même si certaines parties estiment qu’avec le conflit en Ukraine, le scrutin libanais passe au second plan ; ensuite le fait que tout report assorti d’une prolongation du mandat du Parlement (qui expire le 21 mai) devrait soulever une nouvelle polémique sur la prorogation du mandat du chef de l’État.
commentaires (8)
que des lapins a sortir du chapeau
Jack Gardner
14 h 36, le 09 mars 2022