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Un Syrien dans le 9-3

Un Syrien dans le 9-3

Omar Youssef Souleimane. © Félix / Charlie Hebdo

Le nouveau livre de Omar Youssef Souleimane est un texte sans doute largement autobiographique sur la vie, pas toujours simple, d’un exilé politique syrien installé à Bobigny, préfecture de Seine Saint-Denis (familièrement désignée comme le 9-3), l’un des départements les plus pauvres, les plus compliqués de France. Le plus « islamisé » également : 30 % de la population y est de confession musulmane, et la communauté pèse un poids économique, social, et partant, politique, non négligeable, d’où l’intérêt que lui témoigne la municipalité. Quitte à tolérer pas mal d’entorses aux lois de la République, notamment à la laïcité.

Ce sont les imams des mosquées, dont une partie de salafistes, qui exercent un réel pouvoir moral sur les jeunes, qu’ils encadrent, empêchent de commettre trop de délits, tentent de faire se réapproprier leur langue et leur culture (ils sont nombreux à être nés ici, à ne pas parler l’arabe, et à n’être jamais allés dans le pays d’origine de leur famille, majoritairement l’Algérie), et d’en faire de pieux musulmans traditionalistes, lecteurs du Coran, favorables au port du voile et à la charia. Autant de points qui clivent, divisent profondément la société française, surtout récupérés, instrumentalisés, en ces périodes électorales, par les populistes de tout poil.

Le héros et narrateur de Souleimane, qui se présente comme « apostat », athée depuis sa rupture avec la religion de son père, un « salafiste », vit et décrit cela avec réalisme, et témoigne ainsi d’une réalité qu’une partie de l’opinion française, qu’il appelle « la gauche halal », se refuse à voir, sauf en cas de problèmes graves : faits divers, émeutes… Le tout est conté à l’aide de saynètes et de dialogues bien venus. On écoute ainsi beaucoup les sermons de l’imam de la mosquée locale (financée par les Qataris), patron de pizzeria et plutôt indulgent envers les dealers.

Lorsqu’il ne passe pas son temps à se confronter à la kafkaïenne administration française afin de régulariser tel ou tel papier (et en attendant, un jour, la précieuse naturalisation), il tente de survivre en donnant des cours d’arabe (mais refusera la proposition de l’imam d’endoctriner ses jeunes beurs), fait l’amour avec sa copine Eva, sans l’aimer, et tombe amoureux de sa voisine Violette, qui travaille à la communication de la mairie de Bobigny. Hélas, la maladie viendra briser leur idylle naissante. Et puis il lit et écrit, surtout de la poésie. Chez lui, à Damas, son père lui avait offert 100 000 livres syriennes pour apprendre par cœur les 104 vers de Tarafa Ibn al-Abd (un poète soufi du VIe siècle), pari réussi. Mais c’est dans Éluard qu’il a appris la liberté de penser, le doute, l’engagement politique, le droit à l’athéisme. Au fil des pages, lui reviennent des souvenirs de son enfance heureuse et aussi des épisodes de la « révolution syrienne », suivie de la terrible guerre civile qui perdure encore aujourd’hui, plus ou moins larvée.

Toutes ces histoires, toutes ces problématiques si contemporaines, Omar Youssef Souleimane les aborde et les raconte sous l’angle du vécu, sans dogmatisme, même si l’on connaît ses idées et ses positions personnelles. Avec élégance dans son style, et une pointe d’autodérision. C’est cet humour qui lui permet de surmonter ses difficultés, sa solitude, sa condition précaire d’exilé. Et l’écriture, bien sûr, dans laquelle il réussit plutôt bien. Arrivé en France en 2005, à 18 ans, il a déjà publié trois livres chez Flammarion. Le premier, Le Petit Terroriste (2018), a remporté un joli succès, été adapté pour la scène à la MC93 de Seine Saint-Denis, et sera prochainement joué au théâtre Montansier, à Paris. C’est là, désormais, qu’habite le narrateur. On attend qu’il nous raconte son adaptation à la vie de la capitale. Nul doute que cela ne sera pas simple et nous vaudra encore quelques pages enlevées, émouvantes et mélancoliques. La marque de fabrique de Omar Youssef Souleimane.

Une chambre en exil de Omar Youssef Souleimane, Flammarion, 2022, 204 p.


Le nouveau livre de Omar Youssef Souleimane est un texte sans doute largement autobiographique sur la vie, pas toujours simple, d’un exilé politique syrien installé à Bobigny, préfecture de Seine Saint-Denis (familièrement désignée comme le 9-3), l’un des départements les plus pauvres, les plus compliqués de France. Le plus « islamisé » également : 30 % de la...

commentaires (1)

Je l’ai lu et apprécié. Écriture à la fois poétique et concrète. Il va à rebours du langage des bobo parisiens. « Il parle » vrai. J’attends le suivant avec impatience.

Jacques Dupé

09 h 43, le 23 mars 2022

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Commentaires (1)

  • Je l’ai lu et apprécié. Écriture à la fois poétique et concrète. Il va à rebours du langage des bobo parisiens. « Il parle » vrai. J’attends le suivant avec impatience.

    Jacques Dupé

    09 h 43, le 23 mars 2022

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