Critiques littéraires Chronique

Crinière de la rébellion

Crinière de la rébellion

© Ghassan Salhab

À contre-jour de Ghassan Salhab, De l’incidence éditeur, 2021, 92 p.

uand un cinéaste prend sa plume au lieu de sa caméra. Quand il jette ses nerfs électrifiés sur le papier au lieu de dérouler sa pellicule. Quand Ghassan Salhab qui a réalisé à ce jour huit longs métrages donne à lire au lieu de donner à voir, c’est tout simplement une question de temps : l’écriture est instantanée tandis que le cinéma est une affaire de temps long, d’industrie. Le 17 octobre ne souffre pas l’attente. Le soulèvement ne s’accommode pas de délais. Le 17 octobre requiert tout, tout de suite ; le débordement, un ici et maintenant !

À contre-jour (depuis Beyrouth) est un petit livre hors du commun, un livre ivre et fébrile parce qu’hybride ou plutôt inclassable. Tantôt, c’est d’un journal de bord de l’improbable qu’il s’agit. Dans d’autres pages, on se croirait dans la tête d’un stratège qui donne ses instructions aux révolutionnaires sur les barricades. À d’autres moments plus intimes, on entend la conscience de l’auteur se retourner dans son antre. Cette page-ci est un tract ! Cette autre est un souvenir d’enfance ! Cette troisième, une utopie ! Mais toujours, la même difficulté de rendre compte du bouillonnement.

Et pour ce faire, une quarantaine de photographies Instagram, fixes mais convulsives, prises non seulement en noir et blanc et à contre-jour, mais souvent en contre-plongées noires en direction de trouées blanches, comme les cris d’un cinéaste en mal de temps, d’un révolté débordé par les instantanés, les désirs de changer la société à laquelle il n’appartient pas et dont il vomit « l’incurie et la corruption et le culot effarant ».

Ces ouvertures vers le ciel sont parfois des fulgurances poétiques : « (…) nous sommes peut-être ces lucioles dans la nuit qu’ils veulent nous imposer à jamais. » « Chaque matin, ce sentiment d’un poème suspendu, (…) cette ivresse de l’impossible rendue un temps possible. »

Il y a deux rythmes dans ce livre (trois en comptant celui des photos) : le premier est haletant, à fond la caisse, l’inespéré qui prend corps, « (…) le tournis de tous les instants ». La révolte, la colère à fleur de peau. « Nous voudrions les enlacer tous ! Chaque région, chaque ville, chaque village. Chaque quartier sont chantés, appelés, dansés. Chaque jour. Nul n’est oublié. Nul n’est laissé de côté. C’est folie pure ! » La violence également, celle des forces répressives mais aussi celle du vandalisme des manifestants qu’un graffiti justifie : « Il est trop tard pour être calme. » Puis, alternativement, le rythme de la réflexion, de l’autoanalyse, de la méditation, du retour sur soi réflectif, du tâtonnement, des questionnements et des doutes…

Dans le texte intitulé « Fragments d’une nuit blanche », Ghassan Salhab cite un extrait du grand poète Bernard Noël qui écrit ceci : « (…) un songe a remplacé la vie (…), tout fait silence pour fêter ce remplacement (…) dans l’arrière-pays de tête (…) et maintenant il faut lever le poing et battre la mémoire comme un tapis qui doit brutalement restituer l’image. »


À contre-jour de Ghassan Salhab, De l’incidence éditeur, 2021, 92 p.uand un cinéaste prend sa plume au lieu de sa caméra. Quand il jette ses nerfs électrifiés sur le papier au lieu de dérouler sa pellicule. Quand Ghassan Salhab qui a réalisé à ce jour huit longs métrages donne à lire au lieu de donner à voir, c’est tout simplement une question de temps : l’écriture est...

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