Rechercher
Rechercher

Culture - Entretien

Glass Marcano, la volcanique chef d’orchestre vénézuélienne, vient donner de l’espoir au Liban

Elle dirigera ce soir, à l'église Saint-Joseph (USJ) Monnot, à 20h, l’Orchestre philharmonique libanais dans le cadre du Festival al-Bustan avec des pages de Rossini et de Tchaïkovski.

Glass Marcano, la volcanique chef d’orchestre vénézuélienne, vient donner de l’espoir au Liban

Glass Marcano : « En tant que femme noire, j’ai le rythme dans la peau, j’ai la musique qui me descend presque dans le corps. » Photo DR

Née au Venezuela en 1996, elle est la première chef noire à diriger un orchestre en Europe. Glass Marcano, dont le destin ressemble à un conte de fées inespéré, et dont la technique rompt avec tous codes du classique, se produit ce soir au Festival al-Bustan. Elle envisage sa visite au Liban comme « une volonté de donner de l’espoir » à un peuple dont les problématiques actuelles sont si similaires à celles des Vénézuéliens…

Quel a été votre premier contact avec la musique et ensuite la direction orchestrale ?

La musique fait partie de ma vie depuis toujours. Dans l’État de Yaracuy, dans le nord-ouest du Venezuela, où je suis née, chaque municipalité a son orchestre. C’est une institution. À San Felice, ma ville, il y en avait même 16. Tous les vendredis, nous nous retrouvions dans la soirée pour un concert. Comme j’étais très indisciplinée à l’école, j’avais cette énergie qui brûlait en moi, ma mère m’a presque jetée dans la musique pour canaliser tout cela, avec un violon dans les mains. Mais le réel déclic s’est produit à l’âge de 16 ans lorsque, lors d’une répétition d’une symphonie de Chostakovitch, j’ai observé les gestes, les mouvements du chef d’orchestre, tout ce que son corps pouvait exprimer et comment cela se traduisait en musique. C’est à ce moment que, comme un coup de foudre amoureux, j’ai réalisé que je voulais faire la même chose, exprimer par cette même méthode ma passion et toute cette énergie que je portais en moi.

Quel souvenir gardez-vous de votre passage à El Sistema au Venezuela, le programme d’éducation musicale financé par des fonds publics ?

Quelque chose d’extrêmement précieux : le travail d’équipe, la force d’un ensemble, la magie qui se produit lorsqu’une symbiose a lieu entre plusieurs personnes, autour de la musique. Faire que vingt violonistes soient en parfait accord, cela relève de quelque chose de surréel pour moi. Et puis, à force de côtoyer les mêmes personnes au quotidien, on a l’impression de faire partie d’une famille. C’est cela, aussi, le pouvoir de la musique.

Parallèlement à votre formation en direction orchestrale, vous avez également suivi des études en droit, pourquoi ?

Quand j’ai exprimé à ma mère ma volonté de faire carrière dans la direction orchestrale, elle ne s’y est pas opposée parce qu’elle était consciente de ma passion pour la matière. Sauf qu’au vu de la crise économique dramatique que traversait le Venezuela à l’époque, et qui est jusqu’à ce jour la réalité du pays, elle m’a dit qu’il fallait que j’assure une carrière solide à côté, histoire de pouvoir subvenir à mes besoins. C’est ainsi que j’ai été à Caracas pour faire mes classes en droit, même si je détestais cela. Parallèlement, je travaillais aussi dans le commerce familial en fruits et légumes. Peut-être, aussi, parce que je ne pensais pas un instant que la musique était une possibilité réelle de carrière.

Comment êtes-vous tombée sur La Maestra, le premier concours pour chefs d’orchestre organisé par la Philharmonie et le Paris Mozart Orchestra, qui vous a ensuite décerné son prix de l’orchestre ?

Même si j’étais consciente qu’avec ma situation financière, ainsi que l’État du Venezuela en 2019, il m’était quasiment impossible à aspirer à une carrière internationale, voire même de pouvoir faire de la musique mon métier, j’ai toujours gardé ce rêve au fond de moi. Rien que d’avoir cela comme possibilité, cela me donnait des ailes. Un jour, entre deux cours au conservatoire, j’ai tapoté, comme ça, sur Google : Concours direction orchestrale. Au fil de mes recherches, je suis tombée sur La Maestra. Ce nom avait retenu mon attention, parce que c’était la première fois que je voyais une initiative ou un concours du genre porter un nom féminin, sachant que seuls 4 % des chefs d’orchestre du monde sont des femmes.

Lire aussi

Laura Lahoud : Le Festival al-Bustan ne s’arrête pas, c’est une question d’amour envers le Liban

Le fait que ce soit un concours réservé aux femmes m’a d’autant plus séduit. Mais il me fallait rassembler 150 euros pour y participer, et cela m’avait semblé comme une irréalité. Alors tout le village s’est cotisé pour que je puisse envoyer ma candidature. Et puis, un jour, je reçois un mail en français qui m’annonçait que j’avais été retenue. Je n’y ai pas cru. Comme je n’avais pas les sous pour faire le voyage jusqu’à Paris, ce concours m’a assuré les frais de voyage. Je me souviens qu’en atterrissant sur Orly, quand j’ai vu la tour Eiffel de mon hublot, je me suis dit : j’ai vécu toute ma vie pour ce moment.

À votre arrivée en France, vous ne parliez aucune langue à part l’espagnol. Comment avez-vous réussi à diriger un orchestre en dépit de ce barrage de la langue ?

Au départ, c’était certes compliqué. Mais comme je respire la musique, celle-ci devient mon langage et cela abat toutes les frontières. Lorsque je dois exprimer, expliquer quelque chose à l’orchestre, je chante pour remplacer les mots. Mon corps, mes gestes deviennent mon dialecte. C’est peut-être ma marque de fabrique.

Justement, comment dériveriez-vous votre technique de direction orchestrale que l’on dit anticonventionnelle ?

Je dirai qu’elle est plutôt naturelle, instinctive. En tant que femme noire, j’ai le rythme dans la peau, j’ai la musique qui me descend presque dans le corps. Je m’inspire beaucoup du gospel, des influences du blues et de la manière dont les mouvements accompagnent la musique dans ce genre de musique. Et c’est comme ça que je dirige, en me donnant tout entière à la musique, sans trop réfléchir. Je privilégie surtout l’émotion, la sincérité, et c’est peut-être pourquoi je suis touchée par l’extrême sensibilité du compositeur russe Piotr Ilitch Tchaïkovski. Tout ce qu’il a vécu au cours de sa vie m’émeut. Il a su retranscrire toute l’oppression dont il a été victime à cause de son homosexualité dans chaque ligne de ses partitions. C’est ce que j’essaie de faire, véhiculer des émotions à travers mes mains, mon corps. À côté de cela, je me nourris également de la rigueur de la technique européenne qui vient complémenter mon côté volcan, presque indomptable.

Ça représente quoi pour vous d’être la première chef d’orchestre noire en France ?

Les hommes et femmes noires se sont distingués dans le sport, la danse, le chant mais jamais la direction orchestrale. Ça fait bizarre de voir une femme noire diriger un orchestre, mais c’est essentiel pour rompre le paradigme qui disait que cela était impossible. Lorsqu’on m’écrit pour dire que je représente une communauté, que je suis leur fierté, ça me paraît aussi comme une énorme responsabilité. Mais le fait que j’incarne une possibilité, un espoir pour les hommes et femmes noires qui aspiraient à de telles carrières en pensant que ça ne se produira jamais, me rend tellement fière.

Quelle symbolique a votre concert de ce soir à Beyrouth, sachant que le Liban et le Venezuela ont des destins en quelque sorte similaires ?

Je suis consciente de ce par quoi passe le Liban aujourd’hui, et je sens des résonances extrêmes avec le peuple libanais puisque toutes ses problématiques d’aujourd’hui, notamment la notion d’exil, sont des choses que nous, vénézuéliens, connaissons bien. Ce que je cherche, à travers le concert de ce soir, c’est de donner de l’espoir, de la joie au public, mais aussi et surtout à l’orchestre national qui, je le sais, passe par une crise sans précédent. C’est presque un devoir de ma part. Et si je peux revenir plus souvent, donner des cours ou aider comme je le peux, à travers la musique, je n’hésiterai pas un instant.

Née au Venezuela en 1996, elle est la première chef noire à diriger un orchestre en Europe. Glass Marcano, dont le destin ressemble à un conte de fées inespéré, et dont la technique rompt avec tous codes du classique, se produit ce soir au Festival al-Bustan. Elle envisage sa visite au Liban comme « une volonté de donner de l’espoir » à un peuple dont les problématiques...

commentaires (2)

Epatante, cette femme et tout le village avec elle....?

Mireille Abi Nader

07 h 12, le 27 février 2022

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Epatante, cette femme et tout le village avec elle....?

    Mireille Abi Nader

    07 h 12, le 27 février 2022

  • Belle initiative!

    Nayla De Freige

    00 h 19, le 25 février 2022

Retour en haut