Neuf avocats – dont le professeur Nasri Diab et l’ancien président du Barreau de Beyrouth Melhem Khalaf – ont rédigé et cosigné un courrier adressé au chef de mission du Fonds monétaire international, Ernesto Ramirez-Rigo, dans lequel ils expliquent pourquoi le processus de financement de l’État par la Banque du Liban est entaché d’illégalité. Daté du 7 février, le courrier été expédié mardi à Washington et présente l’étude juridique préparée par ces avocats et publiée dans la presse locale au début du mois. Les autres signataires sont : Sélim Méouchi, Abdo Ghossoub, Hadi Khalifé, Assaad Najm, Ramzi Haykal, Marie Daou et Moussa Khoury.
"Cela concerne non seulement la façon dont la Banque centrale a financé un État défaillant depuis le début de la crise, mais aussi la manière dont les choses se passaient avant", a expliqué le spécialiste en droit financier et bancaire Nasri Diab à L’Orient-Le Jour. "L’État a toujours prétendu que la BDL était contrainte de financer son action en toute circonstance. Mais ce n’est pas ce que la législation libanaise affirme, Code de la monnaie et du crédit (CMC) en tête. C’est pour cette raison que plusieurs avocats ont souhaité alerter le FMI sur ces questions, afin que ses experts aient l’idée la plus précise possible de ce qui pourra être légalement faisable ou non dans tout plan de redressement et de répartition des pertes préparé par le gouvernement", ajoute-t-il.
Nasri Diab précise que la démarche s’inscrit dans le cadre d’une réflexion commune d’avocats qui ont voulu se pencher ensemble sur cette question brûlante. Elle est mise en avant à un moment où le Liban est en train de discuter officiellement avec le FMI en vue de convaincre ce dernier de débloquer une assistance financière pour l’aider à sortir de la crise qu’il traverse depuis plus de deux ans. Le gouvernement a également examiné un projet de budget pour 2022, qui pourrait être approuvé jeudi par le Conseil des ministres. La loi de finance qui en découlera sera votée en dehors des délais constitutionnels qui ont été, cette année encore, définitivement dépassés.
Contacté, le ministre des Finances n’a pas souhaité faire de commentaire, tandis que le service de presse de la BDL n’était pas disponible mercredi, jour férié à l’occasion de la Saint-Maron.
Conditions restrictives
En guise de premier argument, les avocats font valoir que l’article 90 du CMC pose comme principe le fait que la Banque du Liban ne peut pas prêter de l’argent au secteur public sauf dans certaines circonstances exceptionnelles et dans des "conditions restrictives" développées à l’article 91 et suivants.
Dans sa rédaction, l’article 90 fait référence à deux exceptions dictées aux articles 88 et 89, et qui portent sur des facilités de caisse exceptionnelles accordées par la BDL au Trésor pour des cas et dans des conditions très restreintes. "Ce sont des cas très spécifiques qui n’entrent pas dans le débat actuel", relève Me Nasri Diab.
En revanche, les articles 91 et suivants listent pour leur part les différentes modalités et conditions qui permettent à la BDL de déroger au principe posé par l’article 90, donc à prêter de l’argent à l’État pour qu’il puisse se financer, en dehors du cadre des facilités de caisse exceptionnelles citées plus haut. La première de ces dispositions impose de justifier cette dérogation par des circonstances critiques et inhabituelles, mues par un état de "nécessité absolue". Une fois notifiée par le gouvernement d’une demande de crédit, la BDL et le gouvernement devront préalablement vérifier qu’il n’existe pas d’autres alternatives pour financer l’État.
La BDL doit en parallèle "proposer au gouvernement, si nécessaire, des mesures à même de limiter les effets négatifs sur l’économie" qui pourraient être provoqués par l’octroi de ce prêt. Ce n’est que si toutes les options étudiées et documentées (car il ne s’agit pas de simples formalités, mais de conditions substantielles), que la Banque centrale pourra, à son entière discrétion et sans que ceci ne constitue une obligation, décider de financer l’État, mais également sous certaines conditions.
La BDL est la banque du secteur public
Pour justifier le caractère illégal du processus actuel de financement de l’État par la BDL, les avocats citent également l’article 85 du CMC, qui précise le rôle de la Banque du Liban en tant que "banque du secteur public". "A ce titre, l’institution ne peut pas avancer de l’argent pour le compte de l’État si ce dernier n’est pas solvable. Or le Liban est officiellement en défaut de paiement sur ses obligations en devises (les eurobonds) depuis mars 2020", rappelle Nasri Diab. Les avocats soulignent que l’article 92 impose explicitement que la BDL vérifie non seulement la viabilité économique du projet pour lequel l’État sollicite un emprunt, mais également la capacité de ce dernier à le rembourser. Pour rappel, l’État n’a toujours pas entamé le processus de restructuration de sa dette publique.
Les rédacteurs de l’étude mettent aussi en avant l’article 113 du CMC qui prévoit comment les profits générés par l’État lors d’une année fiscale doivent être répartis chez elle entre les comptes de la BDL et ceux du Trésor public. Le même article impose notamment la constitution et le provisionnement d’un « fond de réserve général » géré par la Banque centrale, dans lequel celle-ci peut puiser pour combler ses éventuelles pertes enregistrées sur un exercice annuel. Le législateur précise enfin que c’est en dernière instance au Trésor public de renflouer la BDL, et non pas l’inverse comme c’est le cas actuellement. "Or les pistes étudiées par l’Exécutif pour absorber les pertes du pays préconisent d’éponger les pertes de l’État et de la BDL en partie via les dépôts des clients et les capitaux des banques", souligne Nasri Diab. Un constat confirmé par les fragments fuités dans la presse du plan de redressement que prépare le gouvernement en marge de ses discussions avec le FMI.
Les réserves obligatoires affectées
Les avocats font enfin valoir que les réserves de la BDL – 13 milliards de dollars sans compter l’or – ont atteint le "seuil" des réserves obligatoires des banques (ou, comme le rappelle Nasri Diab, des "investissements obligatoires", suivant l’intitulé de la Décision principale de la BDL N° 7926 de 2001). Ces réserves ont été constituées par des montants immobilisés de manière forcée par les banques à la BDL en vertu des articles 76, 77 et 174 du CMC. Les avocats considèrent qu’elles ne "peuvent donc par servir à financer l’État, car il ne s’agit pas de dépôts libres soumis au Code de commerce dont la BDL a libre disposition, mais d’investissements forcés, qui ont une affectation spécifique".
Même avant la crise, les responsables libanais n’ont presque jamais respecté les règles en vigueur en matière de discipline budgétaire. Le pays a par exemple fonctionné sans budget entre 2005 et 2017, en déformant au passage la règle du douzième provisoire, qui n’est supposée s’appliquer qu’un mois et que dans le cas exceptionnel où le Parlement ne s’est pas prononcé sur la loi de finance d’un exercice donné avant la fin de l’année précédant celui-ci. Depuis 2017 toutes les lois de finance qui ont pu être votées l’ont été en dehors des délais constitutionnels et sans que les lois de règlement devant sanctionner leur exécution après coup ne soient à leur tour entérinées par le Parlement.
commentaires (9)
Ok, bon, parlons d'illégalités: où sont les actions légales dans ce qui suit? Milice avec armes illégales Parlement paralysé pour plus de 2 ans pour assurer l'élection "démoniaque, oh pardon, démocratique " du prez toi-en-acier et nous en chiasse, Sabotage concerté et continue des investigations judiciaires type explosions du port et autres assassinats. Frontières forcées à être une passoire pour traffic dans les 2 sens. Destruction des relations du Liban avec les pays arabes pour les beaux yeux de mr. faki. Occupation de régions libanaises par des milices sans aucun contrôle et même sans souci de la part des dirigeants... Vol continue et complet des argents des citoyens à qui l'on demande des taxes supplémentaires... Et des milliers d'autres actions " légales" selon le lexique de nos politiciens...
Wlek Sanferlou
15 h 55, le 11 février 2022