Le Liban : 18 communautés et bien davantage…, ouvrage collectif, éditions Victor Lebrun/Naufal, 2021, 284 p.
En vertu de l’article 7 de la Constitution libanaise, « tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune ». Il est, hélas, à déplorer que cet article soit noyé dans bien d’autres articles dont le but est de « déconstruire cette égalité des droits et des devoirs ».
Présenté comme une mosaïque, le Liban compte 18 communautés religieuses et l’on a longtemps accepté de croire que les lignes qui séparent ces communautés étaient « hermétiques ». Toutefois, la gestion du pays sur une base multiconfessionnelle a « montré ses limites ». En effet, bien d’autres facteurs sont à prendre en considération : les accents sont régionaux, les métiers transversaux, la qualité de vie relative à la fortune.
Plus encore, le Liban ne saurait être réduit à 18 entités, du fait de l’existence d’un socle commun constitué par une souffrance commune et des aspirations communes ; un socle qui est, peut-être, notre ultime planche de salut puisqu’il fait naître et fait vivre dans le cœur de tout Libanais (malgré les innombrables différences que l’on pourrait invoquer) le sentiment d’avoir une même identité… celle de survivants. « Nous nous sommes refugiés dans des abris. Nous avons perdu des proches morts ou enlevés. Nous avons soigné nos blessés. Nous avons connu les angoisses de la séparation et de l’exil. Nous avons compté les bombes pour conjurer nos angoisses. Nous avons fait tout cela avec la promesse – tous les jours reportée – de construire sur les cendres un pays moderne, égalitaire, humaniste. »
Le Liban : 18 communautés et bien davantage… est un ouvrage collégial dont les auteurs exercent divers métiers au sein de la société civile, certains d’entre eux étant des écrivains reconnus. Leurs textes remettent en cause « le rapport entre le centre et la périphérie ». Le citoyen, jusque-là marginalisé et relégué à la périphérie, se retrouve au centre, tandis que « le système politique mafieux dominant perd son rôle central ».
C’est la conséquence du soulèvement qui a débuté le 17 octobre 2019. La société libanaise avait soudain été capable de « dépasser ses masques communautaires et ses appartenances régionales » et de se regarder « nue, dans le miroir de la vie quotidienne ».
Les auteurs abordent sans fausse pudeur et sans aucun tabou des sujets douloureux qui sont autant de défis à relever pour le Liban d’aujourd’hui. Les protagonistes se font écho : deux femmes battues, celle qui a porté plainte et celle qui ne l’a pas fait, un prisonnier bénéficiant de cours de théâtre et un autre torturé et incarcéré au sud du pays, un locataire expulsé de son appartement et une dentiste qui « choisit » l’exil, une employée de maison éthiopienne et un Tamoul employé de supermarché, une jeune fille traumatisée par un assassinat d’une rare sauvagerie et un jeune homme au bord du suicide traumatisé et fasciné par les obus, un chômeur désespéré et un chauffeur de taxi ruiné travaillant jour et nuit, les parents aisés mais démunis d’un enfant souffrant d’une pathologie mentale et les enfants « sans visage » de nos rues et de nos carrefours (mendiants, handicapés, chiffonniers, cireurs de chaussures…) qui ne guériront jamais de leur enfance.
Ces tranches de vie nous font prendre conscience du fait que les hommes souffrent et pleurent de la même manière, abstraction faite de leur confession et de leur contexte. À titre d’exemple, la douleur de perdre un proche est, évidemment, la même.
Cet ouvrage met en lumière un Liban « dissimulé » qui ne demande qu’à être vu et écouté. Un Liban des oubliés ? Cet oubli étant odieusement et lâchement volontaire, il serait plus honnête de le qualifier de Liban des ignorés. Afin d’éviter de nouvelles guerres civiles, de lutter contre la corruption, de moderniser les droits personnels et de rénover la chose publique, il est temps, voire urgent, « d’édifier l’État autour du citoyen ». Et cela d’autant plus que ce florilège déstabilisant nous confronte à un douloureux constat : de même que l’Inde a ses intouchables, le Liban a ses ignorés.