Ce serait une des dernières chances pour le Liban de se conformer aux directives internationales et régionales, s’il veut se tirer d’affaire et réhabiliter ses relations avec le monde arabe notamment. La feuille de route dite koweïtienne – car remise aux autorités libanaises par le chef de la diplomatie de cet émirat lors d’une visite à Beyrouth le week-end dernier – en douze points, dont la plupart ne sont autres que des requêtes de la communauté internationale, serait cette énième perche tendue au pays du Cèdre. Attendue à l’occasion de la tenue d’une réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, ce samedi au Koweït, la réponse du Liban à cette nouvelle feuille de route compilée par les monarchies du Golfe et soutenue par Washington et Paris sera quelque peu déterminante pour la suite du feuilleton des relations troublées entre Beyrouth et les capitales du Golfe. Elle sera également décisive pour ce qui est du soutien promis par l’Occident au pays du Cèdre enfoncé dans la crise.
De sources concordantes, on sait déjà que la réaction libanaise a été réfléchie et rédigée de sorte à ne pas attirer la foudre des pays du Golfe, tout en expliquant les difficultés à mettre en œuvre certains points figurant dans le document. Fruit d’une entente entre les trois principaux pôles du pouvoir – le président, le chef du Parlement et le Premier ministre –, la réponse libanaise comporte plusieurs réserves concernant certains points considérés comme rédhibitoires. C’est le cas notamment de l’appel au respect de la résolution 1559 – portant entre autres sur « le désarmement et la dissolution de toutes les milices » et « l’extension du contrôle du gouvernement libanais sur tout son territoire » – une clause qui risque d’être « explosive » pour le Liban. C’est en tous les cas ce que considère le Hezbollah, dont l’avis, non encore officialisé, a été distillé à la presse via les médias qui lui sont affiliés ou certains experts familiers avec ses milieux. « Toutes les exigences formulées dans le cadre de l’initiative koweïtienne se réduisent à un seul point : la 1559. Pour le parti chiite, c’est la réédition d’un projet de guerre latente », décrypte Kassem Kassir, un expert des questions du Hezbollah. L’analyste fait référence au contexte houleux qui a accompagné la naissance, le 2 septembre 2004, de cette résolution onusienne. Celle-ci appelait également au retrait de toutes les troupes étrangères du sol libanais et à « une élection présidentielle libre, loin de toute ingérence étrangère ». Celle-ci n’aura pas lieu puisque la Syrie avait réussi à l’époque, et en réaction à ce texte, à imposer le lendemain la prorogation du mandat du président Émile Lahoud, proche de Damas. De l’avis de nombreux analystes, la 1559 avait constitué le motif premier de l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, accusé d’avoir été l’un des instigateurs de cette résolution.
Case départ
Selon un responsable politique issu du camp souverainiste, et qui a souhaité garder l’anonymat, la 1559 est effectivement la seule condition véritablement problématique. « C’est un retour à la case départ », analyse-t-il. Dans les milieux du parti chiite, on reprend une formule aussi vieille que la 1559, à savoir que les pays du Golfe cherchent aujourd’hui à arracher au Liban ce que les États-Unis, et encore moins Israël, n’ont pas réussi à obtenir au fil des ans, à force de salves de sanctions et de guerres (notamment le conflit de juillet 2006). La position du Hezbollah sur toutes ces questions sera en tous les cas clarifiée lundi prochain, à l’occasion d’une interview que le secrétaire général du parti accordera à la chaîne iranienne al-Alam.
Pour les onze autres conditions listées par les pays du Golfe, qui ne sont d’ailleurs pas très loin des exigences matraquées par la France ou les États-Unis depuis un certain temps, elles seraient théoriquement applicables, selon certains responsables politiques, à quelques nuances près. Il s’agit notamment de l’application de la résolution 1701 (qui avait rétabli en 2006 une cessation des hostilités entre Israël et le Hezbollah), un retour à la politique de distanciation et de non-ingérence dans les affaires des pays arabes, et en particulier des pays du Golfe, la mise en œuvre des réformes politiques et financières conformément aux termes du Fonds monétaire international (FMI) et de la communauté internationale.
À l’exception de la question du désarmement du Hezbollah, le Liban serait disposé à montrer le plus possible de souplesse et de bonne foi, à en croire aussi bien les sources proches de la présidence que du Sérail. « Tout le monde sait pertinemment que la question des armes du Hezbollah ne peut être réglée dans un contexte de conflit régional », commente le député Ali Darwhich, membre du bloc du Premier ministre Nagib Mikati. Le Liban officiel ne cesse de le répéter à qui veut l’entendre : la mise en application de la 1559 n’est pas du seul ressort et de la responsabilité des Libanais, qui sont d’ailleurs divisés entre eux sur ce sujet. Elle doit intervenir dans le cadre d’une décision internationale.
« Contrôle conjoint »
La lettre koweïtienne comprend également des points concernant le contrôle des frontières et des points de passage, ainsi que le renforcement des mesures de sécurité à l’aéroport pour empêcher le trafic de drogue vers l’Arabie saoudite. À ce sujet, l’initiative prévoit un contrôle « conjoint » aux points de passage, comprendre libanais et arabe, une mesure qui pourrait éveiller la sensibilité des officiels libanais. On apprenait ainsi que la réponse libanaise pourrait faire valoir le principe de souveraineté à ce propos et proposer que des efforts supplémentaires soient accomplis en ce sens. « Il serait question de se doter des équipements nécessaires comme les machines à scanner la marchandise », assure une source proche du chef du gouvernement Mikati. Selon des sources qui suivent de près ce dossier, le Liban va en outre suggérer à ses interlocuteurs arabes la mise en place de commissions mixtes, pour échanger plus en profondeur sur les différents points qui posent problème.
Autre complication majeure à laquelle les autorités doivent faire face, l’exigence d’un calendrier précis par les pays du Golfe pour que le Liban tienne ses engagements. « C’est une condition visant à mettre la pression maximale, étant donné la difficulté de s’acquitter de certaines exigences », estime un responsable libanais qui a requis l’anonymat. Un avis que partage d’ailleurs un diplomate occidental qui qualifie cette clause de « peu réaliste ». Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, les pays du Golfe seraient décidés à resserrer encore plus l’étau autour du Liban, en envisageant plus de sanctions si ce dernier n’obtempère pas, ou du moins n’apporte pas des réponses convaincantes. Face à la rigidité et à la fermeté dont font preuve les pays du Golfe à l’égard du Liban, l’Égypte, plus souple que ces monarchies, tente de son côté d’intervenir pour faciliter le processus. Le secrétaire adjoint de la Ligue arabe, Houssam Zaki, pourrait dans ce contexte arriver prochainement à Beyrouth pour défricher le terrain. On évoque même dans les coulisses la possible tenue d’un sommet arabe qui porterait entre autres sur le dossier libanais.
commentaires (12)
Nous ne sommes pas des Arabes, et n'avons surtout pas besoin de leur entregent pour régler des problèmes dont ils sont souvent à la source
Nicolas ZAHAR
10 h 11, le 29 janvier 2022