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Idées - Crises

Les inégalités de genre sont un mal endémique, pas un dommage collatéral

Les inégalités de genre sont un mal endémique, pas un dommage collatéral

Photo d’illustration : « Nous sommes des citoyennes, soutien aux quotas de femmes », peut-on lire sur cette affiche, lors d’un sit-in en 2008 pour réclamer une plus grande représentativité du Parlement. Ramzi Haidar/AFP

À l’heure où, selon l’ONU, près de quatre Libanais sur cinq (78 % de la population libanaise) vit en dessous du seuil de pauvreté et où la monnaie locale ne cesse de s’effondrer par rapport au dollar, comment mobiliser nos concitoyens autour des sujets de société ? Faut-il arrêter de faire avancer les mentalités, de réformer les lois obsolètes, de s’adapter aux changements sociétaux ou tout simplement de se conformer à la déclaration universelle des droits de l’homme, sous prétexte que nous allons mal ?

Pour rappel, nous allons mal depuis longtemps, bien plus longtemps que certains veulent nous le faire croire, arrêtant la date du 17 octobre 2019 comme étant celle qui aurait donné l’impulsion à notre descente aux enfers. Cela fait aussi bien longtemps d’ailleurs, que peu de réformes ont été faites en matière de droits personnels et de tout ce qui a trait à la sphère sociétale. En dehors de quelques émissions de télévision destinées à faire pleurer dans les chaumières, aucun des débats publics organisés sur des sujets relatifs à l’exercice d’une véritable citoyenneté ou aux droits humains n’a vraiment été pris au sérieux. Par ailleurs, certaines importantes coalitions parlementaires n’ont même jamais pris la peine de se pencher sur ces problématiques, si ce n’est pour s’abstenir ou faire obstruction au vote des réformes. On peut même dire, sans exagérer, que si ce n’était la persévérance des ONG qui font depuis des décennies le travail de l’État, les codes de statut personnel et tout ce qui a trait à l’actualisation des lois régissant le domaine du privé seraient restés tels qu’hérités de l’époque du mandat français.

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Les militants des droits des femmes peuvent le confirmer : à chaque fois qu’elles se sont adressées aux détenteurs du pouvoir, hommes politiques (toujours des hommes) et religieux de toutes les communautés (encore des hommes), pour obtenir des avancées en termes d’égalité, les réponses – directes ou implicites – de ces derniers ont été : « Est-ce vraiment le moment ? Ne voyez-vous pas que nous avons d’autres priorités en ce moment ? » Les urgences, nous les voyons, bien sûr. Nous sommes au fait de l’actualité, autant que les responsables si ce n’est plus, et nous avons compris depuis un bail que la démocratie consensuelle ne fonctionne pas, que nos gouvernements sont impuissants et que notre Parlement est inopérant, que les assassinats politiques sont parfois considérés par certaines parties comme un mode de gouvernance, et qu’avec une crise sociale à son paroxysme, entre nous et le gouffre, il n’y a plus grand-chose.

Sous-représentation politique

Depuis quelques années, la loi sur les violences conjugales (votée en 2014 et amendée en 2020) et le relèvement de l’âge de la garde des enfants au bénéfice de la mère dans certaines communautés religieuses (sunnites et druzes depuis 2019) ont été obtenus à l’arraché. Certes, les coups, les féminicides et les drames familiaux sont des problématiques criantes, aggravées par la précarité, et entrainant du sang et des larmes, mais il existe aussi dans notre pays un enjeu grave, moins visible à l’œil nu et ne mobilisant pas autant l’opinion publique : la sous-représentation des Libanaises aux avant-postes de la sphère publique.

Selon le Global Gender Gap Report 2021, du Forum économique mondial, le Liban est placé à la 112e place sur 156 pays, en ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique. Cela n’a jamais fait sourciller un responsable, leader de parti, chef de parlement ou de cabinet, et si ce n’était les activistes, les organisations internationales qui soutiennent les ONG locales et les quelques ambassadrices et ambassadeurs en poste, indignés de ce manque de parité, personne ne s’en serait ému.

Et ce n’est pas faute de sensibilisation ; les campagnes et les actions de la société civile sont nombreuses dans ce sens, mais la tendance générale continue de considérer les inégalités de genre comme un effet collatéral des crises à répétition secouant le pays. Le fait est que rares sont ceux qui perçoivent la relation entre la sous-représentation des Libanaises et la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons. L’échec d’une politique « sur-testostéronée », fonctionnant sur le mode de la violence verbale et physique et reposant sur des appartenances claniques et non sur des expertises véritables, n’est plus à démontrer. Selon les derniers chiffres avancés par le PNUD, 59 % des universitaires sont des filles, leur faible apport au marché du travail, seulement 30 %, comme leur quasi-inexistence dans la vie politique, sont un manque à gagner pour les ménages, les familles, les institutions publiques comme pour la nation entière. L’absence des femmes dans les délégations officielles, les sous-commissions parlementaires, les conseils d’administration, les municipalités ou les syndicats, c’est la moitié de la population qui n’est pas prise en compte, ses intérêts et ses besoins évidemment, mais aussi et surtout ses capacités. Ne pas inclure les citoyennes dans les négociations, les tables de dialogue et les délégations officielles, c’est se priver de leurs compétences en termes de solutions, planification, médiation et prévention des conflits, et cela au dépend d’une sécurité et d’une paix durable.

Instaurer des politiques et une législation en faveur d’une plus grande égalité entre les sexes renforce l’efficacité des politiques publiques, crée une société plus juste, des niveaux de vie supérieurs, des changements positifs dans les domaines de la santé, de l’éducation, des infrastructures ainsi qu’une diminution de la corruption politique.

Par ailleurs, il est prouvé que l’autonomisation des femmes et des filles contribue à stimuler la croissance économique et le développement dans tous les domaines. Mettre fin à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles, est crucial pour accélérer le développement durable (ODD) qui doit faire face aux défis mondiaux. Depuis 2015, le Liban s’est engagé à mettre en œuvre les 17 objectifs des ODD, pauvreté, inégalités, climat, dégradation de l’environnement, prospérité, paix et justice, tous indissociables et interconnectés, et, pour prouver son engagement, les a adoptés dans la déclaration ministérielle de 2018.

Responsabilités

Mais ne sommes-nous pas habitué à ce que notre pays signe en grande pompe, traités, conventions, accords et protocoles sans jamais les appliquer ? À moins que la parité et l’inclusivité ne fassent partie intégrante des réformes exigées par les donateurs en échange des aides promises, la situation actuelle ne pourra pas s’améliorer. Sachant que les mesures de discrimination positive dans le monde arabe et en Afrique ont été le plus souvent adopté à des moments cruciaux, changement de système politique, de Constitution ou autres, une occasion unique se présente aujourd’hui à nous – à condition évidemment que le FMI, la Banque mondiale et autres instances internationales ne considèrent l’enjeu assez important pour faire pression sur nos responsables.

Avec des mécanismes opaques d’accession au pouvoir au sein des formations politiques, le coût lié au dépôt des candidatures et celui des passages télévisés, l’argent électoral encouragé par la situation économique et la violence du discours politique ambiant, ajoutés à des appréhensions sanitaires et sécuritaires, combien de femmes pourront accéder au parlement en 2022 ?

Que l’on ne nous dise surtout pas : « Il suffit qu’elles le veuillent pour y arriver ! » Les quotas ont justement été inventés pour améliorer la représentativité des femmes dans de très nombreux pays de par le monde. Des mesures que le Liban a refusé d’adopter dans sa loi électorale, au nom de sa sempiternelle « spécificité culturelle ».

Il ne reste plus qu’aux partis et aux nouveaux courants d’opposition de prendre leur part de responsabilité et d’inclure un grand nombre femmes sur leurs listes électorales, pas seulement pour faire joli sur les photos, mais en leur assurant un vrai soutien et une visibilité conséquente. Ce n’est qu’ainsi que les Libanaises pourront, elles aussi, comme il est de leur droit, agir en véritables actrices du changement et contribuer à faire de ce pays, une démocratie reposant sur le pluralisme, dans le vrai sens du terme.

Par Nada ANID

Fondatrice de l’ONG Madanyat, écrivaine.

À l’heure où, selon l’ONU, près de quatre Libanais sur cinq (78 % de la population libanaise) vit en dessous du seuil de pauvreté et où la monnaie locale ne cesse de s’effondrer par rapport au dollar, comment mobiliser nos concitoyens autour des sujets de société ? Faut-il arrêter de faire avancer les mentalités, de réformer les lois obsolètes, de s’adapter aux changements...

commentaires (2)

les libanais et libanaises sont incorrigibles: ils demandent au patriarche et au mufti l'autorisation du mariage civile, aux hommes poliitiques (mafia) de liberer la place pour que des jeunes prennent le pouvoir, au banquiers voleurs de leur rendre leur argent...... mais quand c'est que ce "peuple" va enfin se révolter? La mafia (politique, religieuse et économique) vous fait des promesses et vous vous endormez.... vous espérez que les prochaines élections vont changer la donne... Vous êtes naïfs. vous croyez que la mafia va rendre facilement les armes..... vous croyez que les autres vont se battre a votre place..... vous êtes un drôle de "peuple"....

HIJAZI ABDULRAHIM

12 h 27, le 23 janvier 2022

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Commentaires (2)

  • les libanais et libanaises sont incorrigibles: ils demandent au patriarche et au mufti l'autorisation du mariage civile, aux hommes poliitiques (mafia) de liberer la place pour que des jeunes prennent le pouvoir, au banquiers voleurs de leur rendre leur argent...... mais quand c'est que ce "peuple" va enfin se révolter? La mafia (politique, religieuse et économique) vous fait des promesses et vous vous endormez.... vous espérez que les prochaines élections vont changer la donne... Vous êtes naïfs. vous croyez que la mafia va rendre facilement les armes..... vous croyez que les autres vont se battre a votre place..... vous êtes un drôle de "peuple"....

    HIJAZI ABDULRAHIM

    12 h 27, le 23 janvier 2022

  • Je peux témoigner qu'en France les mesures de contraintes prises pour imposer une plus grande participation des femmes à la vie publique ont été des succès. C'est un apport indéniable d'énergie à la société.

    F. Oscar

    09 h 42, le 23 janvier 2022

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