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Nos Lecteurs ont la Parole

Partir pour revenir... un jour

Partir pour revenir... un jour

Dans ma valise, un petit morceau de mon Liban : du zaatar tout frais. Photo DR

« Alors, ma chérie, comment va Beyrouth ? » Les mots de mon petit ami restèrent suspendus à l’autre bout du fil. Le silence était à l’ordre du jour, le temps de plusieurs respirations. Sans le savoir, sans doute par compassion, il entendait parler de « la situation ». La médiatisation internationale qui gravite autour du Liban le situait au sein d’une certaine « réalité faussée ». Tout le monde savait le pays happé dans une spirale infernale économique et sociale depuis deux ans. Cet enfer, nul ne l’avait prédit, surtout pas en 2008. Cette année, j’avais fait le choix de poursuivre mes études en France. Un choix et non pas un départ forcé, une aventure. À l’époque, mon objectif de carrière était tout tracé : capitaliser quelques années d’expérience professionnelles dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments avant de rentrer au Liban pour les mettre au profit de la communauté. Un projet pour l’avenir ?

Je n’en suis plus si sûre. À l’heure actuelle, cet avenir n’existe plus désormais. On peut penser à toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont fui le Liban, se demandant quelles auraient été leur vie, leurs œuvres, leur avenir si le pays n’avait pas sombré dans le chaos. Il faudrait penser à tous ces destins qui échouent sur les rivages de leur possibilité…

Les flux massifs de Libanais venus s’installer à Paris au cours de ces derniers mois étaient rythmés au diapason de la ville. Ces Libanais qui ne voulaient qu’une chose, partir coûte que coûte, sans doute à la recherche d’une vie décente. Les commerces, les rues, mes espaces étaient empruntés par ces Libanais. En quête d’une vie meilleure ? Ils ont ramené dans leurs valises un rayon de soleil au royaume de la grisaille, au donjon de l’homme de trop.

Voilà maintenant quinze ans que j’ai quitté mon pays natal. On épouse d’autres identités, mais on n’oublie pas ses origines, on n’oublie pas d’où on vient, même pour un court instant. Pas une seule année ne s’est écoulée sans que ma peau ne soit en manque du soleil de cette terre d’été. Et cette année, je n’ai pas dérogé à la règle. Un besoin viscéral de retrouver le foyer de mon enfance, de revoir le sourire de ma mère, le seul que cette ville me propose. Cependant, cette année n’était pas comme les autres. Cette année, le cœur n’était pas à la fête, le moral pas au rendez-vous. La livre libanaise poursuivait sa chute vertigineuse et la flambée des prix des denrées alimentaires atteignait les sommets. Les décorations de Noël ont laissé la place à des pancartes proposant des cadeaux d’un autre genre : coffres-forts, compteurs de billets et autres fabulations délirantes au service d’un système malade sans doute, en manque de soins, en manque d’amour de son peuple. Les coupures d’électricité rythmaient le quotidien des Libanais, plongeant les quartiers dans un noir déprimant, noyant des familles dans l’obscurité la plus terrifiante qu’une vie peut offrir. Avons-nous mérité ça ? Ne sommes-nous pas ce peuple qui, à une période de l’histoire, éclairait par sa civilisation et son alphabet le Moyen-Orient ?

Aujourd’hui, l’espoir d’un éventuel retour se consume à petit feu au vu des constantes politiques qui dirigent ce pays. Pitié, abreuvez-moi d’une politique en faculté d’émettre des moyens applicables, honnêtes et efficaces ! N’avons-nous pas cette fibre intellectuelle pour changer les dynamiques que le peuple libanais espère depuis des années ?

Sur les médias locaux, l’actualité quotidienne de la pandémie se mêlait aux discours pathétiques des dirigeants politiques, me laissant un amer goût de déjà-vu. L’annonce du retour des expatriés venus passer les fêtes de fin d’année résonnait comme un soulagement presque angélique. Ils arrivent avec des valises remplies de médicaments pour cicatriser les plaies du pays. Ils arrivent avec leurs poches remplies de « fresh dollars » pour insuffler une bouffée d’oxygène à leurs proches plongés dans un coma économique, systémique. « L’espoir d’un grain de changement repose sur vous ! » me confie un jour une amie libanaise. Voter ! Une action tellement simple, tellement fondamentale pour notre système. Et j’y pense d’une manière fantasmatique… L’enjeu est désormais l’existence du Liban en tant que peuple, en tant que nation, en tant qu’État. Voter par solidarité avec nos familles et nos proches, par devoir envers ceux qui ont versé leur sang pour la survie de ce pays. Voter pour ces enfants non scolarisés, ces jeunes sans emploi, ces vieux affamés et maltraités, ces malades non soignés et, surtout, ce peuple non respecté.

Je repars vers Paris le cœur rempli d’amertume. Quinze ans que je fais ces allers-retours. On ne s’habitue jamais à ce genre de départ. Dans ma valise, j’ai emporté un petit morceau de mon Liban : du zaatar tout frais qui parfumera mes placards de cuisine, de la labné qui ravira mes papilles en exil.

« Alors, ma chérie, comment va Beyrouth ? » Beyrouth saigne et son peuple pleure de l’intérieur. Il y a de ces souffrances qui font grandir dans l’épreuve, de ces tragédies qui sont en vous, qui sont en nous. Et quand l’aube d’un nouveau lendemain a rendez-vous avec cette terre engraissée par ses morts, Beyrouth renaîtra de ses cendres en hommage à ses victimes, en hommage à ce peuple immortel et formidable uni dans la joie et dans les peines.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« Alors, ma chérie, comment va Beyrouth ? » Les mots de mon petit ami restèrent suspendus à l’autre bout du fil. Le silence était à l’ordre du jour, le temps de plusieurs respirations. Sans le savoir, sans doute par compassion, il entendait parler de « la situation ». La médiatisation internationale qui gravite autour du Liban le situait au sein d’une certaine...

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