Malgré le niet des principales composantes du pays, Michel Aoun ne veut pas s’avouer vaincu. Déterminé à réunir tous les protagonistes pour un « dialogue national urgent » afin de sauver les mois restants de son sexennat de la crise institutionnelle qui le paralyse, le chef de l’État est passé outre les camouflets successifs infligés à son initiative. Au palais présidentiel, il a entamé hier des entretiens individuels avec plusieurs chefs de file politiques, dans le cadre des « préparatifs » pour l’éventuelle tenue du dialogue. Selon des informations rapportées par notre correspondante à Baabda Hoda Chédid, le chef de l’État ne se prononcera pas sur le maintien ou l’annulation de son initiative avant la fin de ces entretiens, qui doivent se poursuivre aujourd’hui avec d’autres chefs de file du même bord politique que le camp de la présidence.
C’est le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, qui a ouvert le bal. À l’issue de son entretien avec le président, il a réitéré que le parti chiite est « en faveur du dialogue », estimant que tout appel à une telle initiative « en temps de pressions et de surenchères est plus que nécessaire », selon des propos rapportés par Baabda. « En temps de détresse, le dialogue ne doit pas être interrompu dans le pays (...) Nous appelons nos partenaires à faire preuve de raison et abandonner les surenchères, parce que nous devons protéger notre pays et ne pas l’emmener au fond du gouffre », a-t-il ajouté. S’il soutient publiquement l’initiative présidentielle dans une tentative de calmer les tensions avec son allié chrétien, le Hezbollah refuse de mettre sur la table la stratégie nationale de défense, un des trois dossiers (avec le plan de relance économique et la décentralisation administrative et financière élargie) autour desquels Michel Aoun voudrait axer le débat.
Le chef de l’État s’est par la suite entretenu avec le chef du Parti démocratique libanais, Talal Arslane, également un de ses alliés politiques qui, indique la présidence, a estimé que la crise actuelle « est un crime à l’égard des Libanais ». « Cet affaissement économique et financier, ainsi que l’absence de contrôle sur le (taux de change du) dollar exigent que tout le monde assume ses responsabilités », a-t-il plaidé. Il a dénoncé le « chaos dans les institutions constitutionnelles, qui a mené à une perte de confiance, ce qui risque d’avoir des répercussions négatives sur l’unité » du Liban. M. Arslane a assuré avoir répondu favorablement à l’appel de M. Aoun, afin que de « sérieuses réformes » puissent être envisagées. « Il est injustifiable de refuser un tel dialogue », a-t-il lancé, dans une critique indirecte au leader du Futur Saad Hariri et aux chef des Forces libanaises Samir Geagea qui ont d’ores et déjà annoncé leur boycott, mais aussi à son rival sur la scène druze, Walid Joumblatt, qui ne soutient pas l’initiative présidentielle.
Le « non » de Frangié
Michel Aoun a aussi reçu le chef du courant des Marada, Sleiman Frangié, son ancien rival à la présidentielle de 2016 avec qui les contacts étaient jusqu’à présent quasiment gelés. « Nous sommes toujours prêts à répondre aux invitations du président Aoun et n’avons aucun problème personnel avec lui. Au contraire, nous sommes même d’accord sur les questions stratégiques », a déclaré M. Frangié à sa sortie du palais présidentiel. S’il a affirmé qu’il était en faveur du dialogue au sens large, M. Frangié a souligné que celui-ci devait avoir lieu « entre deux parties aux avis divergents, et non pas appartenant au même camp, sinon il s’agirait uniquement d’un dialogue pour la forme ». « C’est pour cela que nous ne participerons pas à la table de dialogue », a-t-il souligné, précisant toutefois qu’il approuve d’ores et déjà toute prise de position adoptée à l’issue d’une telle réunion. Répondant aux questions de la presse, M. Frangié a salué le rôle du Hezbollah qui « œuvre pour de bonnes relations » entre le Courant patriotique libre (CPL, fondé par M. Aoun) et les Marada. Au sujet d’une éventuelle alliance électorale entre son courant et les aounistes en vue du scrutin législatif de mai, il a indiqué que « cela dépend si Gebran Bassil (le chef du CPL) voudrait s’allier avec des “corrompus” ». Les aounistes et les Marada se sont accusés, à plusieurs reprises, de corruption dans différents dossiers, notamment au cours des derniers mois en ce qui concerne l’affaire du « fuel frelaté » qui avait été livré à Électricité du Liban (EDL).
Relance du travail gouvernemental
Selon des sources de la présidence, aucune décision ne sera prise concernant la concrétisation de l’invitation au dialogue avant la fin des entretiens du chef de l’État, qui doivent se poursuivre aujourd’hui avec d’autres figures alliées, notamment des représentants des forces sunnites pro-Damas, du Parti syrien national social (PSNS), du Tachnag et le chef du CPL. Les discussions à Baabda ont abordé les manières de relancer le travail des institutions, particulièrement celui du gouvernement, paralysé depuis trois mois en raison de tensions entourant l’enquête sur les explosions au port. Si M. Arslane a insisté dans ce cadre auprès du chef de l’État sur la nécessité de tenir un Conseil des ministres, le député Raad a « souhaité que soient aplanis les obstacles » devant l’organisation d’une telle réunion. Comprendre que la revendication du Hezbollah d’un dessaisissement du juge Tarek Bitar soit entendue.
Si Michel Aoun exige depuis des semaines le retour des ministres autour de la table du Conseil, le Premier ministre Nagib Mikati refuse de convoquer son équipe tant qu’un compromis n’aura pas été trouvé. Il avait pourtant annoncé en fin de semaine dernière un semblant de déblocage, sur la base d’un compromis concernant entre autres l’ouverture d’une session extraordinaire du Parlement, mais les ministres chiites refusent jusqu’à présent de lâcher du lest. C’est dans cette perspective que doit être compris le nouveau coup de pression opéré lundi par Baabda concernant la reprise du travail du gouvernement, qui doit débloquer plusieurs dossiers, notamment celui du renouvellement des contrats d’entrepreneurs, ouvriers et journaliers travaillant pour l’État, dont les salaires sont retenus dans l’attente d’une approbation de l’exécutif. La présidence s’était défendue de « geler » la signature de décrets relatifs à cette affaire, exhortant le cabinet à se réunir pour la résoudre, à l’instar d’autres dossiers « urgents en attente ».
Ce pauvre président qui a lui même donné les bâtons à ses ennemis pour se faire taper avec, ne peut que se lamenter sur sa prétention démesurée et son acharnement pour occuper ce poste trop exigeant et trop compliqué pour sa petite personne. Il a vite atteint son plafond en matière d’intelligence et de malice et s’est fait gobé dès la première difficulté. On ne s’improvise pas président de la république, il l’a appris à nos dépens malheureusement. Espérons qu’un jour il sera juge pour tout ce qu’il a fait subir à ce pays et à son peuple.
15 h 40, le 12 janvier 2022