Gebran Bassil est déterminé à reprendre le chemin de Damas. Lors de sa dernière allocution, dimanche, le chef du Courant patriotique libre (CPL) l’a affirmé sans ambages : « Si ma visite (en Syrie) peut aider, je suis prêt à le faire, avant même les élections législatives. » Son projet de renouer les liens avec le régime de Bachar el-Assad ne date pas d’hier. À l’été 2018, deux membres du gouvernement Hariri, Hussein Hajj Hassan (Hezbollah) et Ghazi Zeaïter (Amal), s’étaient rendus à Damas pour encourager la normalisation du Liban officiel avec la Syrie. À l’époque, Gebran Bassil avait l’intention de leur emboîter le pas, mais souhaitait le faire de façon discrète. « Le régime syrien avait refusé, conditionnant la rencontre à un registre officiel », commente un responsable du Hezbollah, ayant requis l’anonymat.
Le leader chrétien n’était pas encore sous sanctions américaines et un tel périple dans la Syrie des Assad aurait pu avoir pour lui des conséquences négatives. Le camp présidentiel maintenait toutefois des contacts avec le régime syrien via l’ancien ministre Pierre Raffoul. Quelques mois plus tard, le chef du CPL ne cachait plus ses desseins. Dans un discours indiciaire, prononcé à l’occasion de la commémoration du 13 octobre 1990, date de l’éviction de Michel Aoun du palais de Baabda, il affirmait « vouloir se rendre en Syrie pour que les (réfugiés) syriens y retournent ». L’éclatement du soulèvement populaire le 17 octobre a néanmoins bouleversé ses plans.
« Aoun ne peut pas, mais Bassil peut le faire »
La situation a depuis largement évolué. Placé sur liste noire américaine, Gebran Bassil a beaucoup moins à perdre. Son parti est isolé, ayant pour seul allié le Hezbollah avec qui les relations sont en dents de scie, et il a besoin d’appui externe. L’ancien occupant, celui contre lequel son beau-père Michel Aoun avait combattu lors de sa « guerre de libération », semble être un appui de taille à ses yeux. Selon des informations obtenues par L’OLJ, le chef de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, et le directeur de la Sûreté de l’État, Tony Saliba, ont joué ces derniers mois les intermédiaires entre Baabda et le régime syrien. Tony Saliba a même effectué deux visites à Damas afin de préparer celle de Gebran Bassil, a appris L’OLJ auprès d’une source sécuritaire. La date de la rencontre n’a pas encore été fixée.
Le principal objectif de M. Bassil, selon un responsable du CPL, est de « réaliser des progrès sur le dossier des réfugiés ». Le Liban compte plus d’un million de réfugiés syriens et le CPL a fait de leur retour l’un de ses sujets de prédilection. Le camp présidentiel pense pouvoir gagner des points au sein de l’opinion chrétienne s’il parvient à obtenir des engagements du régime à ce sujet. Mais d’une part, la majorité des réfugiés ne souhaite pas rentrer tant que Bachar el-Assad est au pouvoir, pour des raisons essentiellement sécuritaires ; d’autre part, le régime lui-même ne montre aucune volonté de les « récupérer », malgré la pression de son parrain russe. « Il s’agira aussi de discuter du renforcement de la coopération commerciale et agricole entre les deux pays dans une vision incluant le Liban, la Syrie, l’Irak et la Jordanie », ajoute le responsable du CPL.
Le président et son gendre sont convaincus que le régime syrien va faire son retour sur la scène régionale, en normalisant ses relations avec les autres pays arabes. La Jordanie a effectivement sauté le pas et les Émirats arabe unis font le forcing dans ce sens. C’est dans cette perspective que le camp aouniste souhaite renforcer ses liens avec le régime. « Aoun ne peut pas rencontrer Assad en personne, compte tenu de la position des Occidentaux, mais Bassil, déjà sous sanctions US, peut le faire », dit un habitué du palais. Le chef du CPL fait aussi un autre calcul. « Il cherche une autre couverture, alors que celle que lui donne le Hezbollah s’effrite », dit un homme politique de premier plan, opposé au camp aouniste.
Assad contre Berry
Dans la perspective de la course à la présidentielle, Damas pourrait avoir son mot à dire. « Bassil a peur qu’Assad soutienne la candidature de Sleiman Frangié (NDLR : son allié de longue date) et l’écarte dès le départ », dit l’homme politique précité. « Il veut s’assurer qu’il est dans la course », ajoute-t-il. Les détracteurs du chef du CPL l’accusent par ailleurs de vouloir jouer la « carte Assad » contre le président du Parlement, Nabih Berry, ancien favori du régime aujourd’hui en disgrâce à Damas. Le chef d’Amal et le camp présidentiel sont en guerre ouverte depuis des années, guerre qui s’est intensifiée au cours de ces derniers mois.
Du côté du Hezbollah, on regarde la manœuvre avec circonspection. « Bassil veut traiter les affaires internationales comme les affaires internes. Mais cela n’est pas possible avec le régime syrien », dit un haut cadre du parti. Si Bachar el-Assad pourrait se satisfaire d’endosser à nouveau le costume d’arbitre des affaires libanaises, il le fera certainement à ses conditions qui ne seront probablement pas les mêmes que celles de M. Bassil, surtout que ce dernier n’est pas pour le régime un allié de premier plan.
commentaires (28)
Qu'est-ce qui changerait si Gebran Bassil devenait président de la République? Ne l'est-il pas de facto depuis 2016? S'il devanait président en 2022, on le verrait bien dire, en 2028, "ma khallouna" (On ne nous a pas laissé [travailler]) et jouer à la victime.
Youssef Najjar
20 h 16, le 07 janvier 2022