Critiques littéraires Témoignage

Le silence des reclus

Une dizaine d’auteurs témoignent de l’expérience inédite qu’ils ont vécue lors de l’été 2021 : passer plusieurs jours au plus près des reclus bénédictins de l’abbaye de Lagrasse près de Carcassonne.

Il faut imaginer Pascal Bruner, philosophe ; Sylvain Tesson, grand voyageur ; Frédérique Beigbeder, dandy ; ou Jean-Marie Rouart, Académicien, plus quelques autres auteurs dont Simon Liberati, Camille Pascal, Franz-Olivier Giesbert, Sébastien Lapaque ou Thibault de Montaigu venir par un beau soir d’été toquer à la porte de l’abbaye de Lagrasse, enceinte majestueuse et quelque peu austère, oasis de paix du massif des Corbières, entre Narbonne et Carcassonne. Rien qu’à découvrir la bâtisse, l’imagination s’enflamme. On pense aux Cathares, au secret des Templiers, à l’énergie de la foi qui donne aux croyants la puissance d’agir.

Cette idée originale – celle de faire se rencontrer le monde des reclus avec quelques écrivains devenus des personnages publics – on la doit à l’éditeur Nicolas Diat. Il connaît le lieu et les hommes depuis presque dix ans. Il se dit que leur travail colossal (rénover le lieu, assister les plus démunis, soutenir les malades et surtout se consacrer quotidiennement à la quête de Dieu) devrait être plus connu. Mais au lieu d’en faire publicité – publicité que les moines bénédictins ne réclament certainement pas –, ne serait-il pas plus intéressant de faire venir le monde ici ? Faire toucher du doigt ce qui s’y trouve et ce qui s’y joue. Confronter ceux du dehors à ceux du dedans. « En entrant dans un monastère, il faut abandonner les critères du monde. Le religieux est un homme dépouillé, concentré sur les réalités d’en haut, détaché des affaires terrestres. Sa vie n’est plus que la nôtre. »

De leur propre aveu, ils ont eu un peu de mal à se « mettre dans l’ambiance ». Passer du monde extérieur, cacophonique à l’extrême, au quotidien économe et tempéré des moines n’est pas chose facile. Pour les quatorze auteurs participants, cela relève déjà de l’expérience sacerdotale. « Que l’on soit croyant ou non, constate Pascal Bruckner, arriver à Lagrasse pour quelques jours, partager la vie des frères, c’est subir une immersion instantanée dans une société aux antipodes de la nôtre : le silence en lieu et place du bruit, la frugalité plutôt que l’abondance, la coupure plutôt que la connexion. »

Le même Pascal Bruckner sortira de cette expérience frappé « par le degré de connaissance et d’érudition des frères qui savent beaucoup de la vie culturelle française et internationale, semblent avoir tout lu et me paraissent plus lucides, à certains égards, que bien de nos intellectuels ». Il se remémore aussi comment il s’est remis à communier en 2016 pour une messe donnée au Kurdistan pour soutenir les chrétiens d’Orient et les yazidis. Redécouvrir que prier est un acte, voilà une autre façon d’être connecté.

Pour Boualem Sansal qui se dit athée et qui vivra l’expérience à distance en raison de la Covid, c’est le souvenir d’un frère disparu le jour de l’indépendance de l’Algérie qui s’invite dans ses souvenirs. Et auquel il pense. Pour Camille Pascal, c’est sous sa plume que dix pages d’un roman sur la fondation de l’abbaye sous Charlemagne naissent instantanément, miraculeusement allait-on dire. Abbaye : lieu inspirant. Pour Simon Liberati, des souvenirs de messe. « Enfant j’avais la foi du charbonnier, j’en ai gardé quelques lambeaux », confesse-t-il. Louis-Henri de La Rochefoucauld voit dans cette retraite une véritable « cure de jouvence » tandis que Jean-Paul Enthoven avoue une admiration et une « pointe d’envie » face à ces hommes toujours en adéquation avec leurs actes. Pour Jean-René van der Plaesten, des écrivains dans une abbaye, cela ne va pas sans rappeler le destin de Saint-Augustin ou de Charles de Foucault, tous deux des « noceurs devenus anachorètes ». Attention, ici tout peut arriver. Et même Beigbeder de capituler au terme du séjour : « Je veux vivre au ralenti, comme eux, dans la douceur. »

Pour chacun cette retraite aura été une expérience singulière dont les pages éditées dans ce livre seront l’acte de foi. À l’abbaye de Lagrasse, durant trois jours et trois nuits, se confronter à la solitude, au silence, à la règle, avoir la chance de revenir à soi-même, au plus profond de soi-même. Comme le dit Xavier Darcos, le monastère est « le lieu de l’expérience spirituelle la plus individuelle, la plus insaisissable et parfois la plus inattendue ». Trois jours et trois nuits, le grand voyage des écrivains à l’abbaye de Lagrasse est déjà un livre culte !

Trois jours et trois nuits (ouvrage collectif), Fayard/Julliard, 2021, 360 p.

Il faut imaginer Pascal Bruner, philosophe ; Sylvain Tesson, grand voyageur ; Frédérique Beigbeder, dandy ; ou Jean-Marie Rouart, Académicien, plus quelques autres auteurs dont Simon Liberati, Camille Pascal, Franz-Olivier Giesbert, Sébastien Lapaque ou Thibault de Montaigu venir par un beau soir d’été toquer à la porte de l’abbaye de Lagrasse, enceinte majestueuse et quelque peu...

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