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Moyen-Orient - Anniversaire

Quinze ans après son exécution, la nostalgie des années Saddam

Malgré la multitude de crimes de guerre et contre l’humanité commis sous son règne, la figure de l’ancien raïs bénéficie toujours d’une certaine popularité dans le monde arabe. En Irak, l’instabilité pousse une partie de la jeunesse à regretter une ère qu’elle n’a pas vécue.

Quinze ans après son exécution, la nostalgie des années Saddam

Saddam Hussein au cours de la guerre Iran-Irak. Photo AFP

C’était en 2006. Le 30 décembre plus exactement, vers six heures du matin. Dans une caserne des renseignements militaires à Bagdad, Saddam Hussein avance vers la potence. À ses côtés, l’un des trois bourreaux s’apprête à lui passer la corde au cou. L’ancien dictateur irakien, vêtu d’un long manteau noir, pieds et poings liés, semble serein, alors que dans la salle les insultes fusent. Les célébrations de Eid el-Adha selon le calendrier chiite doivent bientôt débuter et cette année, elles commencent par le spectacle du renversement symbolique des rapports de force qui s’opère depuis l’invasion américaine en 2003. L’homme qui a dirigé l’Irak d’une main de fer pendant près de trois décennies, mené des politiques génocidaires à l’encontre des Kurdes et discriminé de manière systématique les chiites se trouve alors en position de vulnérabilité, humilié, soumis à la vindicte d’un public qui semble apprécier cette revanche sur l’histoire. Autour de lui, des voix se lèvent pour glorifier le jeune clerc chiite Moqtada Sadr, fils d’un opposant notoire à l’ex-raïs – déchu en 2003 – et tête de proue de la rébellion contre l’occupation par Washington du pays. D’autres lui lancent des « Va au diable » tandis qu’il récite la chahada, son ultime acte de foi.

Et puis, c’est fini. Saddam Hussein est mort. Pendu. Le film de son exécution est rapidement diffusé sur la chaîne officielle quand d’autres vidéos amateurs prises sur le vif font le tour du monde arabe.

« Nation arabe »

Quinze ans après sa disparition, l’héritage de l’ex-président irakien suscite des réactions populaires ambivalentes. Pour des franges non négligeables du monde arabe sunnite, il est encore perçu comme un héros, un chef d’État qui a su tenir tête à la fois à la République islamique chiite et aux États-Unis. En Irak, alors que la majorité de la population a moins de 29 ans, une partie de la jeunesse – y compris chiite – regrette une ère qu’elle n’a pas vécue, mais qu’elle estime ne pas pouvoir être pire que son présent.

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Indéniablement, les conditions du supplice infligé à l’ex-raïs ont renforcé, dans l’esprit de certains, la stature qu’il s’était forgé d’héros anti-impérialiste, défenseur de la « nation arabe » face aux États-Unis, mais aussi à Israël. Nombreux sont ceux qui en Jordanie ou en Palestine gardent en mémoire les tirs par ses forces armées de missiles Scud sur l’État hébreu au cours de la guerre du Golfe en 1991, dans une région où les régimes proches de Washington provoquaient la colère pour leur inaction, voire leur complaisance. En février 2001, Saddam Hussein avait même annoncé la formation d’une nouvelle force paramilitaire, Jaysh el-Qods, pour laquelle nombre d’Irakiens chiites et kurdes ont été recrutés de force et dont le but affiché était de libérer la ville sainte de Jérusalem.

« Chez les Palestiniens, comme partout ailleurs, les gens ont tendance à développer leur évaluation des personnalités politiques arabes en fonction de leur propre position ou idéologie politique. Ainsi, les anti-impérialistes de gauche ont tendance à voir Saddam comme un nationaliste arabe qui s’est opposé à l’Amérique et à Israël et qui s’est fait entendre de manière militante dans son opposition à Israël. Cela a éclipsé les doutes concernant l’oppression de Saddam contre son peuple et ses aventures et guerres désastreuses, commente l’écrivain palestinien Hassan Khader. Quant aux islamistes, ils fondent leur jugement sur une base confessionnelle, bien que le Hamas et le Jihad islamique aient tendance à ignorer leurs préjugés sectaires afin de ne pas perdre les bénéfices de leur relation avec l’Iran. »

« Aucun souvenir »

A priori, il peut être difficile de comprendre comment l’homme qui a entraîné l’Irak dans une guerre de huit ans contre l’Iran – au prix d’un million de morts des deux côtés – et conduit à sa mise au ban de la communauté internationale par son aventurisme au Koweït peut encore susciter une certaine ferveur populaire. Comme si la campagne de Anfal en 1988 contre la population kurde irakienne n’avait pas eu lieu, tout comme l’attaque chimique contre les civils dans la ville de Halabja, ou encore la destruction, dans les années 90, des terres des Arabes chiites des Marais, ou encore l’écrasement dans le sang des rébellions kurde et chiite en 1991. Ce, surtout, quand la nostalgie touche la population irakienne elle-même. Et pourtant. En renversant Saddam Hussein, en le soumettant à une justice inéquitable et chaotique, en mettant en place un système politique explicitement confessionnel et en marginalisant la communauté sunnite autrefois dominante, l’administration Bush au pouvoir aux États-Unis a largement contribué au renforcement des tensions en Irak et dans la région entre sunnites et chiites, creusant un fossé qui existait déjà auparavant, mais que l’ex-raïs irakien dissimulait derrière un discours nationaliste et panarabe.

Depuis 2003, les Irakiens composent avec une classe politique corrompue et sectaire, ont connu deux guerres civiles confessionnelles, le règne macabre de l’État islamique, ainsi que la mainmise iranienne sur leur pays. Selon la Banque mondiale, la population irakienne est l’une des plus jeunes au monde – près de la moitié de la population aurait moins de 19 ans et environ un tiers entre 15 et 29 ans (2020) –.

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Or cette génération n’a pas connu l’ère baassiste. Elle n’a même pas eu le temps de fouiller dans cette histoire tant les catastrophes s’accumulent depuis sa naissance. « Je n’ai aucun souvenir de Saddam Hussein. Je suis née à peine quatre ans avant qu’il ne soit renversé. Mais je sais que c’était un monstre, comment il nous a visés en tant que chiites. C’est juste qu’autour de moi, beaucoup d’amis s’interrogent. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux un grand monstre avec qui les lignes rouges sont claires qu’une bande de petits gangsters ? » confie Arwa, 22 ans. Originaire de Bagdad, elle fait partie des milliers d’Irakiens qui ont participé à l’intifada d’octobre 2019 pour réclamer une patrie qui manque cruellement à leurs yeux.

« Après 2003, le peuple irakien a été confronté à de nouveaux défis et n’a pas eu assez de temps pour comprendre ce qui lui arrivait. Les gens faisaient face à des crises quotidiennes. Et soudain, le règne de Saddam a semblé lointain. Les perceptions ont changé et les gens ont commencé à se poser des questions sur l’avenir plutôt que sur le passé, résume Muhammed el-Waeli, commentateur politique. Une grande partie des jeunes sont nés au cours des dernières années du règne de Saddam Hussein ou après sa chute, et ils n’ont donc aucune idée de ce que c’était de vivre sous lui. Ils pourraient penser que c’était mieux parce que ce qu’ils voient aujourd’hui n’est pas bon. »

Modernisation

Dans un article publié en 2018 sur le site de War on the Rocks, la chercheuse Marsin Alshamary revient sur les racines de cette « nostalgie autoritaire » au sein de la jeunesse, en se fondant notamment sur ses observations au cours d’un voyage dans le centre et le sud du pays, à travers ses discussions avec des jeunes en grande majorité arabes de confession chiite. « Beaucoup semblent impressionnés par le fait que l’Irak, par contraste avec sa difficulté à repousser l’EI, avait autrefois la plus grande armée du monde arabe, qui a entretenu une guerre de près de dix ans avec l’Iran. Les idées de contrôle strict, de bureaucratie efficace et de punition pour les infractions les attirent. Ils soulignent le rôle de Saddam en tant que leader fort dont ils seraient prêts à tolérer les excès au nom de la stabilité et de la reconquête de leur réputation de puissance régionale », écrit-elle, ajoutant que cet intérêt pour la figure d’un homme fort est également nourri par des aspirations économiques et sociales importantes. Selon la Banque mondiale, le chômage des jeunes cette année s’est élevé à 36 %. « Avant la guerre du Golfe en 1991, on avait le meilleur système de santé du monde arabe. O.K., ce n’était pas parfait. Mais est-ce que c’était vraiment pire qu’aujourd’hui ? La démocratie, ce n’est peut-être pas fait pour nous », confie Ahmad*, 25 ans, originaire de Najaf, qui insiste sur le rôle modernisateur que Saddam Hussein a joué au début de son règne. Lui ne s’est pas rendu aux urnes lors du scrutin d’octobre à l’issue duquel le mouvement sadriste est arrivé largement en tête. « Ils prennent leur temps pour former le gouvernement, mais finalement, quel que soit le résultat, on prend les mêmes et on recommence », soupire-t-il.

Portrait

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« Le nouveau système n’a pas fait un bon travail pour documenter et discuter de ce qui s’est passé sous le règne de Saddam Hussein. D’autant que nous n’avions pas accès aux archives du Baas, qui se trouvaient aux États-Unis et qui ne nous ont été que récemment retournées », souligne Muhammed el-Waeli. Cette restitution, en septembre 2020, de près de 5 millions de pages de documents internes avait suscité le débat en Irak, certains craignant qu’elle puisse raviver des haines et des rancœurs qui ne se sont pas encore taries, faute de véritable processus de réconciliation nationale. Pour d’autres, au contraire, il est plus que temps de regarder ce passé dans les yeux, pour éviter qu’il ne se reproduise.

* Le prénom a été modifié.

C’était en 2006. Le 30 décembre plus exactement, vers six heures du matin. Dans une caserne des renseignements militaires à Bagdad, Saddam Hussein avance vers la potence. À ses côtés, l’un des trois bourreaux s’apprête à lui passer la corde au cou. L’ancien dictateur irakien, vêtu d’un long manteau noir, pieds et poings liés, semble serein, alors que dans la salle les insultes...

commentaires (4)

Les occidentaux et les américains en particulier ont offert des mirages ... qu'est ce que les Irakiens ont récolté après la disparition certes d'un dictateur ? une vie bien pire qu'avant, la misère une guerre sans fin et l'Iran qui a posé ses jalons dans ce pays. Ils ne sont pas à blâmer, je les plains.

Zeidan

19 h 36, le 01 janvier 2022

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Commentaires (4)

  • Les occidentaux et les américains en particulier ont offert des mirages ... qu'est ce que les Irakiens ont récolté après la disparition certes d'un dictateur ? une vie bien pire qu'avant, la misère une guerre sans fin et l'Iran qui a posé ses jalons dans ce pays. Ils ne sont pas à blâmer, je les plains.

    Zeidan

    19 h 36, le 01 janvier 2022

  • Probablement que le plus grand "crime" de Saddam était de ne pas avoir plié l'échine devant les occidentaux. L'Iraq était un état laïc, moderne et le voilà revenu au Moyen-Age : partout où passent les Américains et leurs serviteurs occidentaux, il ne reste que ruines et désolation. On n'oublie pas qu'ils ont excité à mort les "printemps arabes", pour le résultat qu'on connaît.

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 17, le 31 décembre 2021

  • LA DEMOCRATIE N,EST PAS COMPATIBLE AVEC LES ARABES ET L,ISLAM. SEULS LA DICTATURE ET LE DESPOTISME LE SONT. QU,ETAIENT BONS L,EGYPTE DE MOUBARAK, LA LYBIE DE GHADDAFI, L,IRAQ DE SADDAM, LE YEMEN DE SALEH ET LA SYRIE D,ASSAD ETL,ALGERIE DE BOUTEFLIKA ET LA TUNISIE DE BEN ALI ETC... AVANT QUE LES OCCIDENTAUX N,Y VEULENT EN FAIRE DES DEMOCRATIES POUR LES DETRUIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 53, le 31 décembre 2021

  • Malgré ses défauts Saddam Hussein était à la tête d'un état laïc avec des Sunnites , des Chiites et des Chrétiens ; ce qui gênait les Alliés locaux des USA !

    yves gautron

    05 h 09, le 31 décembre 2021

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