
Vue sur la Corniche de Beyrouth. Photo d'illustration Houssam Chbarro
C’est presque un petit miracle dans cette crise qui s’éternise depuis plus de deux ans. Cancre invétéré en matière de discipline budgétaire, le Liban a néanmoins réussi l’exploit d’afficher un solde excédentaire à l’issue des six premiers mois de 2021.
Une première depuis au moins 21 ans, selon les chiffres du ministère des Finances qui ne remontent que jusqu’à 2000, et selon lesquels la différence entre les dépenses publiques et les revenus de l’État affichait immanquablement un solde négatif à chaque premier semestre de chaque exercice budgétaire enregistré sur cette période. Cette situation est confirmée par la récente dernière mise à jour de ces données, mais qui une fois de plus ne traduit pas une réelle amélioration de la gestion des deniers publics par des autorités phagocytées par la corruption et paralysées par les sempiternelles tensions politiques.
Pour en revenir aux chiffres, le solde budgétaire a affiché un excédent de 281,42 milliards de livres à fin juin (soit 186,68 millions de dollars au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar), contre un déficit de 3.351,68 milliards de livres atteint sur la même période un an plus tôt (2,22 milliards de dollars). Or jusqu’à mai, ce solde était déficitaire, avec un trou de 434,41 milliards de livres (288,2 millions de dollars), en baisse de 85,6% par rapport à celui de l’année précédente, toujours en glissement annuel. A noter que le taux officiel a été largement dépassé par le niveau réel de la livre depuis le début de la crise (27.200 livres pour un dollar, samedi 25, selon lirarate.org), poussant le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, à admettre dans un entretien publié par l'AFP le 21 décembre que cette parité qui avait tenu pendant au moins 25 ans n’était plus “réaliste”.
Quels qu’en soient les moteurs, la dynamique affichée par les finances publiques à fin juin est mise en exergue de manière assez opportune à un moment où la classe dirigeante doit cocher un certain nombre de cases pour convaincre le Fonds monétaire international (FMI) de l’utilité d’entamer des négociations devant aboutir au déblocage d’une aide destinée à financer un début de sortie de crise. Le pays a approché l’organisation en mai 2020 mais a jusqu'ici échoué à véhiculer une image d’interlocuteur crédible, que ce soit au niveau de la présidence de la République, du Parlement, du gouvernement, de la banque centrale, ou de l’Association des banques du Liban.
Baisse des avances du Trésor à EDL
L’examen des chiffres permet de signaler que l’excédent budgétaire dégagé à fin juin a représenté 3,22 % des dépenses publiques totales. Ces dépenses ont en outre affiché une baisse de 15,3% en un an pour atteindre 8.729,37 milliards de livres (5,79 milliards de dollars). La baisse est de 6,83% par rapport au niveau atteint à fin juin 2019, soit avant le début effectif de la crise. Le recul des dépenses publiques est en partie lié à celui des « dépenses générales », qui s’élèvent à 6.372,88 milliards de livres (4,23 milliards de dollars) à fin juin, en baisse de 9,89% en glissement annuel.
Une tendance à laquelle contribue la réduction draconienne des avances du Trésor à Électricité du Liban (EDL), en chute libre (-20,78%) à fin juin, avec un total de 517,82 milliards de livres (343,50 millions de dollars). Elles ne représentent que 5,93% des dépenses publiques sur les six premiers mois de 2021. L’avant-projet de budget pour 2021 – toujours pas adopté – tout comme le budget 2020, a réservé 1.500 milliards de livres (environ 1 milliard de dollars) en tant qu’avances du Trésor à EDL pour lui permettre de financer ses achats de carburant (les tarifs d’électricité étant gelés depuis le milieu des années 1990). Cette enveloppe est en nette baisse (-40%) par rapport à celle incluse dans le budget pour 2019.
La réforme du secteur de l’électricité fait partie des grands chantiers demandés par les soutiens du Liban comme le FMI, la fonte de ces avances s’apparentant davantage à une destruction en règle de l’établissement public, dont le siège a en plus été soufflé en août 2020 par la dramatique explosion au port de Beyrouth. Non seulement cette baisse a obligé les abonnées d'EDL à subir des coupures de courant de plus en plus massives depuis 2019, mais elle a en plus fait exploser les factures des générateurs privés en raison de la levée progressive des subventions, sur le carburant mises en place depuis octobre 2019 par la BDL et financées à travers ses réserves.
Pour résumer, l’État semble avoir choisi de sacrifier la capacité du fournisseur public à produire du courant au profit des générateurs privés. Les tarifs du premier sont en effet figés depuis début 1990, son processus de collecte des factures est défaillant dans certaines régions et le produit de ses factures est déprécié à cause de la chute de la livre. Si les autorités ont toujours rechigné à majorer les prix d'EDL et échoué à lutter contre les vols, elles n’ont en revanche jamais réellement élevé le ton face aux différentes hausses des tarifs des générateurs validées par le ministère de l’Énergie et de l’Eau ces derniers mois pour répercuter la dépréciation de la livre, sur fond de chantage au durcissement du rationnement voire l’extinction totale des feux.
Une TVA dopée par l’inflation
Le rééquilibrage de fortune des finances publiques trouve aussi sa source dans l’augmentation des recettes de l’État, de l’ordre de +29,56% sur cette même période, à 9.010,79 milliards de livres (près de 5,98 milliards de dollars). En effet, les recettes fiscales ont enregistré une hausse (38,05% sur la même période à 6.938,01 milliards de livres, ou 4,6 milliards de dollars), dopée surtout par une augmentation de 118,89% des revenus de la TVA (qui passent à 1.862,49 milliards de livres ou 1,23 milliard de dollars). Un constat qui s’explique principalement par la flambée des prix – avec une inflation à 201,07 % à fin novembre, en glissement annuel –sur lesquels s’applique le taux de 11 % dans le cadre de cette taxe.
Au niveau des recettes non-fiscales, les revenus du secteur des télécoms affichent, eux, une augmentation de 173,81% par rapport à la même période l’an dernier pour atteindre 821,43 milliards de livres (soit 544,90 millions de dollars). Le surplus primaire (sans compter le service de la dette) s’est élevé à 1.736,3 milliards de livres (soit 1,15 milliard de dollars), alors que sur les six premiers mois de 2020, ce solde était déficitaire de 1.320,88 milliards de livres (soit 876,21 millions de dollars).
À juin 2021, le paiement des intérêts (de la dette en livres et en devises) s’est élevé à 1.359,25 milliards de livres (901,66 millions de dollars) et celui du principal en devises a atteint 95,64 milliards de livres (63,44 millions de dollars), soit un total de 1.454,89 milliards de livres (965,1 millions de dollars). Ceci représentait 16,67% des dépenses publiques, alors que ce pourcentage était de 19,70% à fin juin 2020 (2.030,80 milliards de livres, soit 1,35 milliard de dollars). Le Liban a fait défaut sur sa dette en devises en mars 2020 sans l’avoir restructurée, les discussions avec les créanciers étant elles aussi au point mort. Si le gouvernement de Nagib Mikati est actuellement en train de plancher sur un budget pour 2022, il est déjà hors des clous concernant les délais constitutionnels qui imposaient à ce stade que le projet de loi de finance soit déjà validé par le Conseil des ministres et qu’il soit au moins en train d’être débattu par le Parlement.
Une première depuis au moins 21 ans, selon les chiffres du ministère des Finances qui ne remontent que jusqu’à 2000, et...
La véritable "première en 20 ans", c'est de devoir diviser par 20 le montant de cet invraisemblable "excédent" qui se résume à un effet de bord de l'inflation (une augmentation mécanique la TVA collectée).
22 h 19, le 27 décembre 2021