
Une affiche électorale représentant Nouhad Machnouk (g.) et Saad Hariri, candidats sur une même liste à Beyrouth II lors des législatives de 2018. « Vous êtes en de bonnes mains avec mon frère Nouhad », peut-on y lire. Joseph Eid/AFP
« La présidence du Conseil des ministres est inexistante depuis 2009 », déclarait en novembre dernier l’ancien ministre de l’Intérieur et député Nouhad Machnouk. Ces propos incendiaires de ce dissident du courant du Futur résument à eux seuls la profonde « frustration » sur la scène politique sunnite qui s’estime affaiblie tant au niveau local que régional, éclipsée par l’Iran chiite et son protégé libanais, le Hezbollah. 2009 est l’année qui a vu l’accession à la présidence du Conseil de Saad Hariri. Le fils de Rafic Hariri se voulait le prolongement du rôle joué par son père au Liban et dans la région depuis les années 90 et jusqu’à son assassinat en 2005, et la perpétuation de son legs politique. Aujourd’hui, et à quelques mois des législatives, Saad Hariri maintient le flou sur son avenir politique et celui du courant du Futur. Selon plusieurs sources concordantes, il envisagerait sérieusement de ne pas se présenter, laissant derrière lui un vide qui ravive les convoitises de ses rivaux, ces challengers jusque-là éclipsés par trois décennies de monopole haririen du leadership sunnite.
« Saad Hariri n’a pas réussi à faire ce qu’avait fait son père, qui a affaibli les familles politiques traditionnelles pour consolider sa position de leader de la communauté sunnite », estime Bassam Hammoud, responsable politique de la Jamaa islamiya au Liban-Sud. Moustapha Allouche, vice-président du courant du Futur, nie toute ambition hégémonique de la famille Hariri. « Les principales familles politiques ont maintenu leurs positions. À Tripoli, par exemple, plus ou moins la moitié des voix allait au courant du Futur, et l’autre moitié allait aux autres figures sunnites », explique-t-il.
Un portrait de Saad Hariri dans le quartier de Tariq Jdidé, à Beyrouth, à quelques jours des législatives de mai 2018. « Nous te serons toujours loyaux », pouvait-on y lire. Joseph Eid/AFP
La rhétorique anti-Hezbollah
Monochrome ou pas, force est de constater que plusieurs interrogations s’imposent quant à la solidité du leadership sunnite au Liban. Achraf Rifi n’y va pas par quatre chemins. « Le leadership sunnite est en train de s’effondrer », lance ce faucon sunnite du camp « souverainiste » et ex-ministre de la Justice entre 2014 et 2016, nommé par le courant du Futur. « Mais cela ne signifie pas la fin de la communauté », affirme-t-il à L’OLJ dans son bureau orné de portraits de Rafic Hariri et d’autres personnalités du 14 Mars assassinées. Pour l’ancien directeur des Forces de sécurité intérieure, connu pour sa relation en dents de scie avec le Futur, Saad Hariri a commis une longue série d’erreurs politiques, en étant trop conciliant avec le Hezbollah et ses alliés. Résultat, « la communauté ayant le poids démographique le plus important est aujourd’hui la plus faible ». Saad Hariri avait participé en 2005 à une alliance quadripartite avec le Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt d’un côté et le tandem chiite Amal-Hezbollah de l’autre. Il avait par la suite prôné pendant des années une stratégie de modus vivendi avec le Hezbollah, ce qui lui a valu le mécontentement de son parrain saoudien. En 2017, celui qui était alors Premier ministre avait même présenté sa démission depuis Riyad, où il aurait été séquestré par le prince héritier du royaume.
Aujourd’hui, ceux qui veulent hériter du leadership sunnite semblent vouloir avant tout tourner le dos à la politique relativement conciliante de Saad Hariri envers le parti de Dieu. « Il existe un appétit, libanais et arabe, pour la rhétorique anti-Hezbollah, ce qui explique la radicalisation du discours de certaines figures sunnites qui étaient auparavant plus en retrait », explique un député sunnite sous couvert d’anonymat. C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire l’activité menée par Baha’ Hariri, frère de Saad, qui, à travers son mouvement Sawa Li Loubnan, a commencé à avancer ses pions en amont des législatives.
Le ressentiment contre le Hezbollah s’est renforcé après les événements du 14 octobre dernier. Ce jour-là, des affrontements miliciens ont opposé à Tayouné, dans le sud de Beyrouth, des individus vraisemblablement proches des Forces libanaises chrétiennes à des manifestants du tandem chiite Amal-Hezbollah, faisant sept morts et des dizaines de blessés. Ces combats ont fait écho dans la mémoire collective au 7 mai 2008, quand le Hezbollah a pris d’assaut les quartiers de Beyrouth-Ouest et des villages de la montagne suite à la décision du gouvernement de Fouad Siniora d’amputer le mouvement chiite de son réseau de télécommunications parallèle. La communauté sunnite avait été particulièrement traumatisée par cet événement, son leadership n’ayant pas pu « défendre » les quartiers de Beyrouth contre la milice chiite. Contrairement à Samir Geagea, qui a parlé d’un « mini-7 mai chrétien » contre lequel les jeunes qui lui sont proches se sont « défendus ». Si, après l’affaire de Tayouné, le courant du Futur a remis en question le modus vivendi avec le parti de Dieu, Moustapha Allouche affirme que sa formation assume ses choix politiques. « Nous sommes attachés à la paix civile et au dialogue intercommunautaire. Que ceux qui veulent faire du populisme et risquer une guerre civile le fassent. Nous ne les avons jamais empêchés », martèle-t-il.
L’homme d’affaires et député de Beyrouth Fouad Makhzoumi ne le voit pas de cet œil. « Saad Hariri voulait être un partenaire du parti chiite, il a fini par devenir un pantin », lance celui dont le nom a été évoqué à plusieurs reprises pour le poste de Premier ministre sunnite. « Il faut profiter des élections de 2022 pour briser la majorité détenue par le Hezbollah et ses alliés au Parlement », suppute le magnat. Sauf que, indépendamment de la partie qui détient la majorité parlementaire, la pratique du système politique confessionnel au Liban se base, surtout depuis les accords de Doha en 2008, sur la logique du compromis entre les principaux protagonistes. Une logique qui s’est imposée dans le parcours de Saad Hariri. Ce qui pousse Achraf Rifi à estimer que le « véritable péché » de Saad Hariri, c’est le compromis présidentiel conclu en octobre 2016 pour mettre fin à deux ans et demi de vacance, du fait du blocage imposé par le Hezbollah et le Courant patriotique libre pour faire élire Michel Aoun à la magistrature suprême. Au terme de cet accord, l’ancien général maronite a accédé à Baabda et le leader du Futur est revenu au Sérail. « Le vide est bien meilleur que ce que l’on vit aujourd’hui. Il ne fallait pas utiliser cette excuse pour offrir le pays au camp iranien », lâche l’ancien ministre.
Même son de cloche de la part de Nouhad Machnouk. « Le compromis présidentiel était un péché et je regrette d’y avoir participé. Mais ce n’est pas l’origine du déclin de notre communauté », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. « Depuis que le gouvernement d’union nationale (de Saad Hariri) a été renversé en 2011 par le Hezbollah et ses alliés, le rôle du Premier ministre, le garant des équilibres politiques au Liban, n’est plus. La balance a penché vers le Hezbollah », explique l’ancien ministre. Dans son bureau aussi, les portraits de Rafic Hariri ne sont pas bien loin. Plus proche du père, cet ancien membre du courant du Futur s’éloigne de Saad Hariri après les législatives de 2018. Des proches du leader du Futur affirment alors que « les ambitions personnelles » de M. Machnouk sont derrière cette décision, ce que ce dernier conteste avec véhémence.
« Mini-leaderships »
Mais comment faire face au Hezbollah, ce puissant mouvement armé fort de 100 000 combattants, selon les chiffres présentés par son chef, et qui est parvenu, ces dernières années, à se rendre incontournable dans toute décision étatique ? Achraf Rifi reconnaît que le désarmement du groupe relève plus des puissances régionales que des Libanais, et qu’il faut éviter la confrontation armée. « Il faut qu’on empêche les éléments armés du Hezbollah de sortir des fiefs du parti en attendant un consensus régional sur son désarmement », estime l’ancien ministre. Nouhad Machnouk, lui, prône une approche plus frontale. « Il faut créer un front sunnite uni qui suspendra sa participation aux gouvernements, paralysant ainsi la vie politique jusqu’à obtenir des concessions de la part du parti chiite, lance-t-il. Je propose que ce front sunnite réclame l’inscription de la stratégie de défense nationale dans la déclaration ministérielle comme condition à sa participation dans tout futur cabinet. » Une coalition semble en effet être l’unique option face au paysage politique sunnite morcelé, duquel aucune figure de nouveau leader n’arrive à émerger. Même des figures concernées telles que Achraf Rifi et Nouhad Machnouk le concèdent et estiment que ce sont uniquement des « mini-leaderships », principalement locaux, qui vont voir le jour dans les régions sunnites. « Personne ne peut aujourd’hui se réapproprier le monopole du leadership sunnite, confirme Jamil Mouawad, chercheur en sciences politiques. La scène sunnite aujourd’hui ressemble plus à un groupe hétérogène où il existe des courants politiques et des orientations différentes, surtout en l’absence d’un soutien de la part d’une puissance régionale, principalement l’Arabie saoudite », analyse-t-il. Et d’ailleurs, pour M. Mouawad, il ne faut pas enterrer Saad Hariri de sitôt. « Le leader du Futur n’a pas encore tranché, mais même s’il ne se présente pas aux prochaines législatives, il restera probablement influent, du moins dans le futur proche », estime-t-il. Il est rejoint par Moustapha Allouche qui prévient contre le fatalisme de ceux qui annoncent précocement la mort du camp Hariri. « Le courant du Futur peut continuer d’exister, même si Saad Hariri ne se présente pas. La formation pourrait choisir une autre personnalité pour lui succéder. Je sais que sa tante, Bahia, est prête à assumer ce rôle », explique-t-il. Des sources concordantes affirment en effet que la tante de Saad Hariri redoute par-dessus tout la fermeture des portes de la maison familiale.
Fouad Siniora, une autre figure traditionnellement proche de la maison haririenne (il était l’ancien président du bloc parlementaire du Futur) mais qui se garde en retrait, est également présenté par certains observateurs comme un éventuel successeur à Saad Hariri sur la scène sunnite.
« La présidence du Conseil des ministres est inexistante depuis 2009 », déclarait en novembre dernier l’ancien ministre de l’Intérieur et député Nouhad Machnouk. Ces propos incendiaires de ce dissident du courant du Futur résument à eux seuls la profonde « frustration » sur la scène politique sunnite qui s’estime affaiblie tant au niveau local que régional,...
commentaires (9)
C'est si difficile que ça de trouver un homme sunnite qui en a ? A croire que oui.
Citoyen
17 h 14, le 11 décembre 2021