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Lifestyle - Rencontre

Sophie Fontanel, capitaine de la douceur

« Écrivaste », vaste au point de contenir en sa personne le monde des mots et celui de la mode, Sophie Fontanel vient de sortir « Capitale de la douceur »*, où elle incarne à elle seule le mystère des gens violentés qui n’ont jamais sombré dans la violence et qui, au contraire, ont fait le pari de la douceur.

Sophie Fontanel, capitaine de la douceur

Devant son désormais légendaire miroir, Sophie Fontanel s’habille de mots et fait parler la mode. Photo G.K.

Notre dernière rencontre avec Sophie Fontanel remonte à mars 2018. C’était à l’occasion de la sortie de son livre Une apparition (aux éditions Robert Laffont) dans lequel elle racontait comment, de but en blanc, elle avait décidé d’arrêter de se teindre les cheveux. Sauf qu’en s’abandonnant au temps qui passe, en se donnant le droit de vieillir, c’est-à-dire aussi en se rangeant de plein gré dans la catégorie des femmes que nos sociétés ne cessent d’invisibiliser, Sophie Fontanel avait, au contraire, eu l’impression « de finalement apparaître ». En ce sens, pour elle, ces mèches couleur de lune, c’était sa manière de s’illuminer. Forte d’une influence qui s’estime à près de 300 000 abonné(e)s rien que sur Instagram, elle était surtout devenue l’estampe d’une bande de blandes, des femmes à ce point libres qu’elles réussissent à retrouver leur juvénilité au milieu d’une coiffe blanche. Quatre ans plus tard, le rendez-vous est donné chez elle, dans son appartement parisien, à deux pas des Tuileries. Sophie Fontanel semble avoir le même âge que la première fois. Elle a mille âges, pense-t-on. Ou en fait est-elle sans âge ?


Devant son désormais légendaire miroir, Sophie Fontanel s’habille de mots et fait parler la mode. Photo G.K.

Les mots et la mode

Quatre ans plus tard, alors qu’elle pioche dans une boîte de friandises italiennes avec la drôlerie triomphante d’une petite fille, et qu’elle nous demande d’un air préoccupé, entre deux câlins au « chat à la voisine » qu’elle garde, « eh, dis-moi, le Liban ? » notre impression de la première rencontre se confirme. Sophie Fontanel est la tendresse personnifiée, et en même temps la personne la plus dénuée de niaiserie qui soit. Et c’est sans doute cela même qui a fait d’elle une figure à part, une curiosité, peut-être même un ovni dans le milieu de la mode. Quelqu’un qui a réussi à faire rimer deux mondes dont on a longtemps pensé qu’il était impossible qu’ils se rencontrent : le monde des mots et celui de la mode. Devant son désormais légendaire miroir, elle s’habille de mots et fait parler la mode. « La mode accompagne et reflète la modification de l’être et, au sens plus large, de l’époque. Et c’est ça qui m’intéresse. » Au terme influenceuse, elle préfère les adjectifs influente ou inspirante, « simplement parce que dans le temps, les figures de référence étaient les comédiennes qui luttaient contre la vieillesse. Or, ce que j’essaye de dire à travers ma personne, c’est à quel point ce chemin du temps est passionnant. Je pense que les femmes qui luttent avec des artifices, le botox et tout cela, finissent par se figer dans le temps plus qu’autre chose. Puis par vieillir d’un coup, comme ça. Il me semble que la meilleure façon de vieillir, c’est, au contraire, le mouvement ». Elle se dit plus « observatrice » que journaliste et elle s’est d’ailleurs choisi le nom d’écrivaste (en référence au terme inventé par Annette, héroïne de son avant-dernier roman Nobelle, aux éditions Robert Laffont) plutôt qu’autrice, un terme qui sied bien à l’étendue des phrases, des mots et des vers dont elle est gorgée. Dans son dernier ouvrage, Capitale de la douceur (aux éditions Seghers), Sophie Fontanel raconte l’île du Levant, au large de la Méditerranée, où dans les années 20 une communauté de naturistes s’installe en se consacrant à l’héliotropisme, une croyance dans le pouvoir de guérison du soleil sur le corps nu. L’écrivaste découvre cette île au cours de l’été 2020, dont seulement 5 % est occupée par les naturistes, le reste ayant été converti en base militaire. « Ce lieu m’a paru comme un miroir du monde. Cet îlot de douceur peut-il résister à la violence qui l’entoure ? » s’interroge-t-elle dans ce roman écrit en vers, « pour aérer mes phrases, et aussi parce que je pense que j’ai toujours été une poétesse censurée ». Lorsqu’elle finit par retirer ses vêtements sur l’île du Levant et qu’elle se retrouve à poil comme elle l’a refait récemment en couverture du magazine Elle, Sophie Fontanel choisit sa réponse, son camp.


Devant son désormais légendaire miroir, Sophie Fontanel s’habille de mots et fait parler la mode. Photo G.K.

Croire en l’homme

Elle va là où l’appelle la liberté, elle s’affranchit de tout, des codes et des tabous, hormis de l’essentiel : la douceur. « Livre après livre, ce sont des couches que je retire. Dans L’envie, où je racontais comment j’ai choisi d’arrêter le sexe, je retirais le mensonge sur la vie sexuelle, celui des gens qui se taisent parce qu’ils sont malheureux à ce niveau et que ça les embarrasse. Puis, avec Une apparition, je retirais ma teinture et le mensonge de l’âge. Là, je suis complètement nue parce qu’en fait, je crois que je cherche un point de paix », dit-elle en s’étalant sur les rayures de son sofa. Sauf que dans Capitale de la douceur, plus qu’une cartographie du monde, c’est un portrait de Sophie Fontanel qui court en filigrane par-dessus les vers, en forme de chanson. Capitaine de la douceur. On pense bien sûr à l’histoire familiale, « mon père qui a fait la guerre en réussissant à rester dans la non-violence et ma mère arménienne, surtout, qui a fui le génocide et qui m’a toujours expliqué que la clef, c’était la bonté en face de la cruauté ».


« Capitale de la douceur » de Sophie Fontanel, paru en octobre 2021 aux éditions Seghers.

Et puis on pense bien évidemment à une blessure personnelle dont Fontanel n’a longtemps pas su, ou pas pu, ouvrir le tiroir (ver)rouillé. À l’âge de « 15 ou 16 ans, je ne me souviens plus exactement de la date », elle est victime d’un viol. « J’avais du mal à employer le mot viol, je tournais autour, alors que je savais que j’avais un traumatisme. C’est en parlant avec la journaliste Lauren Bastide, dans le cadre de son podcast La poudre, que je me suis rendu compte de ce qui m’était arrivé. Même si j’en parle aujourd’hui ; même si, en quelque sorte, j’ai balancé mon porc, je ne déteste pas les hommes. Au contraire, je crois en l’homme, parce que c’est en croyant en l’homme qu’il changera un jour. » Quand elle prononce cette phrase, il nous paraît évident que Sophie Fontanel est en fait l’incarnation de son île du Levant, « ces 5 % de douceur enclavés dans 95 % de violence ». Elle est à elle seule le mystère, le miracle des gens violentés qui n’ont jamais sombré dans des failles de violence. Et de confirmer : « On pense qu’on tue les gens en leur faisant du mal. Mais souvent, cette violence déclenche une surprise en nous, un superpouvoir. C’est particulièrement cela qui me fascine chez les Libanais. Bien sûr, je me sens proche des Libanais parce que j’ai un fond oriental, le mélange de deux accents, le parler fantastique en rondeur, chantonnant, dans lequel j’ai baigné depuis l’enfance. Mais c’est autre chose qui m’émeut particulièrement chez vous. Le Liban m’a mise face à la colère, une colère immense quand je pense au meurtre de Lokman Slim par exemple, une colère immense quand je réalise que le monde n’a pas compris à quel point ce qui est arrivé le 4 août 2020 avec l’explosion au port de Beyrouth est dingue, impensable. En même temps, ce qui me remue, c’est de voir que les Libanais continuent de faire le pari de la non-violence, malgré tout. C’est fou, mais c’est ce qui les sauvera. Je veux le croire. »

Et si la Capitale de la douceur de Sophie Fontanel était, en définitive, l’autre nom du Liban d’aujourd’hui ?

*« Capitale » de la douceur de Sophie Fontanel, aux éditions Seghers.

Notre dernière rencontre avec Sophie Fontanel remonte à mars 2018. C’était à l’occasion de la sortie de son livre Une apparition (aux éditions Robert Laffont) dans lequel elle racontait comment, de but en blanc, elle avait décidé d’arrêter de se teindre les cheveux. Sauf qu’en s’abandonnant au temps qui passe, en se donnant le droit de vieillir, c’est-à-dire aussi...

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