Dossiers

Par les sentiers vagabonds

Par les sentiers vagabonds

© Sempé

Fantaisie vagabonde, en Bretagne avec Flaubert de Thierry Dussard, éditions Paulsen, 2021, 190 p.

La plume, quand il s’agit de décrire la Bretagne, ils la brandissent comme un sabre d’abordage. Mais si les coups sont souvent assénés à l’emporte-pièce, les deux écrivains, déguisés en soudards, n’en sont pas moins des bretteurs hors pairs quand il s’agit de style. Alors, sur les chemins bretons, avec Gustave Flaubert et son complice Maxime Du Camp, on ne s’ennuie pas, d’autant que les deux connétables en goujaterie sont au service de la plus belle des causes, celle de Dame Littérature.

Nous sommes en 1847. Flaubert a 25 ans et il est au seuil de sa vie. Les études de droit l’ennuient. Il vient de perdre son père et sa sœur et la déprime l’a récupéré sous son aile noire. « Je ne vois plus ce qui peut m’arriver de fâcheux, écrit-il à Du Camp. Je suis résigné à tout, prêt à tout ; j’ai serré mes voiles et j’attends le grain, le dos tourné au vent et la tête sur ma poitrine. » Alors, c’est la tentation de l’aventure, qui chez lui se confond avec l’écriture pour arriver enfin à « être libre comme au désert ».

Ce sera le voyage en Bretagne, souvent à pied, en compagnie de Du Camp, l’ami de tous les instants, salonard autant que lui est solitaire, mais, néanmoins, un all-weather friend, comme disent si justement les Anglais. Cela donnera ensuite un récit d’apprentissage qui sera le premier texte sur lequel le futur écrivain va peiner. Par les champs et par les grèves est un livre qui, aujourd’hui encore, demeure injustement méconnu. Il a été écrit à quatre mains puisque Du Camp était de la partie.

Le journaliste Thierry Dussard a eu la bonne idée de prendre ce gros bouquin – qu’il qualifie d’« élixir de littérature buissonnière » – avec lui, puis de mettre ses pas dans ceux des « deux compagnons du tour de Bretagne », comme ils s’appellent. Ou plutôt ses roues car il a opté pour le voyage motorisé. Ce qui nous donne un double vagabondage, les récits des premiers s’entremêlant avec ceux des derniers arrivés – Dussard est accompagné de sa femme Chantal, qui ne voyage, elle, que pour dessiner et peindre. Le contre-point parfait.

C’est cette Bretagne, qui à leur époque apparaît encore sauvage et pure, misérable, archaïque et à l’abandon, quasiment hors-France, que Flaubert et Maxime Du Camp entendent traverser par « ces sentiers vagabonds faits pour les pensées flâneuses » et, en même temps, la raconter. Pour le second, elle est encore la Gallia Comata, la Gaule chevelue d’avant Jules César.

« Après avoir graissé nos souliers et martingalé nos chapeaux, nulle route, nul sentier ne s’ouvraient devant nous ; nous allions à l’aventure par les champs et par les grèves », écrit encore Du Camp qui n’a pas non plus son style dans sa poche même s’il abuse parfois des clichés : « Les routes sont comme les femmes : il faut beaucoup d’argent pour les entretenir. » Flaubert renchérit : « Sans guide ni renseignement quelconque (c’est là la bonne façon), nous nous mîmes à marcher, décidés à aller n’importe où, pourvu que ce fût loin, et à rentrer n’importe quand, pourvu que ce fût tard. »

Cela ne fait pas de Flaubert un écrivain-voyageur. Il n’écrit pas pour raconter un pays ou un itinéraire. Au contraire, il juge, comme il le dira dans une lettre ultérieure, qu’un voyage ne sert qu’à « corser le style » et non à bâtir un récit qui appartient à « la basse littérature ». Écrire, insiste Thierry Dussard, est donc pour lui le seul voyage qui vaille, « où les phrases sont des aventures ».

Cela nous vaut quand même de beaux morceaux de bravoure, comme cet éloge funèbre devant le futur tombeau de Chateaubriand – il mourra l’année suivante –, à Saint-Malo : « Dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. Les vague avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes, elles bondiront jusqu’à ses pieds (…) entre son berceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique éternelle. »

Ce voyage en Bretagne, on en trouvera des réminiscences dans une large part de l’œuvre de Flaubert. À commencer par Madame Bovary. Lequel fut longtemps condamné en Bretagne par les curés des paroisses. Et même interdit dans certaines familles jusque dans les années 50. Flaubert avait bien raison d’être rosse avec les Bretons.


Fantaisie vagabonde, en Bretagne avec Flaubert de Thierry Dussard, éditions Paulsen, 2021, 190 p.La plume, quand il s’agit de décrire la Bretagne, ils la brandissent comme un sabre d’abordage. Mais si les coups sont souvent assénés à l’emporte-pièce, les deux écrivains, déguisés en soudards, n’en sont pas moins des bretteurs hors pairs quand il s’agit de style. Alors, sur les...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut