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Nos Lecteurs ont la Parole

La démocratie, entre choix et vérité absolue

La démocratie côtoie les civilisations depuis le Ve siècle avant notre ère, depuis qu’une ville, Athènes, a décidé de remodeler le monde.

Il est difficile de déterminer si la richesse de la langue grecque ancienne a permis le développement de concepts aussi bien complexes que clairs ou bien si c’est le génie grec qui a créé, par le même élan, la pensée philosophique et politique, sujet de ce papier.

On nous a appris que le mot Demos signifie le peuple et que démocratie signifie la gouvernance du peuple. D’aucuns s’enthousiasmaient jusqu’à rajouter à la définition que c’est « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », phrase prononcée pour la première fois par Abraham Lincoln.

Or l’esprit grec a toujours été bien plus nuancé, sauf que les nuances voyagent mal avec le temps et l’on ne retient que ce qui nous semble important et surtout ce qui nous arrange.

En grec ancien, le mot Demos peut signifier à la fois le territoire, le peuple et le partage. Territoire, peuple, partage, un seul mot ; un concept est né.

Quant au mot Kratos, il ne signifie pas gouvernance, mais commandement. À Athènes, au Ve siècle avant notre ère, c’est le peuple qui était aux commandes.

Ce système ingénieux a participé largement à la paix civile, mettant le citoyen au cœur de la cité, mais est-ce qu’il a été pour autant infaillible ? Certainement pas.

La démocratie, même en Grèce, a pris des formes différentes, tantôt directes, tantôt indirectes et parfois mixtes. Elle a flotté à travers les siècles, les continents et les civilisations, jamais définitivement triomphante, jamais définitivement battue.

Au Moyen Âge, elle s’est éclipsée face aux monarchies puis elle frémit de nouveau au siècle des Lumières. Rousseau ne reconnaissait que la démocratie directe où le peuple légifère et vote les lois directement, sans intermédiaires ni représentants. Alexis de Tocqueville donne à la démocratie une autre dimension, privilégiant le système des valeurs au système de gouvernance. Les piliers de ce système seraient la liberté, l’égalité devant la loi et la protection des citoyens, notamment la protection de la minorité face à la majorité gouvernante.

Le constitutionnaliste français Sieyès conteste quant à lui la théorie de Rousseau. Il opte fermement pour la démocratie indirecte. Pour Sieyès, la politique est une affaire complexe, l’enjeu étant l’avenir et l’intérêt de la nation et de ce fait le rôle du citoyen doit se limiter au choix de ses représentants, le temps d’un mandat.

La politique est donc réservée aux professionnels qui gèrent les affaires d’un pays sans revenir au citoyen dans leurs décisions.

Ce qui est frappant, c’est que depuis la Grèce antique, jusqu’à Sieyès, en passant par Rousseau et Tocqueville, jamais la démocratie n’a été associée à la vérité.

La philosophe contemporaine Claudine Tiercelin va jusqu’à contester la place donnée à la vérité dans l’univers politique où la vérité est une vérité de fait et non pas de raison.

Il ne faut donc pas confondre l’exigence de transparence dans la gouvernance démocratique moderne ni le choix fait par la majorité en faveur d’un élu ou d’une orientation politique, avec la vérité absolue.

Tout choix, aussi éclairé et juste fut-il, reste fonction d’une conjoncture, d’une perception et d’un objectif.

La vérité absolue reste, par essence, intemporelle et universelle.

La politique et la démocratie relèvent exclusivement du domaine du choix relatif et certainement pas de celui de la vérité absolue. Sinon, comment expliquer l’alternance au pouvoir, principe de base de toute démocratie ? Si le choix initial du peuple était une vérité absolue, parce qu’exprimé par la majorité, comment se fait-il que les tendances politiques s’alternent au pouvoir ?

Pour un citoyen, admettre qu’il s’est trompé de choix ou qu’un choix meilleur s’offre à lui n’est pas un droit, mais un devoir synonyme de liberté qu’il faut revendiquer sans complexe et pratiquer sans remords.

S’obstiner à défendre un choix, fut-il démocratiquement pris, en le confondant avec la vérité absolue, peut avoir des conséquences néfastes sur les nations et leurs peuples.

Napoléon III a été élu président de la République française en 1848, avant de se proclamer monarque en 1851. Fallait-il pour autant le soutenir juste parce qu’il avait été élu ? Adolf Hitler a été démocratiquement élu avant de devenir le Führer, le dictateur sanguinaire que l’on connaît. Son élection lui donnait-elle un blanc seing couvrant toutes ses exactions ? Certains l’ont élu, ont continué à le soutenir jusqu’au bout, aux frais de l’Allemagne et du monde entier.

Il faut de l’humilité et de la lucidité pour admettre qu’un choix politique n’est pas une vérité absolue. Il faut beaucoup de culture politique pour comprendre que c’est l’électeur qui est au cœur de la vie politique et non pas l’élu.

Des leçons apprises par l’humanité au prix élevé, dont il faut savoir tirer les conclusions au profit du citoyen et de toute la cité, qu’il s’agisse d’Athènes ou de sa voisine Beyrouth.

Député de Baabda

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La démocratie côtoie les civilisations depuis le Ve siècle avant notre ère, depuis qu’une ville, Athènes, a décidé de remodeler le monde.Il est difficile de déterminer si la richesse de la langue grecque ancienne a permis le développement de concepts aussi bien complexes que clairs ou bien si c’est le génie grec qui a créé, par le même élan, la pensée philosophique et politique, sujet de ce papier.On nous a appris que le mot Demos signifie le peuple et que démocratie signifie la gouvernance du peuple. D’aucuns s’enthousiasmaient jusqu’à rajouter à la définition que c’est « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », phrase prononcée pour la première fois par Abraham Lincoln.Or l’esprit grec a toujours été bien plus nuancé, sauf que les nuances voyagent mal avec le temps...
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