Critiques littéraires

Beyroushima

Beyroushima

D.R.

Beyrouth 4 août 2020 à 18 heures
de Abdo Wazen, traduit de l’arabe par Antoine Jockey, LansKine, 2021, 36 p.

Lire le recueil de Abdo Wazen Beyrouth 4 août 2020 à 18 heures donne froid dans le dos.

Décombres, sur décombres, sur décombres

Décombres sur des humains sur des décombres

Sirènes provenant de loin

De près devenu loin

Dans un vide chargé de bruit

Dans un vacarme d’où émergeaient des âmes

Des corps et des restes de corps

Des lambeaux, des chaussures et des chemises

Ombres poignardées dans le cœur.

Mais le lire au moment exact où des corps tombent sous les balles de francs-tireurs sans mémoire donne des sueurs encore plus froides ; ces corps qui jonchent les trottoirs de la honte où la justice est empêchée. Le plus terrible ce ne sont peut-être ni les destructions – même apocalyptiques, ni les morts même les plus chers, mais cette « brise de mer » qui couvre de son opprobre chaque jour de ce funeste calendrier qui nous fait descendre aux enfers, depuis le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth jusqu’au 17 octobre 2021 à Tayyouné. Car l’innommable, n’est-ce pas l’impunité ?

Le titre de ce recueil comporte une heure, celle du « moment de cauchemar éternisé ». De toutes les violences qu’aura subies le Liban, de tous les soubresauts de son histoire sanglante, jamais un instant n’aura autant pesé sur le destin commun : « Où étais-tu à 18 heures ? » est une question que l’ensemble de la population libanaise s’est posée, tant la déflagration a condensé le lieu et le temps de tous. Voilà pourquoi Abdo Wazen inscrit cette dix-huitième heure du jour dans le titre de son recueil comme dans l’histoire de la nation. Et pour la fixer éternellement, le poète forge de nouveaux mots : Beyroushima et Hiroshibeyrouth.

Et pour que le comble de l’horreur – « Yeux crevés/ Crânes fendus/ Poitrines éventrées » – prenne également une dimension universelle, Wazen n’hésite pas à troquer au besoin sa plume de poète pour celle d’un journaliste hagard, d’un homme parmi les hommes et les femmes de son pays, errant parmi les ombres déchirées et les puanteurs de la mort, dans cette ville mille fois meurtrie comme un éternel retour. Pour témoigner de l’immonde.

Ce petit recueil trilingue, et dont les poèmes sont excellemment bien traduits en anglais et en français, s’achève sur ce vers qui fige les aiguilles du temps sur le désespoir : « une horloge plaquée sur un mur en ruine ». Beyrouth doit-elle à jamais osciller entre Phénix : « Ô dame du monde, abri des vagabonds/ Étoile des égarés, phare des déroutés la nuit dans la Méditerranée/ Pin du désert et pluie de la steppe/ Fleur de l’affliction et sarcophage des siècles/ Rose de l’Orient et mère des lois » et Sisyphe : « Ton sort serait-il de confronter la mort/ Le feu dans les yeux/ De siècle en siècle/Comme si ton Histoire y était enchaînée ? »

Notre liberté le dira.


Beyrouth 4 août 2020 à 18 heures de Abdo Wazen, traduit de l’arabe par Antoine Jockey, LansKine, 2021, 36 p.Lire le recueil de Abdo Wazen Beyrouth 4 août 2020 à 18 heures donne froid dans le dos. Décombres, sur décombres, sur décombresDécombres sur des humains sur des décombresSirènes provenant de loinDe près devenu loinDans un vide chargé de bruitDans un vacarme d’où...

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