Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Éclairage

Comment Ankara étend son empreinte en Afrique

Alors qu’il tablait initialement sur des liens politiques et une diplomatie humanitaire et culturelle, Recep Tayyip Erdogan a cherché en marge de sa récente tournée en Angola, au Nigeria et au Togo à accroître l’influence économique et militaire turque sur le continent.

Comment Ankara étend son empreinte en Afrique

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son épouse accueillis par le ministre angolais des Affaires étrangères, Tete Tonio, à leur arrivée à l’aéroport de Luanda, dimanche 17 octobre 2021. Service de presse du président turc/Murat Cetinmuhurdar/AFP

Politique, économique mais aussi culturelle et religieuse. Ces dernières années, l’empreinte d’Ankara en Afrique n’est pas passée inaperçue. Alors que la Turquie possédait 12 ambassades sur le continent au début des années 2000, Recep Tayyip Erdogan peut désormais se targuer de disposer de l’un des réseaux diplomatiques les plus larges de la région, avec 43 représentations, et d’avoir visité 30 pays africains en vingt ans. Si Ankara tablait initialement sur ses liens politiques et une diplomatie humanitaire et culturelle en Afrique, la visite du reis turc en Angola, au Nigeria et au Togo du 18 au 20 octobre semble avoir été l’occasion de développer des partenariats économiques durables avec de nouveaux pays de la région tout en investissant le domaine de la défense et de l’énergie. « La visite d’Erdogan dans ces trois pays peut être considérée comme la suite de l’ouverture de la Turquie vers le continent africain, observe Murat Yigit, affilié à l’Université de commerce d’Istanbul. La coopération turco-africaine prend désormais d’autres dimensions – notamment économique et militaire – qui sont obligatoires pour avoir des relations durables en Afrique. »

Sphère d’influence

Une politique qui s’inscrit dans le sillage des velléités expansionnistes d’Ankara – en Syrie, en Libye, en Méditerranée orientale, dans le Caucase ou encore en Asie centrale. « Au cours de la période à venir, nous continuerons à renforcer notre coopération avec le continent africain, qui est l’un des volets les plus importants de notre vision globale », a notamment déclaré samedi dernier le président Erdogan. Si les Turcs ottomans avaient noué des liens étroits à travers le continent africain, la jeune République turque s’était initialement tournée vers les pays occidentaux à l’aune du XXe siècle. En raison de désaccords avec Washington et ses alliés sur divers dossiers au sortir de la guerre froide, la Turquie a notamment mis le cap sur l’Afrique. « Après l’avènement de la mondialisation dans les années 1980 et 1990, Ankara a également cherché à étendre ses activités commerciales en Afrique, qui faisait partie du mouvement des non-alignés pendant la guerre froide, explique Georgios Christos Kostaras, chercheur au sein du programme Méditerranée et Turquie à la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (Eliamep). Le fait que la Turquie s’identifie comme un État afro-eurasien ayant la “profondeur stratégique” pour jouer un rôle majeur dans les affaires internationales est un facteur important dans sa décision d’aligner et d’approfondir ses relations avec les pays du continent africain. » Appliquée à partir de 2005, la politique d’ouverture de la Turquie vers l’Afrique s’est rapidement développée, en particulier depuis une décennie. En témoignent l’aide humanitaire apportée par Ankara à la Somalie mais aussi les multiples initiatives lancées sur le continent en matière de culture et de religion. La construction au Ghana d’une réplique de la mosquée bleue d’Istanbul ouverte en juillet dernier grâce au mécénat turc ou l’inauguration en août 2019 de la Kigali Arena, le plus grand stade d’Afrique de l’Est dont le chantier a été réalisé par la société d’investissement turque Summa, en sont quelques exemples. Aujourd’hui, le président turc chercherait en particulier à déployer un hard power sur le sol africain, alors qu’une délégation de Savunma Sanayi Baskanligi (SSB), l’agence gouvernementale turque chargée des armements, l’a accompagné lors de son voyage. Forte de ses drones Bayraktar TB2, la Turquie aurait déjà réussi à séduire bon nombre de pays africains sur le volet militaire, comme l’Éthiopie, embourbée dans un conflit frontalier avec le Soudan ainsi qu’avec les rebelles au Tigré. En octobre dernier, le média progouvernemental turc Daily Sabah rapportait qu’Ankara avait « étendu l’exportation de son célèbre véhicule aérien de combat sans pilote en négociant des accords avec le Maroc et l’Éthiopie après leur emploi réussi dans des conflits internationaux ».

Ces appareils étant crédités pour avoir permis de renverser le cours de plusieurs conflits – comme en juin 2019 en Libye pour contrer l’offensive du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli ou encore à l’automne 2020, dans le Haut-Karabakh, pour soutenir les forces azéries contre les combattants arméniens –, d’autres pays du continent africain pourraient prochainement passer commande, estiment les observateurs.

Partenaires et amis

La tournée du président turc s’inscrit en outre dans le sillage du sommet Turquie-Afrique, qui se tiendra à Istanbul dès le 17 décembre prochain, et qui prévoit d’accueillir une quarantaine de chefs d’État africains. Recep Tayyip Erdogan aurait ainsi entrepris sa visite pour préparer le terrain en vue d’étendre la présence turque en Afrique de l’Ouest et au Sahel – traditionnellement sous domination française, et où le Nigeria est très influent. Si les anciennes puissances coloniales à l’instar de la France tablent sur leurs liens historiques dans la région, la Turquie est cependant parvenue à s’attirer la sympathie des dirigeants africains en se présentant comme leur égal. « La Turquie est un pays qui n’a pas de bagage colonial, ce qui joue en sa faveur. Les Africains perçoivent le peuple et les responsables gouvernementaux turcs comme des partenaires et des amis davantage que comme des personnes qui veulent exploiter les ressources du continent », explique Georgios Christos Kostaras.

Lire aussi

Des espions turcs "capturent" au Kenya le neveu d'un ennemi d'Erdogan

La semaine dernière, le président turc n’a d’ailleurs pas manqué de critiquer les anciennes puissances coloniales occidentales devant le Parlement angolais, invitant les Africains « à prendre leur destin en main et à ne pas laisser le sort de l’humanité à la merci d’une poignée de pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ». À l’heure où les relations avec les États-Unis et l’Europe sont particulièrement tendues, l’engagement turc en Afrique serait également un moyen pour consolider ses alliances. « Au-delà de l’argument colonial, Erdogan fait aussi référence au passé ottoman de la Turquie et utilise ses liens religieux avec certains pays africains à majorité musulmane (pour justifier leur rapprochement) », poursuit Georgios Christos Kostaras.

Acteur indépendant

Des arguments vus d’un bon œil sur le continent et qui permettraient à la Turquie de se distinguer de la France ou des puissances émergentes sur le sol africain, à l’instar de la Chine, en proposant par ailleurs des biens moins chers que ceux des Occidentaux et de meilleure qualité que ceux de Pékin. Sur le plan commercial, le volume des échanges entre la Turquie et l’Afrique a ainsi connu un bond depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan comme Premier ministre en 2003. Estimé alors à 5 milliards de dollars, il a depuis été multiplié par cinq, atteignant aujourd’hui les 25 milliards de dollars. Ankara espère désormais faire monter ce chiffre au cours des prochaines années, alors que la troisième édition du Forum économique et commercial Turquie-Afrique s’est tenue les 21 et 22 octobre à Istanbul, au cours de laquelle des sujets tels que la coopération, le financement et l’innovation ont été abordés. « La Turquie n’est pas une rivale de la France, des États-Unis ou de la Chine dans ses relations avec l’Afrique, nuance toutefois Murat Yigit. Car la multidimensionnalité de ses relations, notamment d’urgence et d’aide humanitaire, fait d’Ankara un acteur indépendant. Cette caractéristique peut faire de la Turquie un partenaire permanent et unique pour l’Afrique sur le long terme. À condition, bien sûr, qu’elles progressent ensemble dans leurs relations économiques et militaires. »

L’expansion d’Ankara en Afrique sert en outre les velléités internes de Recep Tayyip Erdogan, qui a en ligne de mire l’important dispositif d’établissements scolaires déployé depuis la fin des années 1990 sur le continent africain par Fethullah Gülen, accusé d’être derrière la tentative de putsch de juillet 2016 en Turquie. Depuis quelques années, le président turc s’empresse d’obtenir la fermeture des écoles Gülen dans plusieurs pays de la région, comme la Somalie, le Maroc ou encore le Sénégal. « Suite au coup d’État de 2016, la Turquie souhaite éradiquer toute présence du réseau Gülen sur le continent africain, en intervenant notamment dans les pays où ce réseau a un grand rayonnement », observe Georgios Christos Kostaras. Bête noire d’Erdogan, le prédicateur islamiste exilé aux États-Unis depuis une vingtaine d’années a fait l’objet de nombreuses demandes d’extradition vers la Turquie, que Washington a jusqu’ici ignorées. « Dans un contexte domestique marqué par le manque de succès du gouvernement turc – l’effondrement de la livre de jour en jour par exemple –, la seule stratégie qu’a trouvée pour le moment l’AKP est d’utiliser le succès de sa politique étrangère pour assurer la continuité et la préservation du soutien populaire », résume le chercheur.

Politique, économique mais aussi culturelle et religieuse. Ces dernières années, l’empreinte d’Ankara en Afrique n’est pas passée inaperçue. Alors que la Turquie possédait 12 ambassades sur le continent au début des années 2000, Recep Tayyip Erdogan peut désormais se targuer de disposer de l’un des réseaux diplomatiques les plus larges de la région, avec 43 représentations, et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut