Le patriarche maronite, Béchara Raï, est entré de plain-pied dans les efforts visant à sortir le Liban de l'impasse politico-confessionnelle dans laquelle il est plongé depuis deux semaines, notamment après les affrontements de Tayouné, le 14 octobre, entre des partisans du tandem chiite Hezbollah-Amal et des éléments armés chrétiens présumés affiliés aux Forces libanaises. S'il a affiché sa volonté d’œuvrer à une sortie de crise, en concertations avec les responsables politiques, le prélat maronite a dans le même temps tenu à faire passer un message sans détour depuis Aïn el-Tiné, résidence du chef du Parlement, Nabih Berry : la convocation du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, est condamnable, et le pouvoir judiciaire doit agir "loin de toute pression politique, religieuse ou confessionnelle".
La démarche du chef de l’Église maronite intervient en effet au lendemain de la notification du chef des FL, par les services de renseignement de l'armée, de sa convocation par la justice militaire pour être entendu mercredi à 9 heures du matin au ministère de la Défense à Yarzé. Sauf que le leader chrétien avait posé la semaine dernière une condition pour comparaître devant la justice : que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le fasse avant lui. Il avait alors accusé le commissaire du gouvernement par intérim près le tribunal militaire, Fadi Akiki, d'être "le commissaire du Hezbollah". Selon les informations qui avaient circulé jeudi dernier, Fadi Akiki avait chargé les services de renseignements de l’armée de convoquer M. Geagea, sur la base de données qui auraient été fournies par des partisans des FL interpellés.
Les combats de Tayouné ont eu lieu en marge d'une mobilisation à laquelle avaient appelé Amal et le Hezbollah contre le juge Tarek Bitar, en charge de l'instruction sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qu'ils accusent de politiser l'enquête. Parmi les sept morts tombés dans ces combats armés, trois étaient membres d'Amal et trois autres du Hezbollah, la dernière victime étant une civile. Depuis, le Hezbollah et les FL se livrent à une surenchère médiatique, par l'intermédiaire notamment de leurs chefs respectifs, Hassan Nasrallah et Samir Geagea. L'affaire Tarek Bitar a provoqué la crise la plus grave pour le gouvernement de Nagib Mikati, formé en septembre après 13 mois d'impasse politique et qui a dû suspendre ses réunions auxquelles refusent de participer les ministres chiites, de crainte d'une implosion du cabinet.
Une promesse de solution
C'est dans une tentative de sortir de cette impasse, mais surtout pour afficher le refus de l'Eglise maronite de toute politisation de l'affaire de Tayouné, que le patriarche a effectué une tournée auprès des pôles du pouvoir. Il s'est d'abord entretenu avec Nabih Berry. S'exprimant depuis Aïn el-Tiné, le prélat a dénoncé la convocation "condamnable", par le tribunal militaire, de Samir Geagea . "Je fustige cette démarche, celle de convoquer une personnalité à cause de gens affiliés à un parti qu'elle dirige", a-t-il dit, assurant ne pas être en possession de toutes les données dont dispose la justice et ne pas avoir évoqué les détails de cette affaire avec M. Berry. "Nous voulons une justice libre et indépendante, dans le vrai sens du terme, une justice qui agit loin de toute pression politique, religieuse ou confessionnelle", a martelé Mgr Raï. Il a, en outre, réitéré sa mise en garde contre un "troc" entre l'enquête sur le drame survenu au port de Beyrouth et celle portant sur les incidents de Tayouné, assurant que "tout le monde, y compris Nabih Berry, refuse cette éventualité".
Le prélat a, dans ce contexte, indiqué que le président de la Chambre a des propositions de solutions (pour sortir de la crise actuelle). "J’œuvrerai avec les autorités concernées pour que ces propositions voient le jour parce que les choses ne peuvent plus se poursuivre dans ce sens, alors que le Liban et son peuples se meurent, et que les institutions de l’État sont en déliquescence", a-t-il affirmé. Selon des sources de Aïn el-Tiné citées par notre correspondante Hoda Chédid, le patriarche a obtenu une promesse de la part de Nabih Berry portant sur une solution "dont le point de départ serait le Parlement".
"La solution ne peut être que politique"
Le chef de l’Église maronite a par la suite été reçu par le Premier ministre, Nagib Mikati. A l'issue de la réunion, Béchara Raï a estimé qu'il est "impossible de continuer de bloquer les institutions de l'Etat, notamment devant la communauté internationale". "Je me suis entendu avec MM. Berry et Mikati : il faut revenir à la Constitution pour résoudre toutes les crises".
Dernière étape : le palais présidentiel de Baabda. S'adressant aux journalistes à l'issue d'une réunion avec le président Michel Aoun, Mgr Raï est revenu à la "solution" concoctée en coulisses, affirmant que le président en est "convaincu". Et de poursuivre : "Je suis satisfait parce que j'ai découvert, à l'issue de ma tournée, que tout le monde œuvre pour une sortie de crise conforme à la Constitution". Selon lui, "la solution ne peut pas être imposée ni dans la rue, ni par la force, ni par les armes. La solution ne peut être que politique". Sans vouloir dévoiler les détails de cette issue de crise, le prélat a estimé qu'elle devrait se concrétiser le plus rapidement possible, soulignant qu'à la faveur de cette solution, le Conseil des ministres pourra reprendre ses réunions, suspendues depuis deux semaines. Et le prélat d'affirmer que la page de la toute dernière dispute en Conseil des ministres "est désormais tournée". Selon des informations rapportées par Hoda Chédid, ce règlement consiste à ce que le juge Tarek Bitar poursuive son enquête dans l'affaire du port mais sans le volet relatif aux présidents, ministres et députés qui seraient jugés devant la Haute cour (chargée par la Constitution de cette tâche).
commentaires (8)
Dans une phrase le monsignore dit "le pouvoir judiciaire doit agir "loin de toute pression politique, religieuse ou confessionnelle" et dans l'autre que la solution ne peut être que politique. NON LA SOLUTION EST DANS LE RETABLISSEMENT DE LA SOUVERAINETE ET DE L'ETAT DE DROIT, PAS DANS LA POLITIQUE
Bachir Karim
11 h 34, le 27 octobre 2021