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Moyen-Orient - Éclairage

Au Soudan, un coup d’État militaire met en péril le compromis national

Les tensions entre civils et militaires ont culminé hier avec l’arrestation à Khartoum de plusieurs dirigeants, suivie quelques heures plus tard par l’annonce de la dissolution du gouvernement de transition.

Au Soudan, un coup d’État militaire met en péril le compromis national

Les forces de sécurité soudanaises montent la garde lors de manifestations contre le coup d’État militaire ayant eu lieu hier à Khartoum, contre le gouvernement de transition. Photo AFP

Rassemblements, chants révolutionnaires et barrages routiers : sur les réseaux sociaux, les images en provenance de Khartoum, hier, avaient un parfum de révolution. Elles auraient presque pu faire croire à un retour en force du printemps soudanais. Le mouvement populaire, amorcé il y a un peu moins de trois ans, avait mené en avril 2019 à la chute de l’ancien dictateur Omar al-Bachir, au pouvoir pendant près de trois décennies. Mais en apparence seulement. Car derrière la foule réunie à coups de « Yisqot hikm el ‘askar » ( « Que tombe le régime militaire » ) et de « Souwar, ahrar, rah nkamil el mechouar » ( « Révolutionnaires, libres, nous continuerons la lutte » ), c’est un tout autre scénario qui se jouait en coulisses : un coup d’État militaire visant à suspendre le compromis en place depuis plus de deux ans entre le pouvoir civil et les forces armées.

La montée des tensions faisait craindre depuis plusieurs semaines une prise de pouvoir par la force. Le 21 septembre dernier, un coup d’État attribué à des fidèles de l’ancien régime de Omar al-Bachir avait déjà été déjoué. Mais l’escalade a culminé, hier, avec l’arrestation de plusieurs dirigeants civils et la prise de la télévision d’État par les militaires, suivie quelques heures plus tard par une intervention du chef du Conseil souverain (CS). Dans son discours télévisé, le lieutenant-général Abdel Fattah al-Burhane a annoncé une série de mesures actant son coup de force : dissolution du gouvernement de transition et du CS, proclamation de l’état d’urgence et suspension de certains articles constitutionnels.

Plus tôt dans la journée, l’annonce de l’arrestation du Premier ministre Abdallah Hamdok, de sa femme, de cinq de ses ministres et de plusieurs dirigeants civils, avait alerté la population et la communauté internationale quant à une possible prise de pouvoir imminente des militaires. Le chef de l’exécutif aurait été arrêté, puis détenu dans un lieu inconnu, après avoir refusé de soutenir le coup d’État et appelé la population à « défendre la révolution ». Autant d’« indicateurs » qui pointent unanimement vers « une prise de pouvoir militaire », estime Mohamed Osman, chercheur sur le Soudan au Human Rights Watch.

« Soldats non identifiés »

Officiellement, les responsables de ce coup de force n’avaient, à l’heure de mettre sous presse, ni reconnu les faits ni été dénoncés par les autorités civiles. Des « soldats non identifiés », avancent certains communiqués officiels, tandis qu’un post Facebook du ministère de l’Information évoque des « forces militaires jointes ». Suite à l’annonce par al-Burhane de la formation d’un nouveau gouvernement composé de technocrates, certaines sources émettaient la possibilité de la participation de civils, sans que l’information ne soit confirmée. Mais pour les experts, il s’agirait très vraisemblablement d’une « action conjointe des forces armées officielles, sous le commandement de Abdel Fattah al-Burhane, et des milices des Forces de soutien rapide (FSR) menées par Mohamed Hamdan Daglo », estime Jihad Mashamoun, chercheur et analyste politique sur le Soudan.

Peu après la diffusion de la nouvelle des arrestations, des manifestants prodémocratie s’étaient rassemblés dans les rues de la capitale, tout particulièrement autour des quartiers généraux des forces armées, afin de protester contre le coup de force. Les tirs de balles réelles de l’armée face aux manifestants avaient fait, en fin de journée, trois morts et 80 blessés, selon un syndicat de médecins prodémocratie. « D’autres manifestations d’ampleur contre l’action des militaires sont à prévoir à travers le pays », estime Jonas Horner, spécialiste du Soudan à l'International Crisis Group, notamment suite à l’appel à la mobilisation de la coalition d’opposition, l’alliance des Forces de la liberté et du changement (Forces for Freedom and Change, FFC). La crise a mené hier à un bouclage du pays, tandis qu’internet était coupé, rendant les communications avec l’extérieur difficiles, et que l’aéroport de Khartoum a été fermé et contraint de suspendre les vols à l’international.

Au-delà des craintes d’une répression sanglante, un autre scénario catastrophe était également redouté hier par certains observateurs. « La perspective que les forces militaires soudanaises se fracturent, précipitant le pays dans une série d’événements encore plus graves » n’est pas à exclure, estime Jonas Horner. Car entre les forces armées du général al-Burhane et les unités paramilitaires menées par Mohamed Hamdan Daglo (aussi connu sous le nom de Hemetti), l’ambiance est loin d’être au beau fixe. Au-delà de leurs actions communes pour contrer l’élan révolutionnaire et avancer leurs pions face aux civils, les deux groupes s’opposent, entre autres, autour de l’unification des forces armées nationales.

Tensions entre civils et militaires

Mais pour l’heure, les différentes composantes militaires font toujours front commun afin de prendre le dessus sur le pouvoir civil, jusque-là légèrement majoritaire au sein du CS, au sein de l’instance chargée depuis août 2019 de superviser la transition jusqu’aux élections, prévues pour 2024.

Alors que les tensions entre civils et militaires existent depuis le renversement de Omar al-Bachir, des éléments récents ont accéléré le bras de fer au cours des dernières semaines. Un comité spécial (le « dismantling committee » ), chargé depuis avril dernier de lutter contre la corruption et de récupérer les actifs de l’ancien régime, a notamment cristallisé les tensions. « Les militaires ont de plus en plus peur face à la volonté croissante du gouvernement civil de mettre la main sur leurs avoirs financiers et de dénoncer les abus commis durant et après l’ère Omar al-Bachir », explique Jonas Horner. D’autres sujets de discorde incluent la politique étrangère ou encore la gestion sécuritaire du pays.

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Au-delà de ces points de tension, l’armée semble également avoir été encouragée par des soutiens extérieurs. « Elle a été considérablement confortée par certains acteurs régionaux désireux de voir les forces militaires rester au cœur de la structure politico-sécuritaire dans le pays », poursuit ce dernier, en référence au triple soutien émirato-saoudo-égyptien, auquel s’est ajouté l’appui israélien depuis la normalisation des relations entre Khartoum et Tel-Aviv, il y a un an presque jour pour jour. En ce sens, le général Burhane a par ailleurs donné un gage de poids hier : il s’est engagé à respecter les accords internationaux signés par le Soudan.C’est également du côté de la communauté internationale que les regards se tournent à l’heure où une pression extérieure pourrait influencer le cours des événements. Alors que l’envoyé spécial au Soudan du Royaume-Uni, Robert Fairweather, a déclaré sur Twitter que les arrestations de civils représentaient « une trahison de la révolution », la Ligue arabe, les États-Unis, les Nations unies ou encore l’Union européenne ont également fait part de leurs inquiétudes. Mais il en faudra plus pour contraindre les militaires à faire marche arrière, en concédant un retour au compromis avec les civils. « Washington a une marge d’action considérable, mais devra se montrer clair et ferme face aux militaires, par exemple en usant de moyens de pression économiques, comme des sanctions individuelles contre les responsables (militaires ou autres) impliqués dans le coup », avance Jihad Mashamoun.

Depuis le lancement du processus de transition et la création du Conseil souverain, le nouveau gouvernement avait été à l’origine d’une série d’avancées en matière de droits humains, faisant du Soudan un modèle de transition qui contrastait alors avec l’expérience de beaucoup d’autres pays arabes. Mais les événements de ces dernières semaines pourraient saper, voire annuler, les fragiles acquis démocratiques issus du soulèvement de 2019.

Rassemblements, chants révolutionnaires et barrages routiers : sur les réseaux sociaux, les images en provenance de Khartoum, hier, avaient un parfum de révolution. Elles auraient presque pu faire croire à un retour en force du printemps soudanais. Le mouvement populaire, amorcé il y a un peu moins de trois ans, avait mené en avril 2019 à la chute de l’ancien dictateur Omar...

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