Alors que les observateurs syriens dénoncent depuis plusieurs années le détournement par le régime Assad des convois humanitaires de l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme dédiés aux habitants des territoires échappant au gouvernement, l’étude publiée mercredi par le Center for Strategic & International Studies (CSIS) illustre un nouvel aspect de ce phénomène. Elle affirme en effet que le gouvernement syrien a empoché au total en 2019 et en 2020 100 millions de dollars de dons d’aide humanitaire apportés par plusieurs bureaux de l’ONU par le biais de l’imposition d’un taux de change extrêmement défavorable. « Le gouvernement syrien oblige les agences d’aide internationale à utiliser un taux de change faussé, ce qui lui a permis de détourner près de 51 centimes de chaque dollar d’aide internationale dépensé en Syrie en 2020 », affirme le CSIS. L’institut explique que l’ONU est contrainte d’échanger des devises étrangères (des dollars américains dans la plupart des cas) auprès de banques privées opérant en Syrie ou de « banques correspondantes » situées dans d’autres pays à un taux fixé par la Banque centrale syrienne (BCS). Or, ce taux est souvent « nettement inférieur » à celui du marché noir, obligeant les banques privées à vendre la moitié de leurs devises fortes directement à la BCS.
Remplir les caisses de l’État
Pour les auteurs, « les gouvernements occidentaux, malgré les sanctions contre le président syrien Bachar el-Assad, sont devenus l’une des plus grandes sources de devises fortes du régime ». S’il a récupéré la majorité du territoire syrien lui échappant depuis 2011, le gouvernement est ruiné par plus de dix ans de guerre et incapable de financer une reconstruction estimée à plusieurs centaines de milliards de dollars. Suite à la répression violente exercée contre la population civile par le régime de Bachar el-Assad, l’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni ont imposé des sanctions à l’égard de la BCS. L’entrée en vigueur à l’été 2020 de la loi César, sanctionnant toute personne, société ou institution commerçant avec le pouvoir en place à Damas ou contribuant à la reconstruction du pays, a davantage plongé la Syrie au bord de l’asphyxie. Des millions de dollars d’actifs du gouvernement syrien ont par ailleurs été gelés dans des banques libanaises dès novembre 2019 en raison de la crise économique dans le pays du Cèdre.
Ces dernières années, le régime de Bachar el-Assad a ainsi multiplié les tentatives pour remplir les caisses de l’État en confisquant par exemple les actifs d’hommes d’affaires proches du pouvoir. La Première dame du pays, Asma el-Assad, utilise son ONG, la Syria Trust for Development (STD), comme levier de captation de l’aide internationale.
« En mars 2021, le taux du marché noir avait plongé à 4 700 livres syriennes (SYP) pour un dollar américain. Pourtant, la Banque centrale syrienne n’autorisait les agences humanitaires qu’à utiliser le taux officiel de 1 500 SYP pour un dollar, écrit le rapport. Cela signifie que près des deux tiers des fonds d’aide dépensés dans le pays ont été perdus au cours de l’échange avant même que l’aide ne touche le sol. » Avant le conflit syrien déclenché en 2011, le taux de change était estimé à environ 50 SYP pour un dollar, rappelle l’institut. Celui-ci explique cependant que les Nations unies ont négocié depuis mars dernier un taux préférentiel – qui équivaut désormais à 2 500 SYP pour un dollar –, « ce qui laisse toujours la réponse humanitaire aux prises avec un écart de 32 % avec le taux du marché noir en septembre 2021 », constate l’étude.
Normalisation
La publication du rapport du CSIS intervient dans un contexte de réhabilitation croissante du régime de Bachar el-Assad. Depuis quelques jours, les opposants et les activistes syriens dénoncent ce qui s’apparente, selon eux, à une normalisation qui se prépare en coulisses. Ces commentaires ont notamment fait suite à la visite en Syrie dimanche dernier de Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ayant affirmé dans un tweet avoir discuté des moyens « de coopérer pour éliminer les obstacles au retour des réfugiés ». L’organisation internationale de police criminelle Interpol a en outre annoncé au début du mois avoir réintégré le Bureau central national (NCB) de Damas dans son système d’échanges mondial d’informations, soumis depuis 2012 à des « mesures correctives ». En parallèle, un coup de fil inédit avait lieu entre le roi Abdallah II de Jordanie et le président Assad le 3 octobre, faisant suite à l’arrivée d’une délégation syrienne sécuritaire de haut niveau à Amman puis à la décision prise fin septembre par la Jordanie de rouvrir le poste-frontière de Jaber-Nassib avec la Syrie. Quelques semaines plus tôt, les États-Unis avaient également donné leur accord à la mise en place d’un deal pour alimenter le Liban en gaz et en électricité par l’Égypte et la Jordanie en passant par Damas.
Selon les résultats de l’étude – basée sur la consultation des données publiquement accessibles de l’ONU en 2019 et en 2020, qui a contracté des échanges avec 779 entreprises et individus –, les pertes de l’organisation allant directement dans les caisses de l’État syrien seraient estimées à bien plus. Certaines informations telles que les salaires du personnel sur place et les programmes d’aide en espèces n’ont en effet pas été rendues publiques pour des raisons de confidentialité, les chercheurs estimant que la BCS aurait pu gagner des centaines de millions de dollars supplémentaires. Selon Karam Shaar, l’un des auteurs du rapport du CSIS, l’ONU ne « comprend pas comment fonctionne réellement le système monétaire syrien. Il n’est pas certain qu’elle sache ce qu’il se passe réellement après l’envoi de l’argent. Elle fait de son mieux pour comprendre, mais beaucoup plus peut être fait ». Contactée par le Guardian, Danielle Moylan, porte-parole de plusieurs bureaux de l’ONU concernés par l’étude, a déclaré que « la majorité des achats de l’ONU pour notre réponse humanitaire en Syrie sont effectués sur les marchés internationaux et régionaux et ne sont donc pas affectés par le taux de change syrien. Sinon, comme c’est le cas dans n’importe quel pays, l’ONU en Syrie est tenue d’utiliser le taux de change officiel ». Pour Karam Shaar, l’ONU n’a pas assez de marge de manœuvre vis-à-vis du régime syrien pour régler le problème. « Il faut donc que les gouvernements occidentaux adoptent collectivement une position unie afin de négocier un meilleur taux de change. »
Non pas lui, pas ce brave homme, honnêtes et humaniste. Je ne peux pas le croire ... Ah, j'oubliais là bas c'est aussi un système mafieux un pays frère de nos barbus ...
13 h 01, le 24 octobre 2021