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Culture - Performance

Effacer ce bruit terrible resté dans nos têtes...

L’espace d’un soir au musée Sursock, un duo de jeunes artistes, Hashem Hashem et Carol OHair, a tenté d’exorciser le mal qui s’est abattu sur Beyrouth et ses habitants un certain 4 août... Par un concert de notes électroniques et de mots poétiques. Hypnotiquement apaisants.

Effacer ce bruit terrible resté dans nos têtes...

Musée Sursock, un cadre toujours féerique, même avec les échafaudages qui cernent la blanche bâtisse. Photo Michel Sayegh

Dans la nuit noire de Beyrouth, une petite assemblée de jeunes et moins jeunes est réunie sur l’esplanade du musée Sursock, dans un recueillement qui pourrait presque évoquer la tenue d’une société secrète. Devant la belle bâtisse blanche, à la façade furtivement éclairée – sous les échafaudages toujours là plus d’un an après le désastre –, un duo de jeunes artistes se produit. Hashem Hashem, poète, écrivain et éditeur, et Carol OHair, psychologue de formation, DJ et productrice-conceptrice de bandes sonores, déroulent devant un public, plutôt parsemé mais absolument captivé, leur interprétation musicale et poétique d’un événement tragique vécu par toute une population un certain 4 août 2020 de funeste mémoire. Celui de la dévastatrice double explosion au port de Beyrouth. Un instant aussi bref qu’effroyable et qui a gravé dans les esprits de ceux qui l’ont subi le souvenir indélébile d’un éclat monstrueux.

Photo Michel Sayegh

Ce souffle terrible coincé dans nos oreilles, nos yeux et l’air qui nous entoure ; ce violent boum que beaucoup réentendent à chaque fois qu’ils ferment les yeux, et craignent qu’il ne se reproduise, inopinément, c’est le bruit qui reste de Beyrouth dans nos têtes, reléguant aux oubliettes tous ceux qui l’ont précédé et qui faisaient de cette ville la cité grouillante de vie et de sonorités diverses : klaxons, vrombissements des moteurs, musique à tue-tête sortant des voitures, vociférations des vendeurs de rue, protestations des manifestants, jusqu’aux vibrations des avions, civils et de guerre, traversant son ciel… C’est ce son traumatique que les « performateurs » de The Sound That Remains (Le son qui reste) ont tenté sinon d’effacer, du moins d’en atténuer l’impact sur nos existences fatiguées, l’espace du spectacle de musique et poèmes en arabe qu’ils ont offert, gracieusement, au musée Sursock.

De Béroé à Beyrouth…

Dans un cadre rendu encore plus féerique par une brise légère qui faisait bruisser ce soir-là les feuilles des arbres entourant la blanche bâtisse, les mots du récitant, accordés aux rythmes techno – que l’on dirait pourtant sortis du fond des âges – de sa comparse musicienne emportent l’auditoire dans une capsule intemporelle. Celle d’une Beyrouth millénaire, cité mythique assimilée par le jeune poète à Béroé, fille d’Aphrodite et d’Adonis, figure mythologique, née de la rencontre de la beauté et de l’amour. Déroulant sur les sonorités électroniques de Carol OHair les mille et une images poétiques que cette ville évoque, depuis son envoûtante séduction jusqu’à sa tragique destinée, Hashem Hashem la célèbre comme il le ferait d’une sirène, d’une amante et d’une femme.

Cette ville de tous les fastes et les désastres à qui il déclare sa flamme, il réussit avec sa complice musicienne à la sublimer de nouveau. À en faire oublier son état présent de capitale terrassée, harassée, vidée de son animation et réduite à l’état de loque par la force d’un instant terrible…

De ses mots au phrasé qui monte en ampleur avant de se faire murmure incantatoire, parfaitement accordés à l’intensité hypnotique de la musique conçue par Carol OHair, émerge ainsi le visage d’une cité fascinante et éternellement renaissante.

Une image sonore et poétique qui va se substituer à celle du 4 août 2020 et qu’emportera sans doute avec lui, ce soir-là, l’auditoire du talentueux duo d’artistes. Lequel clôturera sa performance par cette déclaration psalmodiée : « Aujourd’hui, Beyrouth est devenue mon nom. »


Le poète et la musicienne, un duo de jeunes artistes à la complicité évidente. Photo Michel Sayegh

De la force du collectif

À signaler que cette performance, présentée dans le cadre de Power in the Collective, un nouveau programme public initié par le musée Sursock, est née d’une proposition du collectif Qorras. Un groupe qui travaille à la collecte, la production et la diffusion d’œuvres liées aux questions de genre et de sexualité. Et c’est grâce au soutien du Fonds de solidarité libanais lancé par le Fonds arabe pour les arts et la culture – AFAC et Culture Resource (al-Mawred al-thaqafy) qu’elle a été produite.

Cartes de visite des performateurs

Hashem Hashem, poète, écrivain, éditeur et interprète basé à Beyrouth, porte un intérêt particulier pour l’exploration des thèmes de la sexualité, de l’identité et de l’affect à travers diverses formes de langage et d’expression. En 2019, il a obtenu le fonds AFAC pour les arts du spectacle pour Night Prayer, un projet monté en collaboration avec le danseur Alexandre Paulikevitch. En 2021, Hashem a été sélectionné pour rejoindre le programme Art Evolution du Goethe Institut au Liban et le projet Révolution en Italie.

Carol OHair est psychologue, productrice et poète sonore. Elle utilise les mots, la musique et la politique pour raconter une histoire et provoquer une émotion. En manipulant des éléments musicaux, elle explore les concepts de résistance, de langage, d’empathie, d’identité et de nostalgie. Et expérimente le flux et le reflux de la théorie musicale, de la perception et de la cognition de la musique incarnée.

Dans la nuit noire de Beyrouth, une petite assemblée de jeunes et moins jeunes est réunie sur l’esplanade du musée Sursock, dans un recueillement qui pourrait presque évoquer la tenue d’une société secrète. Devant la belle bâtisse blanche, à la façade furtivement éclairée – sous les échafaudages toujours là plus d’un an après le désastre –, un duo de jeunes artistes se...

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