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Moyen-Orient - Éclairage

Abou Dhabi en ligne de mire des milices proches de Téhéran en Irak

Depuis l’annonce des résultats des élections législatives, les factions armées liées à la République islamique multiplient les menaces contre ceux qu’elles accusent d’avoir volé leurs voix. Parmi leurs cibles principales, les Émirats arabes unis.

Abou Dhabi en ligne de mire des milices proches de Téhéran en Irak

Les Irakiens protestent contre les résultats des élections législatives dans la ville de Mossoul le 14 octobre 2021. Les panneaux en arabe disent : «  Non, non, aux complots contre les représentants du Hachd el-Chaabi  » et «  Non à l’intervention des Émirats dans les élections.  » Zaid al-Obeidi/AFP

Le montage n’est pas récent. Mais il a, au cours de la dernière semaine, refleuri sur les chaînes Telegram des factions armées proches de la République islamique, donnant à voir une représentation graphique de la tour Khalifa à Dubaï frappée par un drone, avec, pour l’accompagner, un verset du Coran. Plus tôt, au lendemain du scrutin législatif irakien du 10 octobre, les réseaux sociaux pro-iraniens en Irak avaient été inondés par des photos du même bâtiment aux couleurs du drapeau israélien et par des messages appelant l’une des bêtes noires de Riyad et d’Abou Dhabi, le mouvement houthi au Yémen – ou Ansarallah – à bombarder les Émirats arabes unis. Dans le cadre d’un entretien sur la chaîne télévisée UTV le 17 octobre, Ahmad Abdel Sada, commentateur proche de la coalition paramilitaire du Hachd el-Chaabi (PMF) – majoritairement liée à Téhéran – a, de son côté, multiplié les sorties fracassantes, évoquant une possible « militarisation » de la réponse des PMF si le « complot du vol » de leurs voix persistait, se référant par là au net recul aux élections du bras politique du Hachd, l’alliance du Fateh, qui a perdu plus des deux tiers des gains engrangés en 2018. Plus encore, l’analyste a prévenu que « les EAU pourraient faire l’objet d’une attaque militaire à partir du sol irakien » dans les prochains jours. Autant de coups de griffe contre Abou Dhabi qui interrogent : pourquoi fait-il, lui en particulier, l’objet de cette rancœur ?

Selon la rumeur qui circule dans les rangs des PMF, les EAU auraient falsifié le scrutin au détriment du Hachd par le biais du système électronique de vote. Des affirmations galvanisées par la cacophonie suivant l’élection, avec des retards dans l’annonce des résultats finaux, malgré la présence de 600 observateurs internationaux sur place, dont 150 des Nations unies. Pour crédibiliser leurs propos au sujet d’une machination émiratie les dépouillant des voix qui devaient leur revenir, les partisans des PMF s’appuient notamment sur les révélations de ces dernières années autour de l’usage par Abou Dhabi du logiciel espion israélien Pegasus dans le cadre d’un programme d’espionnage de masse ciblant journalistes internationaux et critiques internes. Si elles n’ont pas fondamentalement changé la donne, les irrégularités du scrutin ont pu nourrir des soupçons dans le cadre d’un processus déjà fragile, marqué par une très forte abstention. « Le ciblage des EAU par les groupes pro-iraniens n’est pas un phénomène nouveau », commente Mehmet Alaca, chercheur spécialisé sur l’Irak. « Leurs réactions soulignent la nouvelle géopolitique du pays après les élections. Alors que les groupes pro-iraniens ont reculé, Moqtada Sadr est arrivé en tête et le leader sunnite Mohammad el-Halboussi en deuxième position. Or tous les deux sont connus pour leurs relations avec les EAU. » Alors qu’Abou Dhabi est proche de Riyad et de Washington, ses relations avec Bagdad se sont nettement améliorées depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre sortant Moustapha al-Kazimi en mai 2020, ce dernier ayant tenté de rééquilibrer les relations avec le voisinage arabe au détriment de Téhéran. En témoignent deux voyages emblématiques au tout début du mois d’avril, le premier en Arabie saoudite, le second aux EAU, portés notamment par des ambitions économiques. Si ces deux visites avaient été dénoncées par les alliés de l’Iran, Moqtada Sadr avait, en revanche, largement soutenu la démarche.

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« L’Irak dépend fortement des importations de gaz iranien nécessaires pour l’électricité. Lui et les États du Golfe ont décidé après cette visite de connecter des lignes électriques alors que Bagdad cherchait d’autres sources d’énergie », souligne M. Alaca. Les deux pays ont signé le 6 octobre un contrat de mille mégawatts pour la construction de cinq centrales solaires en Irak. « En outre, la société énergétique basée aux Émirats arabes unis, Crescent Petroleum, a investi (au cours de la dernière décennie) plus de 3 milliards de dollars dans le pays et a signé un accord de vente de gaz d’une durée de 20 ans avec la région autonome du Kurdistan (en mars 2019) », ajoute-t-il. Depuis l’invasion américaine et le renversement de Saddam Hussein, les EAU sont parvenus à cultiver leur influence en Irak, grâce notamment aux investissements économiques. Avec plusieurs objectifs : empêcher une emprise iranienne totale d’une part et obtenir leur part du gâteau d’autre part dans un contexte où Washington cherchait alors à engager ses alliés régionaux – dont le rival turc – pour assurer à la fois la reconstruction économique et l’avènement d’un nouvel ordre politique.

Opposition

Avant même la tenue des législatives, des leaders parmi les factions les plus puissantes au sein des PMF avaient donné le « la ». Le chef de la milice Asaïb Ahl el-Haq – Qaïs Khazaali – avait ainsi lancé sur la chaîne de télévision libanaise pro-Iran al-Mayadeen le 6 octobre que « les manipulations électroniques conduisent à des résultats (électoraux) frauduleux, et ce sont les EAU qui ont la capacité de le faire », ajoutant qu’il était dans l’intérêt d’Abou Dhabi que les personnes « soutenant la normalisation gagnent ». Une référence non seulement à l’établissement officiel de liens diplomatiques entre les EAU et Israël en septembre 2020, mais aussi à la conférence qui s’est tenue à Erbil, dans le Kurdistan irakien, à la fin du mois de septembre. Cette dernière avait rassemblé plus de 300 Irakiens, dont des leaders tribaux, en faveur de l’intégration de l’Irak aux accords Abraham signés entre les pays arabes normalisateurs et l’État hébreu. L’événement avait, qui plus est, abordé la question d’un projet de longue date, celui d’une entité sunnite fédérée à l’image de la région autonome du Kurdistan. Une entreprise que défendent une grande partie des élites sunnites depuis la défaite de l’État islamique, soucieuses de trouver une formule alternative qui leur permette de s’extraire à la fois de l’EI et de l’emprise iranienne. Si le plan est soutenu par Washington, Riyad et Abou Dhabi, il est rejeté par Téhéran.

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Les attaques de M. Khazaali ressemblait néanmoins surtout à un aveu de faiblesse détourné. Déjà conscient de la défaite à venir – l’emprise iranienne en Irak étant décriée par de larges pans de la population – il a tenté d’y trouver une parade en pointant du doigt avant même la tenue des élections un coupable tout désigné. Pour les factions armées pro-iraniennes, le renforcement des relations irako-émiraties est une atteinte à leurs intérêts puisqu’il contribue à relativement desserrer l’étau de Téhéran autour de Bagdad en diversifiant le plus possible les relations diplomatiques de ce dernier. Moustapha al-Kazimi est de surcroît perçu comme un partenaire plus ou moins direct de Moqtada Sadr, l’homme fort de la scène politique irakienne, le seul à pouvoir – politiquement et militairement – mettre au défi les milices. Ce protagoniste de poids semble avoir légèrement adouci sa rhétorique anti-américaine depuis son triomphe électoral. Dans des tweets publiés le 16 octobre, il a préféré appeler à une renégociation des conditions de maintien des troupes de Washington restant en Irak plutôt qu’à un retrait de ces forces, alors qu’il s’agissait jusque-là de l’une des seules constantes dans son discours. Une vraie question pour les milices qui, à travers leurs saillies anti-émiraties, semblent, tacitement, viser le clerc chiite pour s’assurer une place dans le prochain gouvernement. Le faiseur de rois privilégiera-t-il une alliance avec Mohammad el-Halboussi et Massoud Barzani, le chef du Parti démocratique du Kurdistan qui, lui aussi, a de bonnes relations avec Abou Dhabi ? « Cette option renverrait les groupes pro-iraniens dans l’opposition, ce qui fait croître leur colère », insiste Mehmet Alaca. Et conduire à des violences entre groupes armés. M. Sadr pourrait, au contraire, choisir de faire alliance, comme ce fut le cas en 2018, avec le Fateh, ce à quoi les milices semblent aspirer, soucieuses d’éviter un contrôle accru de leurs activités.

Le montage n’est pas récent. Mais il a, au cours de la dernière semaine, refleuri sur les chaînes Telegram des factions armées proches de la République islamique, donnant à voir une représentation graphique de la tour Khalifa à Dubaï frappée par un drone, avec, pour l’accompagner, un verset du Coran. Plus tôt, au lendemain du scrutin législatif irakien du 10 octobre, les réseaux...

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