Ce n’est peut-être qu’un détail, mais il a son importance lorsqu’il s’agit de l’Iran et du Hezbollah. Dans la photo publiée de la rencontre qui a eu lieu jeudi soir entre le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian et le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, il n’y a que deux drapeaux, celui du Liban et celui du Hezbollah. Comme on peut difficilement croire que le Hezbollah n’ait pas pu se procurer le drapeau de la République islamique d’Iran, il faut donc considérer que l’absence de ce drapeau, dans une telle rencontre, est le plus probablement intentionnelle.
Selon les sources proches de la formation chiite, le Hezbollah a voulu, à travers cette omission volontaire, adresser des messages clairs aux Libanais et aux diplomates arabes et occidentaux qui suivent de près toutes ses activités. Aux Libanais, surtout ceux qui avaient protesté contre l’absence du drapeau libanais lors de l’accueil de la délégation ministérielle libanaise à Damas, le Hezbollah a voulu montrer que la présence du drapeau du pays des visiteurs n’est pas forcément obligatoire et son absence n’enlève rien à l’importance de leur visite. Mais, plus important que cela, et à un niveau bien plus large, le Hezbollah a voulu répondre à ceux qui l’accusent d’être totalement inféodé à l’Iran, en montrant qu’il a sa propre entité et que concernant le Liban, c’est lui qui décide et il ne craint pas d’afficher clairement son identité. D’ailleurs, pour la petite histoire, la visite de la délégation iranienne de haut niveau à Hassan Nasrallah a obéi au même scénario adopté pour tous ses visiteurs : des voitures aux vitres noircies pour ne pas distinguer l’environnement et ne pas pouvoir identifier les lieux, l’arrivée dans un parking anonyme et la montée dans un ascenseur où il est impossible de compter les étages. Pour qui connaît le Hezbollah, le détail qui peut paraître banal ou anodin a son importance. C’est pourquoi il mérite d’être relevé. Cela sur le plan de la forme.
Sur le plan du fond, la visite du ministre iranien Hossein Amir-Abdollahian est aussi porteuse de nombreux messages politiques, dans son timing et dans son contenu. Pour ce qui est du timing, la visite intervient au moment où le gouvernement de Nagib Mikati s’apprête à entamer les négociations qui s’annoncent ardues avec le Fonds monétaire international. Il faut préciser dans ce contexte qu’avant la formation du gouvernement, les émissaires et les ambassadeurs occidentaux pressaient les responsables d’accomplir ce pas en affirmant qu’une fois le gouvernement formé, les aides internationales commenceront à arriver. Mais bien que le gouvernement ait été formé et qu’il ait obtenu la confiance du Parlement, les obstacles continuent à se dresser devant lui. Il semble en effet de plus en plus clair que la clé du retour des aides n’est pas la formation du gouvernement mais le cours des négociations qu’il va mener avec le FMI et la Banque mondiale. Or non seulement celles-ci risquent de prendre du temps, mais il est aussi demandé actuellement au gouvernement de prendre des décisions difficiles et impopulaires avant d’obtenir la moindre aide. C’est notamment le cas au sujet de l’électricité, où on parle de plus en plus de la nécessité de relever la tarification avant même d’augmenter les heures d’approvisionnement en courant, ce que le ministre de l’Énergie refuse pour l’instant. Ce serait aussi le cas pour l’assainissement de l’administration et d’autres décisions du même genre. La visite du ministre iranien des Affaires étrangères intervient donc à ce moment particulièrement délicat et elle permet aux responsables libanais, qui ont tous reçu Abdollahian, de montrer qu’ils ont encore plusieurs options. Ce qui leur donne une certaine marge de manœuvre. Si donc les Occidentaux et leurs alliés continuent à poser autant de conditions difficiles pour accepter d’aider le Liban, celui-ci pourrait recourir à d’autres choix. D’ailleurs, dans une belle harmonie, assez rare depuis quelque temps, les responsables libanais ont remercié la République islamique pour le soutien et l’aide qu’elle fournit au Liban.
L’autre message important délivré par la visite du ministre iranien porte sur le fait que la République islamique et le Hezbollah sont désormais clairement impliqués dans le dossier économique libanais. Auparavant, ils semblaient essentiellement intéressés par les questions politiques et militaires. Mais ils s’attaquent désormais aux dossiers économiques, et leurs projets communs sont nombreux. Comme l’avait dit Nasrallah dans un de ses discours, les bateaux en provenance d’Iran et transportant du carburant vont se multiplier (trois sont déjà arrivés au port syrien de Banias), mais, de plus, le Hezbollah compte aussi importer d’Iran (et d’ailleurs, éventuellement) des médicaments et des produits alimentaires de base. Il ne s’agit donc plus de démarches isolées, répondant à des besoins urgents, mais d’un processus appelé à se prolonger... et à se banaliser.
Enfin, le dernier élément important de cette visite (lors de laquelle Abdollahian a aussi rencontré une délégation des organisations palestiniennes au Liban), c’est l’insistance de la part des responsables libanais à pousser les Iraniens à approfondir leur dialogue avec le royaume saoudien, souhaitant que ces pourparlers aboutissent à une entente. Sur ce thème aussi, les responsables libanais ont tenu le même langage, assurant au visiteur iranien que toute entente entre la République islamique et l’Arabie saoudite ne peut qu’avoir des répercussions positives sur la situation au Liban. À des degrés différents et avec certaines nuances, les responsables ont tous développé le point selon lequel ce pays aspire à ne plus servir de terrain de confrontation entre ces deux puissances régionales. Plus vite elles parviennent à une entente, mieux c’est pour le Liban et pour la région.
commentaires (7)
Le monde à côté ?
Wow
15 h 30, le 09 octobre 2021