Coup d’éclat hier de la députée du courant Amal, Inaya Ezzeddine, lors de la réunion des commissions parlementaires mixtes. La députée chiite a claqué la porte de la séance pour protester contre le refus des parlementaires de débattre de la question des quotas féminins pour les prochaines législatives. À l’origine d’une proposition de loi pour l’instauration de 26 sièges féminins au sein de l’hémicycle, équitablement répartis entre chrétiennes et musulmanes, Mme Ezzeddine a réclamé dans ce sens l’amendement de l’article 2 de la loi électorale adoptée en 2017. Une initiative qui s’est heurtée à l’insistance du vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, qui présidait la séance, de se limiter aux amendements non controversés, vu le nombre élevé de propositions et le manque de temps, à six mois de l’échéance électorale (fixée hier au 27 mars prochain). Au lieu d’une réponse favorable à la requête de la députée, ou du moins d’un débat sur la question, la question a donc été bâclée et s’est soldée par un vote hâtif contre le débat sur les quotas féminins. Les élus Inaya Ezzeddine (Amal), Roula Tabch (courant du Futur) et Bilal Abdallah (Parti socialiste progressiste, à l’origine d’une proposition de loi sur les quotas féminins) s’étaient pourtant prononcés en faveur d’un débat. Mais les autres, notamment les Forces libanaises, le Courant patriotique libre et le Hezbollah, l’avaient rejeté.
Tous les partis politiques vous mentent !
Résultat, la députée d’Amal ne décolère pas. « J’ai bien insisté sur la nécessité d’améliorer la représentation des femmes au Parlement, lance Mme Ezzeddine à L’Orient-Le Jour. J’ai également expliqué mon souci de préserver l’équilibre confessionnel et de ne pas rogner sur les parts des hommes. Les députés sont montés au créneau, Élie Ferzli et Georges Adwan en tête, prétextant que ma proposition de loi est discriminatoire parce qu’elle n’accorde pas une représentativité aux communautés minoritaires, et que la femme candidate d’une liste gagnante doit être élue d’office même si ses scores sont inférieurs à ceux des candidats de sexe masculin. » La députée n’en salue pas moins le soutien du chef d’Amal et président du Parlement Nabih Berry, tout en dénonçant « les mensonges » de la classe politique aux femmes libanaises, tous partis confondus. « Tous les partis politiques vous mentent lorsqu’ils vous promettent d’œuvrer pour une participation de la Libanaise à la vie politique », affirme-t-elle à l’intention des électrices. À l’issue de la séance, le député Eddy Maalouf du CPL sollicité par L’OLJ justifiera la décision de son parti par l’explication suivante : « M. Ferzli a probablement considéré que la question des quotas allait provoquer des discussions interminables, d’où cette impression de bâclage », note-t-il. Quant à la position du courant aouniste sur la question, « nous n’avons pas de position officielle au sujet des quotas féminins, mais appliquons la parité hommes-femmes dans la pratique », assure-t-il. Également contactées, les FL n’ont pas réagi.
Alors que la classe politique libanaise est sous la loupe d’une communauté internationale en attente de réformes, débattre des quotas féminins aurait été pour les parlementaires la meilleure façon de lancer des signaux de bonne volonté. Pas question cependant pour un Parlement, qui ne comptait que 6 femmes sur 128 élus aux élections de 2018, de faire davantage de place à la gent féminine au prochain scrutin. « Le niet des parlementaires n’est autre que prétextes machistes pour empêcher ne serait-ce que d’ouvrir le débat. Et c’est inadmissible ! » dénonce pour sa part la députée du Futur, Roula Tabch.
Le clientélisme politique, une entrave aux femmes
Plus de cinq propositions de lois visant à améliorer la participation de la Libanaise à la vie politique par le biais des quotas féminins croupissent dans les tiroirs du Parlement. Parmi elles, le texte présenté par la députée Ezzeddine, développé par l’association féministe Fifty-Fifty. De cette initiative est née la Coalition civile pour l’adoption des quotas féminins qui regroupe une cinquantaine d’associations, regroupements et journalistes. « Nous condamnons le désintérêt des parlementaires pour la question de la participation des femmes à la vie politique », s’insurge la présidente de Fifty-Fifty, Joëlle Abou Farhat Rizkallah. Même incompréhension de la présidente de la Commission nationale pour la femme libanaise, Claudine Aoun, fille du chef de l’État et à l’origine d’une autre proposition de loi sur les quotas féminins. « J’appelle les députés à faire preuve de sérieux sur la question de la représentativité des femmes au sein de l’hémicycle », souligne-t-elle, dans un communiqué.
Sauf que les entraves à l’instauration des quotas féminins ne sont pas uniquement une question de machisme. « Elles sont liées au clientélisme politique, car la candidature des femmes représente une menace pour les leaderships traditionnels (zaïms) », estime Halimé Kaakour, membre fondateur du parti Lana et experte dans les questions du genre, qui pointe du doigt « des partis politiques incapables de changement ». À cela s’ajoute, selon un observateur qui a requis l’anonymat, « la complexité de superposer la question des quotas féminins à celle des quotas confessionnels », sans oublier que « les femmes du Liban ne sont pas des clés électorales et n’ont pas la capacité jusqu’à nouvel ordre de drainer les foules ». En bref, l’instauration de quotas féminins nécessite aussi une évolution des mœurs.
Demande d'adopter l'idée des quotas sans discussion, c'est proposer la même approche qe les partis actuels: ne pas discuter.
22 h 57, le 09 octobre 2021