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Nos Lecteurs ont la Parole

Beyrouth avant et après la guerre

Beyrouth avant et après la guerre

Beyrouth de l’avant-geurre civile est une visible paisible et insouciante. Photo archives L’OLJ

Ah le Beyrouth de l’avant-guerre civile ! Je vous parle d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, Beyrouth est une ville paisible et insouciante qui somnole durant les calmes heures de l’après-midi. Les quelques bruits qui se répandent dans la ville sont rassurants. Il y a les psaumes mélodieux des minarets s’entremêlant avec les tintements harmonieux des carillons. Il y a le brouhaha des parties de trictrac avec leurs roulements de dés et leurs claquements de pions, ponctué par des conversations feutrées et des éclats de rire stridents. Il y a les chants lancinants des marchands de quatre-saisons clamant à tue-tête, avec un zeste d’humour, les vertus de leurs fruits et légumes. Il y a les klaxons rythmiques annonçant le passage du vendeur de gaz avec sa citerne tirée par un cheval aphone.

Les rues de Beyrouth sont un lieu de partage et de bonne humeur pour les enfants. Ils s’en donnent à cœur joie à bicyclette et sur trottinette. Ils gambadent allègrement de quartier en quartier. Si par mégarde les jeux deviennent trop bruyants, une voisine leur balance, d’une fenêtre anonyme, un seau d’eau bien frais, histoire de leur rafraîchir les ardeurs. On entend des exclamations de joie à l’arrivée du marchand de galettes piquetées de sésame auxquelles on ajoute une pincée de thym et de sumac. Cet équilibriste hors pair porte gracieusement sur sa tête un large plateau en bois bien garni et bien posé sur un coussinet. De sa main libre, il trimbale le support en bois du plateau.

L’entame de la saison d’été s’annonce en fanfare. Les battements rythmés des grandes tapettes d’osier fouettant impitoyablement les tapis, résonnent dans les quartiers. Ce remue-ménage se déroule de balcon en balcon sur fond de joyeuses interjections entre voisines. Dès l’arrivée des premières pluies, l’odeur des marrons grillés vendus au coin des rues répandent des arômes sublimes.

Les maisons de Beyrouth sentent l’humain. Au petit matin, elles exhalent délicieusement l’arôme du café à la cardamome. Aux abords de midi, elles sécrètent l’odeur de l’oignon frit qui se faufile, sournoisement, dans tous les recoins de la maison pour ensuite s’inviter inopinément chez les voisins. Le soir venu, les fragrances de jasmin, de magnolia, de frangipanier et de bigaradier embaument l’air de leurs exquises vapeurs douces et enivrantes.

Les deux balcons de la maison, celui de la cuisine et celui du salon, revêtent une importance toute particulière. Le balcon de la cuisine sert exclusivement à pendre le linge aux effluves de savon. En revanche, le balcon du salon est un emplacement polyvalent à multiples usages. On s’en sert pour prendre son café au petit matin, dîner à la rafraîchissante bise du soir, appeler l’épicier du coin, interpeller le marchand ambulant, causer avec le voisin, jouer aux cartes, ou tout simplement contempler la rue en somnolant.

Soudainement, la guerre civile du Liban interrompt brutalement cette sérénité. Beyrouth subit quinze longues années de démence, d’épouvante, et d’agonie. Il faut attendre la dernière décennie du XXe siècle pour que la paix revienne enfin. Beyrouth fait alors peau neuve. C’est ainsi que les petits commerces, les cordonniers, les menuisiers, les petits cinémas de quartier, les terrains vagues, les endroits de sport en plein air, ainsi que d’autres trésors d’un autre temps, disparaissent progressivement du paysage familier pour laisser place aux grandes surfaces.

Les encombrements et les embouteillages deviennent monnaie courante. La ville est tourmentée. Elle est en manque d’air et d’oxygène. Les rues ne sont plus des terrains de jeu à ciel ouvert pour les enfants. Les espaces se font tellement rares que l’on ne trouve plus de place pour garer sa voiture devant chez soi. De bruyants et hideux générateurs s’invitent de façon impromptue dans tous les recoins de Beyrouth pour cracher leur fumée toxique et amplifier la pollution ambiante.

Même le chez-soi est devenu incolore, inodore et sans saveur. Le nouveau voisin n’est plus cet exquis casse-pied qui débarque à l’improviste et à n’importe quelle heure pour quémander une gousse d’ail ou une branche de coriandre. Il est devenu un fantôme anonyme et silencieux. Son ombre est discrète, voire clandestine. Certes, il nous arrive de le rencontrer fortuitement dans l’ascenseur. Sa présence est rapide et insipide. Nos regards se croisent furtivement. On se salue sobrement du bout des lèvres. Ensuite, on se concentre sur notre portable dans un silence courtois mais gêné. C’est à peine si l’on se murmure un au revoir. Il se cloître à l’intérieur de son appartement sans pointer à son balcon en tenue décontractée ou en pyjama, noblesse oblige.

D’ailleurs, il n’y a presque plus de balcons. Ils se sont métamorphosés pour devenir des cages de verre afin d’optimiser l’espace intérieur. Avec la disparition des balcons, les saisons ne s’invitent plus dans les maisons pour aiguiser nos sens de leurs odeurs, de leurs chaleurs, et de leurs fraîcheurs. Même les oiseaux ont déserté nos foyers. On n’arrive plus à distinguer entre un pigeon et une tourterelle, entre un moineau et un étourneau.

Faut-il être vieux, désormais, pour se souvenir du vrai visage de Beyrouth avant qu’il ne soit défiguré pour de bon. Comble de malchance, l’explosion apocalyptique du 4 août 2020 finira par achever les derniers résidus d’un patrimoine ancien. Ils représentent, hélas, les derniers témoins d’une ville douce où il faisait bon vivre. Comme dit la chanson écrite par Jacques Prévert, « les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi ».

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Ah le Beyrouth de l’avant-guerre civile ! Je vous parle d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, Beyrouth est une ville paisible et insouciante qui somnole durant les calmes heures de l’après-midi. Les quelques bruits qui se répandent dans la ville sont rassurants. Il y a les psaumes mélodieux des minarets s’entremêlant avec les tintements...

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BEYROUTH AVANT L'ERE NASRALLAH-AOUN.

Gaby SIOUFI

11 h 45, le 22 septembre 2021

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Commentaires (1)

  • BEYROUTH AVANT L'ERE NASRALLAH-AOUN.

    Gaby SIOUFI

    11 h 45, le 22 septembre 2021

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