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Nos Lecteurs ont la Parole

Et si mon pays était un non-lieu

Mon pays est une solitude. C’est un espace de passage coincé entre montagne et mer. Une étendue vide entre gorge, cime et plaine où coulent les hordes de ténèbres. Mon pays va périr faute d’habitants. C’est une terre aride au milieu de laquelle se « re-posent » les vendeurs et les changeurs du temple sur les corps des enfants affamés et pétrifiés au soleil : Donne-nous Seigneur ton fouet de cordes afin de les chasser tous et de répandre la monnaie des changeurs et de renverser leurs tables de sacrilèges.

La terre de mon pays ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnelle, ni comme historique : c’est une géographie absente, un non-lieu. Mon pays est une polarité fuyante sans signe, sans symbole, qui n’est jamais totalement accomplie. Mon pays est un non-lieu imaginé par les trafiquants, comme une sorte d’éther, un ruisseau coulant, du sang courant insaisissable, de la neige en poussière blanche, une montagne esquissée dont la cime du cèdre est arrachée par le grand aigle à l’envergure immense, couvert de plumes multicolores, de l’allégorie du prophète (Ez 17, 1).

Mon pays est un non-lieu non réfléchi où le peuple qui l’habite a échangé sa vie contre le vide, dans l’idée d’une terre, d’une localisation, d’une région, dans les choses, en considérant vaguement l’espace à sa source, à sa fonction, à sa spatialité et à sa relation concrète entre l’être et le néant. C’est un peuple qui a abandonné la source d’eau vive pour se creuser des citernes lézardées d’essence et de mazout.

Mon pays est un non-lieu physique, bidimensionnel tracé en croquis inachevé sur une carte mandataire intentionnelle dont les tracés sont substituables par le rien.

Mon pays est un rien sans épicentre, un centre toujours vide, désertique, à la fois interdit et indifférent. Un centre qui annonce désastre sur désastre, tout le non-lieu est dévasté par des enfants sans réflexion, qui sont sages pour faire le mal (Jr 4, 22). De cette manière, l’imaginaire se déploie circulairement, par détours et retours le long d’un sujet vide au rythme de l’explosion des bombes lacrymogènes.

Mon pays est un vide prostitutionnel. Il est la réflexion inversée-renversée d’une image rétinienne de l’être et de ses choses. Renversez l’image : rien de plus, rien d’autre, rien, affirme Roland Barthes.

Mon pays est un non-lieu réel, mais l’être est virtuel. Les choses du quotidien ne trouvent jamais l’aspect de la réalité. Elles sont de l’ordre de l’illusion, de la corruption, de l’intrigue, de la cabale et de la conspiration, toujours l’autre, l’extérieur en question.

Mon pays est une géographie de fuite qui blesse en provoquant un sentiment cénesthésique du non-lieu.

Mon pays est un esclave, un coureur des Baal qui prétend la liberté. Et pourtant, sur toute montagne et sous tout cèdre vert, il s’est couché comme une prostituée (Jr 2, 20). N’est-elle pas totalement profanée, cette terre-là ? (Jr 3,1).

Mon pays est une cavité béante, une sphère, un trou à pigeons, un puits où l’être et sa culture s’engouffrent, s’avilissent dans la haine de l’autre et ne se rencontrent jamais, comme une image sur un billet.

Mon pays ruine(s) est fragile, parce qu’il est réduit à un état de fragments souvent incohérents, aléatoires (Sophie Lacroix).

Mon pays est amnésique sans mémoire(s), mais malheureusement un non-lieu dans la mémoire, feuilleté uniquement comme un album de photographies par un touriste de l’Est comme de l’Ouest blasé, qui ne prend jamais que des vues partielles, additionnées pêle-mêle dans sa mémoire au bord d’un non-lieu, sur le parvis d’un « ici » colonial à l’odeur de l’eau de rose, de narguilé et de cigares enfumés.

Les hommes en tenue blanche de mon pays sont reluisants et gras. Ils ont passé la mesure du mal. Ils ne respectent pas le droit (…) Ils n’ont pas rendu justice aux victimes ! Des choses horribles, abominables, se passent dans mon pays : les prophètes sur écran couleur à chaînes multiples prophétisent le mensonge, « les prêtres font du profit. Et mon peuple aime cela ! Mais que ferez-vous quand viendra la fin ? » (Jr 5, 31).


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Mon pays est une solitude. C’est un espace de passage coincé entre montagne et mer. Une étendue vide entre gorge, cime et plaine où coulent les hordes de ténèbres. Mon pays va périr faute d’habitants. C’est une terre aride au milieu de laquelle se « re-posent » les vendeurs et les changeurs du temple sur les corps des enfants affamés et pétrifiés au soleil :...

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