Critiques littéraires Roman

Sans concession

Rare voix féminine à dresser le portrait sensible d’une jeunesse marocaine en proie au sentiment d’abandon, Abigail Assor réussit dans Aussi riche que le roi à faire entendre le malaise d’une société figée. Entre aspirations au changement et conservatisme social, l’allégorie juste d’une génération étouffée.

Sans concession

© F. Mantovani / Gallimard

Aussi riche que le roi d’Abigail Assor, Gallimard, 2021, 208 p.

L’héroïne d’Aussi riche que le roi occupe un statut particulier. Sarah est française et vit au Maroc, à Casablanca. On s’imaginerait donc aisément, voire communément, une jeune femme privilégiée, fille d’un industriel ou d’un couple d’expatriés. Il n’en est rien. Sarah vit seule avec sa mère dans un quartier pauvre de Casa. Elle ne vit pas à Anfa supérieur « là où les belles villas ronflaient », mais dans le quartier délabré d’Hay Mohammadi, « un ensemble de briques qui tombait en ruine et où il n’y avait jamais eu l’eau chaude ». À 16 ans, élève du lycée où elle ne brille ni par ses aptitudes ni par son assiduité, Sarah se laisse vivre. Autour d’elle s’est constituée une petite bande. Nous sommes dans les années 1990. Le Maroc est en plein boum industriel. Mais quand la jeunesse rêve d’avenir, elle rêve de quitter le pays. Pour Chirine, l’amie de Sarah forte en gueule, il faut se dépêcher de faire un beau mariage. Elle vise pour sa part qu’Alain l’épousera. Il fait partie de la bourgeoisie juive de Casa. Il a de l’argent. L’argent, c’est le plus important, pense Chirine.

Sarah est belle. Tout le monde lui trouve des « yeux de princesse ». Le fait qu’elle soit française ne lui apporte rien, excepté d’être dispensée de faire le Ramadan. En revanche, sa beauté vaut quelque chose. Elle est un bien monnayable dont Sarah se sert, presque en toute innocence, pour se faire payer chaque jour des sandwichs et des boissons. Depuis quelque temps, Sarah sort avec Kamil. Il est riche. Un garçon pas très beau mais agréable. Il habite « une baraque des beaux quartiers où tout le monde allait jouer aux cartes le soir ». Sarah ne va pas tarder à coucher avec lui. Elle le sait. « Sarah avait appris une technique l’année précédente, celle d’attendre avant de se déshabiller ? ça fonctionnait bien. C’était bête, un garçon, ça vous payait café sur café pendant des semaines pour ce résultat. »

Tout pourrait continuer à ronronner gentiment dans ce petit monde qui tourne sur lui-même, entre marivaudages et échanges de services marchands, si Sarah ne faisait un jour la rencontre de Driss qui est un ami de Kamil. A priori, et tel qu’elle le voit pour la première fois lorsqu’il descend de sa moto, Driss n’a rien pour lui. « Encadré par la porte, un jeune homme retirait son casque ; il avait les jambes courtes et le ventre dodu. Aux mots de Kamil, il sourit, et les petites dents de rongeur apparurent, écrasées sous l’épaisse gencive, et l’épaisse gencive plait sous l’ombre du nez, qui était crochu et pontait vers le sol. Franchement laid, oui. »

Entre Sarah et Driss, la petite Française qui offre ses charmes contre une boisson gazeuse et Driss, issu de la lignée des Fassi, les familles les plus riches du Maroc, une idylle va naître. Qui va se transmuer en passion et obliger chacun à s’interroger sur la vraie nature de leur relation. Qui aime-t-on et pourquoi ? Que veut-on faire de sa vie ? Un temps, Sarah a pensé qu’elle voulait Driss parce qu’il était « plus riche qu’eux tous, plus riche que le roi », avant de découvrir à ses dépens que l’argent fait et défait tout. L’argent commande la norme sociale. À moins que…

Vibrant et touchant, Aussi riche que le roi fait trembler la voix sourde d’une jeunesse marocaine – riche comme pauvre – qui bout intérieurement de ne pouvoir s’exprimer. Plus que jamais, dans ce Maroc des années 90 que l’auteure, originaire de Casablanca, décrit avec une très grande délicatesse et vraie acuité, les fantasmes sont partout et les libertés nulle part. La force de ce texte tient en ce qu'il finit par être à la fois et sans contraction un très beau roman d’éducation sentimentale autant qu’un grand récit issu de la tradition du naturalisme social. Aussi riche que le roi a été finaliste du Goncourt des lycéens et a reçu le prix du premier roman francophone. Assurément, une auteure en devenir.


Aussi riche que le roi d’Abigail Assor, Gallimard, 2021, 208 p.L’héroïne d’Aussi riche que le roi occupe un statut particulier. Sarah est française et vit au Maroc, à Casablanca. On s’imaginerait donc aisément, voire communément, une jeune femme privilégiée, fille d’un industriel ou d’un couple d’expatriés. Il n’en est rien. Sarah vit seule avec sa mère dans un quartier...

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