Contrairement à son habitude, le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, qui s'est entretenu jeudi après-midi avec le président Michel Aoun du dossier de la formation du gouvernement, a quitté Baabda sans faire de déclarations, se contentant d'un simple "Inchallah, espérons". Il s'agissait de la 13e réunion entre les deux responsables depuis la désignation, il y a un mois, du milliardaire sunnite pour former un cabinet, un processus qui bloque depuis plus d'un an malgré l'urgence de voir naître cette équipe appelée à mener des réformes pour sortir le pays de la crise dans laquelle il se noie depuis bientôt deux ans. La réunion de jeudi était initialement prévue la veille mais avait été reportée à la dernière minute. Nagib Mikati était censé présenter une mouture complète d'un cabinet de 24 ministres, à raison de huit pour chacun des trois grands ensembles politiques du pays, mais il n'était pas clair si cela a été le cas. Car, face à l'insistance des journalistes présents à Baabda de savoir si le responsable sunnite a effectivement présenté cette mouture, ce dernier a lancé sur un ton blagueur, depuis la porte de sortie : "Le brouillon est de couleur noire (un jeu de mots lié à la traduction en arabe du terme brouillon, ndlr), qui présente un document noir ?". A un autre journaliste qui lui a demandé pourquoi il avait l'air contrarié, M. Mikati a répondu : "Je ne le suis pas du tout".
Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, citant une source proche de M. Mikati, les deux responsables ont poursuivi aujourd'hui leurs discussions portant sur les portefeuilles et les noms des ministrables, ajoutant que "certains nœuds restent à défaire". Toujours selon cette source, "une grande pression est exercée sur le président afin qu'il facilite la naissance du cabinet". Notre correspondante à Baabda Hoda Chédid rapporte de son côté, citant des sources de la présidence, que cinq problèmes restent à régler et concernent les noms qui seront chargés de la vice-présidence du Conseil, de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires sociales et de l'Economie. Des noms alternatifs ont été proposés afin de rapprocher les points de vue, mais si le désaccord persiste, cela pourrait remettre en question l'actuel accord sur la répartition des portefeuilles. Toujours selon notre correspondante, une nouvelle réunion pourrait se tenir demain.
La veille, le Premier ministre désigné avait mis en garde contre l'absence de nouveau cabinet, prévenant que cela mènerait à "plus d'effondrement". Il avait également exprimé sa volonté de mener à bien cette mission, alors que dans certains milieux on laisse entendre que le milliardaire sunnite pourrait bientôt jeter l'éponge, tout comme l'ont fait ses prédécesseurs Saad Hariri et Moustapha Adib, en raison de tensions avec le président de la République. "Je suis déterminé à mener cette mission suicidaire, comme certains l'ont qualifiée, en espérant que je puisse former un gouvernement à même de résoudre les dossiers urgents, d'assurer un minimum de résolutions rapides afin d'améliorer le mode de vie des Libanais, de les rassurer quant à une sortie du tunnel noir qu'ils traversent et de limiter la migration d'un grand nombre de Libanais", avait affirmé M. Mikati, en réponse à un article du quotidien An-Nahar daté de mardi et signé Akl Awit. Dans l'article en question, intitulé "Que fais-tu Nagib ?", le journaliste demande au PM désigné s'il est "vraiment persuadé de pouvoir former un gouvernement pour sauver le pays".
Nagib Mikati avait été nommé Premier ministre le 26 juillet dernier. Avant lui, Saad Hariri et Moustapha Adib avaient fini par jeter l'éponge après avoir échoué à s'entendre avec le président Aoun sur le processus. La formation d'un gouvernement capable de sérieuses réformes est une condition sine qua non pour débloquer l'aide financière internationale dont le Liban a grandement besoin. Si la communauté internationale avait fait preuve de fermeté l'année dernière face à la classe politique en place, imposant notamment des sanctions contre plusieurs figures parmi ses rangs, elle semble aujourd'hui en retrait, comme désemparée face à la sourde oreille des dirigeants libanais.
Message "urgent" de l'UE : Il est maintenant temps d'agir
C'est dans ce contexte que l'Union européenne - qui avait adopté fin juillet, à l'unanimité, un cadre légal de sanctions qui pourraient viser ceux qui entravent le processus gouvernemental au Liban - s'est dite "très inquiète" de la "détérioration rapide" de la situation au Liban sur le triple plan économique, financier, et sécuritaire, appelant une nouvelle fois les responsables à former un gouvernement et opérer les réformes nécessaires pour sortir le pays de la crise dont il souffre depuis 2019. Le message d'inquiétude a été transmis jeudi plus tôt dans la journée par le chef de la mission diplomatique de l'UE à Beyrouth, Ralph Tarraf, au président Aoun.
S'exprimant à l'issue de la réunion, le diplomate européen a souligné le caractère "urgent" du message qu'il est chargé de transmettre aux autorités, de la part du chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell. "Nous sommes très inquiets au sujet de la détérioration rapide de la situation économique, financière, sociale et sécuritaire", a déclaré M. Tarraf, rappelant que les autorités libanaises "peinent à assurer les services et produits essentiels, et que les Libanais souffrent". "L'explosion (d'une cuve d'essence) survenue au Akkar est une nouvelle preuve que les gens paient le prix de l'inaction politique", a-t-il estimé, déplorant le fait que deux semaines plus tard, des victimes de cette tragédie continuent de tomber. Le drame, survenu le 15 août dans la localité de Tleil, a fait plus de trente morts et 80 blessés. "J'appelle, une fois de plus, les décideurs de ce pays à former un gouvernement, et opérer les réformes nécessaires pour sortir le pays de la crise actuelle", a insisté le diplomate. "Une fois que le gouvernement sera mis en place, nous relancerons les négociations portant sur les priorités de notre partenariat avec le Liban". "Nous réfléchirons aussi à une assistance macroéconomique si un programme de travail avec le Fonds monétaire international est mis en place", a encore promis Ralph Tarraf, déclarant que l'UE était prête à soutenir les législatives prévues en 2022. "L'UE continue d'offrir des aides aux Libanais. Ces derniers peuvent compter sur nous en ces temps difficiles. Mais les décideurs libanais devraient s'acquitter de leurs responsabilités. Il est maintenant temps d'agir", a conclu M. Tarraf.
M. Tarraf s'est également entretenu avec le Premier ministre désigné et le président du Parlement, Nabih Berry, auquel il a également transmis une lettre du chef de la diplomatie de l'UE, mettant l'accent sur l'urgence de la formation d'un cabinet.
De son côté, le secrétaire général des Nations unies António Guterres, "profondément inquiet au vu de la dégradation de la situation socio-économique du Liban", a appelé jeudi les responsables politiques à "former rapidement un gouvernement efficace d'union nationale", rapporte son porte-parole, Stephane Dujarric.
commentaires (9)
Quel est l’intérêt d’avoir un premier-ministre? Pour servir de fusible?! Il faut laisse Aoun gouverner et assumer toutes les conséquences politiques et pénales…
Alexandre Husson
22 h 36, le 26 août 2021