Hommages

Le frère d'âme

Comment démêler les fils si étroitement entrelacés du public et du privé dans ma relation avec Farès ? La tâche me semble de prime abord insurmontable et la peine infinie…

Comment rendre les liens de parenté, l’enfance, les années d’internat passées ensemble à Antoura et les joutes fraternelles en famille, sans évoquer aussi l’amitié de toujours s’exprimant par son choix comme témoin « naturel » de mon mariage et la complicité intellectuelle et politique des années de jeunesse durant lesquelles nous militions pour un Liban que nous rêvions meilleur ?

Ensemble, nous aurions passé à Paris les années 70, années fiévreuses sur le plan intellectuel, lisant beaucoup, disséquant les concepts, discutant avec passion les théories et les dialectiques nombreuses des maîtres à penser d’alors, de l’anthropologie au structuralisme, de Lévi-Strauss à Michel Foucault. L’illustre philosophe lui accordera d’ailleurs un entretien unique en 1979. Avec sa modestie légendaire, il n’en fera jamais étalage et le texte restera inédit jusqu’à sa publication en 2013 dans la revue lyonnaise Rodéo et sa belle traduction en arabe par son ami Ahmad Beydoun dans la revue Kalamon en 2014.

Ensemble aussi, nous aurions traversé les méandres de la lutte politique pour toutes les causes justes du monde, avec le passage obligé – à l’époque – par le marxisme, marquant quelques victoires et beaucoup de revers, reflets en somme de notre génération aux idéaux généreux, partagée entre les espoirs de changement et les pesanteurs de l’immobilisme arabe.

La soutenance de nos thèses à Paris a marqué la fin de la jeunesse et de ses illusions et le retour au pays alors déchiré par une guerre sanglante. Ensemble encore, et avec d’autres amis comme Najib, nous avons alors tenté, dans la mesure de nos moyens, d’épargner à nos villes et à leurs habitants les affres du combat, avant de continuer la lutte, sur le plan académique cette fois, dans le cadre de l’enseignement universitaire.

Jamais le lien ne s’est distendu et nos discussions quasi quotidiennes urbi et orbi se sont poursuivies sur des chemins parallèles mais toujours liés, lui avec Talal Husseini dans le cadre du Centre civil pour l’Initiative nationale et moi avec Nassib Lahoud dans le Mouvement pour le Renouveau démocratique.

Nous ne vieillirons pas ensemble. Est-ce parce que « nous aurions réussi à être vieux sans être adultes », comme le chantait Brel ?

Avec ton départ cruel, mon ami, mon compagnon de route, mon complice intellectuel, mon âme-sœur, mon frère, c’est une part de moi-même qui m’a été arrachée. Et les mots, tous les mots, ceux que tu maniais si bien, sont impuissants à signifier l’ampleur du désastre.


Comment démêler les fils si étroitement entrelacés du public et du privé dans ma relation avec Farès ? La tâche me semble de prime abord insurmontable et la peine infinie…Comment rendre les liens de parenté, l’enfance, les années d’internat passées ensemble à Antoura et les joutes fraternelles en famille, sans évoquer aussi l’amitié de toujours s’exprimant par son choix...

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