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Nos Lecteurs ont la Parole

Grandeurs et misères de la chose publique au Liban

Comment le processus culturel et éducatif le plus grandiose de l’histoire du Liban moderne a-t-il été propulsé au Liban, après l’œuvre pionnière de Fouad Chéhab, et comment l’a-t-on fait avorter ? Mounir Abou Assali le rapporte dans son ouvrage Massîrat wa rihâne (Itinéraire et pari, Naufal, 2021, 600 p.). C’est la nécrologie du meurtre prémédité de la plus importante entreprise culturelle et éducative au Liban !

L’ouvrage contribue – en plus de ce qui avait été édité sur l’expérience de Fouad Chéhab grâce au travail de Nicolas Nassif et d’autres, aux Mémoires de Louis-Joseph Lebret, de Fouad Boutros – à entrevoir les contours d’une réhabilitation culturelle et éducative du Libanais après des périodes d’occupation et d’asservissement, et d’acculturation de l’État.

Heureusement que Mounir Abou Assali publie ses Mémoires nullement pour la reconnaissance, ni surtout l’autojustification, mais en tant que leçons, vade mecum, pour nous hausser désormais au niveau de la chose publique. La gratitude est le summum des vertus. Mounir Abou Assali est novateur, pionnier, éclaireur pour le Liban message dans la situation actuelle de décadence. Son travail fondateur constitue le moyen éducatif suprême pour le rétablissement de l’autorité des normes du fait que le Plan de rénovation pédagogique, expressément prévu dans l’accord d’entente nationale de Taëf en 1989, introduit le Liban « dans un nouveau siècle éducatif » (p. 499).

Quand Mounir Abou Assali parle de lui-même, ce n’est pas pour se faire valoir, mais pour témoigner de la confiance dans l’aptitude incréée de tout être humain. Il n’y a dans le livre, en dépit des mesquineries de sabotage, aucune trace de ressentiment, mais une attitude de compréhension, un peu à la manière de Spinoza, par rapport à ce que l’humaine condition cache d’égoïsme, de jalousie et d’intérêts personnels.

Les qualités de Mounir Abou Assali sont celles du leadership capable de mobiliser des potentialités de plus de 400 acteurs du monde éducatif et de persuader des dirigeants politiques, dont les uns sont des hommes d’État et d’autres sont munis d’œillères, du bien-fondé du Plan de rénovation pédagogique. Quand l’intérêt privé se heurte à l’intérêt général, c’est le privé qui, le plus souvent, l’emporte, en dépit de l’acharnement de Mounir Abou Assali à élargir la participation. Nulle indication dans l’ouvrage de la personne qui a fabriqué l’accusation et « compromis l’avenir de la nouvelle génération ».

L’exploit dans la production du Plan de rénovation pédagogique, y compris les programmes « Éducation civique » et « Histoire », et l’édition de 186 manuels scolaires, doit être interdit par rapport à des politicards encastrés dans des rapports de subordination, de pouvoir et de partage de prébendes ! Mounir Abou Assali écrit : « Je ne pouvais jamais présumer qu’une personne puisse subir une incrimination générée par la vengeance et la jalousie, une personne qui, depuis sa naissance, rêve de servir sa patrie » (p. 513).

Cela rappelle Paul Valéry : « On ne peut sortir de l’ombre, même un peu, sans susciter la haine et la jalousie de plusieurs. » Les fonctionnaires du Centre de recherche et du développement pédagogiques - CRDP écrivent alors au ministre de l’Éducation : « Nous sentons aujourd’hui que les nouveaux programmes sont enterrés. » Le directeur général de l’Unesco, Fédérico Mayor, déclare, après avoir visionné la vidéo Quatre années dans l’édifice éducatif : « Le rôle de l’État est de garantir la continuité de l’opération de rénovation pédagogique et de ne pas en dévier avec tout changement ministériel » (p. 513).

Après l’approbation des programmes « Éducation civique » et « Histoire », Mounir Abou Assali écrit : « Mgr Camille Zeidan et le Dr Henri Awit viennent me dire : Nous avions présumé que vous seriez un fonctionnaire soumis à la volonté hiérarchique, mais votre détermination à sauvegarder l’identité libanaise après l’approbation des principaux dirigeants montre votre leadership. » Mounir Abou Assali souligne : « Je ne peux accepter d’être un faux témoin de l’historiographie du Liban, même s’il faut faire éclater toute l’entreprise. Quelle valeur normative des programmes avec le déni de la patrie ! » (p. 356).

J’étais moi-même membre des deux commissions : Éducation civique et Histoire. Face à des slogans en vogue sur l’arabité, sans l’analyse quasi chimique des composantes de l’arabité en vue de les traduire en contenus culturels et pédagogiques, et alors que certains me classaient en tant qu’isolationniste, j’ai déterminé les quatre composantes de l’arabité : langue et civilisation communes, complémentarité économique, destin commun dans les rapports diplomatiques, gestion démocratique du pluralisme (à l’opposé du sionisme) et des libertés, et non-arabisme des prisons ! Toute la décadence dans le Liban d’aujourd’hui est due à la violation du préambule de la Constitution : « Identité et appartenance arabes du Liban ». L’accord du Caire, revisité par l’alliance de Mar Mikhaïl du 6 février 2006, subordonne le Liban à la République islamique d’Iran. Il en découle aujourd’hui l’exigence d’acculturation de l’arabité auprès des nouvelles générations en dehors du sloganisme en vogue.

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À l’inauguration de l’aventure des nouveaux programmes, le chef du gouvernement Rafic Hariri relève : « Le dossier éducatif est prioritaire après celui de la libération. » Mounir Abou Assali précise alors : « Ce soutien a été source de fierté et de joie pour nous, car nous avons senti que le président de la République, Élias Hraoui, et le chef du gouvernement adoptent avec détermination le programme de renouveau » (pp. 341-342). Cependant, après tous les efforts, le mercredi 13 janvier 1999, le nouveau Conseil des ministres décide, dans le cadre de ce qu’on avait appelé « réforme administrative », de placer quatre fonctionnaires de première catégorie à la disposition du chef du gouvernement, dont Mounir Abou Assali !

Le travail de 6h du matin jusqu’à une heure tardive de la nuit est-il fréquent dans le secteur public ? Le pouvoir judiciaire est-il une poubelle (excusez le terme !) pour les détenteurs du pouvoir qui renvoient aux tribunaux des décisions équivoques ? La réponse d’un ministre : « Tu n’as qu’à déposer un recours devant le Conseil d’État pour avoir l’explication » (p. 476) ! Parmi les faits allégués : 10 mètres en surplus dans une moquette ! (p. 496). C’est l’éminent magistrat Khaled Kabbani qui annule le décret du gouvernement Hoss. Le président Hoss commente l’arrêt par « une excuse pire que la faute, révélatrice du brouillard dans des milieux politiques et éducatifs » (p. 504).

On s’arrête dans l’ouvrage sur cette observation : « Seul l’enseignement religieux a été rebelle au changement ! » (p. 365) Voilà ce qui porte l’association Gladic (Groupement libanais d’amitié et de dialogue islamo-chrétien) – en coopération avec l’Institut d’études islamo-chrétiennes à l’Université Saint-Joseph et la chaire Unesco d’études comparées des religions, de la médiation et du dialogue à l’USJ, et en partenariat avec l’Université Makassed, à la suite des déclarations islamo-chrétiennes depuis 2017 sur « La citoyenneté et le vivre-ensemble », « La fraternité et la paix mondiale » et d’autres déclarations – à élaborer un « Guide de la pédagogie de la foi pour les nouvelles générations » (2021, 14 p., an-Nahar, 14/7/2021).

Après le sabotage du Plan de rénovation pédagogique, sa transformation en opération bureaucratique et sans préparation des enseignants, des commissions ont été formées pour des analyses de contenu des programmes, suivant des clichés à la mode dans des milieux dits scientifiques, dont le contenu des programmes « Éducation civique » et « Histoire » ; commissions qui ont touché des honoraires, mais qui n’ont produit aucune page pratiquement utilisable dans un manuel scolaire !

Il y a quelques années, mon petit-fils est venu chez moi avec son manuel d’éducation civique pour l’aider à la lecture du chapitre « L’intérêt général » (« al-Maslaha al-aamma »), chapitre que j’avais moi-même rédigé sans même imaginer que mon petit-fils viendrait chez moi après plus de quinze ans pour cet apprentissage ! Ce fut aussi une leçon pour moi sur la chose publique : penser loin, très loin ! Tout responsable doit penser loin, très loin ! J’ai lu le chapitre avec vigilance et esprit critique. Chapitre excellent, mais le professeur a fait souligner des passages à mémoriser ! Or nous n’avions pas produit un live à mémoriser, mais un guide assorti d’une série de propositions d’activités comportementales.

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Cela suffit dans une mentalité dominante, libanaise et arabe en général, de voir la production de Constitutions, de législations et de déclarations sans fécondation éducative ! Dans le préambule de la Constitution libanaise « Le Liban patrie définitive pour tous ses fils », « Le Liban est arabe dans son identité et son appartenance », « Aucune légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredit le pacte de vie commune «, où en est l’acculturation de ces principes et constantes, l’acculturation de l’État, et que signifie État dans la psychologie historique du Libanais ?

Le chantier du Centre de recherche et du développement pédagogiques, sous la direction de Mounir Abou Assali (qu’on a fait avorter parce qu’il immunise une nouvelle génération de Libanais, souverains et acquis aux valeurs fondatrices du Liban) n’est pas achevé et doit se poursuivre. Il s’agit de revaloriser le Plan de renouveau pédagogique après la récupération par le Liban de sa souveraineté sous la direction de la même équipe, et de préférence sans honoraires pour éviter le clientélisme, car le plan est à la fois authentique et novateur.

Antoine MESSARRA

Chaire Unesco-USJ

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Comment le processus culturel et éducatif le plus grandiose de l’histoire du Liban moderne a-t-il été propulsé au Liban, après l’œuvre pionnière de Fouad Chéhab, et comment l’a-t-on fait avorter ? Mounir Abou Assali le rapporte dans son ouvrage Massîrat wa rihâne (Itinéraire et pari, Naufal, 2021, 600 p.). C’est la nécrologie du meurtre prémédité de la plus importante...

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