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Lifestyle - Patrimoine

La façade ocre, unique témoin de l’ancien immeuble de « L’Orient »

Un des derniers rescapés de la guerre civile libanaise vient d’être partiellement démoli. Il sera reconstruit par l’agence britannique RSHP, fondée par Richard Rogers, lauréat du prestigieux prix Pritzker 2007, le Nobel de l’architecture.

La façade ocre, unique témoin de l’ancien immeuble de « L’Orient »

La façade de l’immeuble avant sa destruction partielle. Photo Michel Sayegh

Il est un des derniers vestiges du Beyrouth d’avant la guerre civile. Il se trouvait au cœur des vieux souks de Beyrouth au cachet traditionnel avec ses rues colorées et grouillantes de vie, ses bâtiments datant de l’époque ottomane et du mandat français. Abandonné par ses locataires en 1975, dès les premiers mois de la guerre civile, il était resté debout, imposant sa fière allure malgré les centaines d’impacts de balles qui recouvrent, encore aujourd’hui, sa façade de pierre jaune. L’immeuble de L’Orient, situé à la rue Trablos, se retrouve aujourd’hui au niveau de l’esplanade des nouveaux souks du centre-ville, entouré d’une part par l’emblématique bâtisse dessinée par l’architecte irakienne de renommée mondiale Zaha Hadid et de la mosquée al-Majidieh, du nom du sultan Abdul el-Majid, détruite durant la guerre puis reconstruite.

Édifié dans les années 1920 sous le mandat français, l’immeuble est acheté par les frères Asseily. Ils y installent les bureaux de leur usine de filature et y accueillent leurs locataires, dont le quotidien francophone L’Orient, fondé en 1924 par Georges Naccache et Gabriel Khabbaz.

Décédé en 2019, Christian Merville, un des piliers de notre journal, était une figure irremplaçable dans la famille d’abord de L’Orient et, par la suite, de L’Orient-Le Jour. Interviewé en 2010 par Jean-Philippe Chognot, journaliste de l’AFP, il raconte qu’« à l’origine, les locaux de L’Orient se trouvaient dans un bâtiment mitoyen. En grandissant, le journal s’est naturellement installé dans l’immeuble des Asseily. Au fil des années, L’Orient a grappillé de plus en plus de bureaux jusqu’à en occuper la quasi-totalité. À la fin, notre imprimerie était au sous-sol, notre rédaction s’étalait sur les trois premiers niveaux et l’administration était au quatrième ». Le quotidien d’expression française cohabite alors avec la Banque de Syrie et du Liban et avec les Asseily, respectivement au quatrième et au deuxième paliers.

« Ses dimensions sont impressionnantes, avec des pièces de six mètres sur cinq et une hauteur de plafond de plus de quatre mètres. » Christian Merville signalait que l’atmosphère était très particulière car « nous étions dans l’une des principales artères commerciales de Beyrouth : la rue Trablos. Il y avait même des magasins au rez-de-chaussée de L’Orient : la boutique de vêtements féminins Clauda, l’enseigne de linge de maison Domtex ou encore le joaillier Daou. Nous étions vraiment au cœur de la cité ». Et au cœur de la vie politique libanaise. La rédaction était notamment à proximité du Parlement et de plusieurs ministères. « À la fin des séances parlementaires ou des Conseils des ministres, les hommes politiques se retrouvaient au restaurant Ajami pour casser la croûte. Il nous suffisait alors de traverser la rue pour connaître les derniers potins. »

Lorsqu’en 1971 L’Orient fusionne avec Le Jour, fondé en 1934 par Michel Chiha, principal rédacteur de la Constitution libanaise, la nouvelle équipe rédactionnelle quitte le centre-ville et s’installe dans le bâtiment d’an-Nahar à Hamra, alors que l’administration ainsi que l’ensemble de la publicité, comptabilité et relations publiques dirigées par Camille Menassa investissent les locaux de la rue Trablos. « Nous avions aussi créé sur un des niveaux une douzaine de bureaux individuels cloisonnés, pensés ainsi pour assurer la confidentialité des échanges, et les équipements utiles, afin de les louer à des correspondants étrangers ou à des hommes d’affaires de passage à Beyrouth. La veille de l’inauguration de cet étage flambant neuf, la guerre a éclaté. Quelques mois plus tard, nous avons dû déménager dans l’immeuble an-Nahar, à Hamra », se souvient M. Menassa.

Maquette du nouveau projet. Photo DR

Nouveau design pour nouveau propriétaire

« La ruine fait partie des 267 édifices sélectionnés, à la fin des années 1990, par Solidere (Société libanaise pour le développement et la reconstruction) pour être restaurés avant 2013 dans le cadre de la seconde phase du projet des nouveaux souks. Un cahier des charges établissait les conditions et la méthodologie de la rénovation, et exprimait le souhait que le projet soit signé par une pointure internationale, à savoir le bureau anglais RSHP de Richard Rogers », explique Georges Nour, ancien directeur général adjoint de la société Solidere, directeur général de l’agence de conseil immobilier Estates Solution et conseiller immobilier du groupe acquéreur de l’édifice, la famille Tamari. En effet, pour des considérations propres à eux, les frères Asseily vendent en 2008 le bâtiment à Abdallah Wehbé Tamari, richissime homme d’affaires qui avait migré vers le Liban à la suite de l’exode palestinien de 1948. Il est le fondateur et président de Sucafina SA – une société suisse spécialisée dans le négoce de café, qui détient selon le quotidien suisse Le Temps 4 % du commerce mondial de café et fait partie des 10 premiers acteurs. La société possède des plantations et dix usines dans le monde. Dans un article paru dans le quotidien français d’information économique et financière Les Échos, son fils Nicolas, directeur général de Sucafina, raconte que cette société genevoise signe une longue tradition familiale. Elle est née en 1905, à Jaffa, en Palestine. « Mon grand-père exportait des oranges et importait des matières premières, du sucre, du blé, du café et du riz, qu’il vendait ensuite au Moyen-Orient et en péninsule Arabique. » En 1948, sa famille quitte la Palestine pour le Liban, avant de s’installer à Genève en 1975. « Nous avons alors décidé de faire du commerce international avec du sucre et du café. Puis, au début des années 1990, nous avons arrêté le sucre – le marché se concentrait dans les mains de cinq grandes maisons de négoce – pour ne faire que du café. »

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Abdallah Tamari et ses fils ont à leur actif des mandats passés et actuels dans des conseils d’administration au sein de nombreuses sociétés et banques (Oman Arab Bank, Solidere International Ltd, Arab Bank PLC, etc.). Voilà en gros les nouveaux propriétaires du bâtiment qui portera désormais le nom Lorient 12, en référence au numéro de lot du terrain situé dans le secteur Marfa’. Le lot comprend en plus de l’ancienne bâtisse Asseily un terrain de 300 mètres carrés acquis par le groupe Tamari pour bâtir leur siège à Beyrouth. Le design de Lorient 12 a donc été dessiné par l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners (RSHP), fondée par le « starchitecte » britannique Richard Rogers, lauréat du prestigieux prix Pritzker 2007. Rogers est celui qui a conçu le Centre Pompidou avec Renzo Piano et Gianfranco Franchini, le bâtiment emblématique de la compagnie d’assurances Lloyd’s à la City de Londres (monument classé Grade 1), le palais de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg ou encore l’un des terminaux de l’aéroport international Madrid-Barajas.

L’immeuble L’Orient, rue Trablos. Photo archives L’OLJ

Que deviendra le bâtiment une fois remis en état ?

Pour conserver à l’extérieur l’aspect historique de l’édifice, la façade originale de l’immeuble Asseily est toujours debout. Elle sera préservée et jouera de façon symbolique le rôle de mémoire. Les deux façades latérales ont été démolies ; elles seront toutefois reconstruites à l’identique, ou presque, puisqu’il est prévu d’adjoindre des fenêtres à une des structures qui ne contenait aucune ouverture, et d’ajouter un canopy au toit. Pour l’intérieur, qui a été entièrement rasé, l’agence d’architecture RSHP a opté pour des dalles dépouillées, c’est-à-dire « un open space où l’organisation des lieux seront laissés au choix des futurs locataires. Ceci permettra à chacun de modeler son étage et de l’adapter à ses besoins. Nous assurons évidemment l’infrastructure », explique Georges Nour, précisant que « pour préserver l’identité du vieil immeuble, le coefficient d’occupation du sol est bas ; il est de 3 500 m2 pour une superficie de 500 m2 de terrain. Pour la parcelle adjacente (300 mètres), la surface de plancher est de 1 000 m2. Le projet entier offre une parcelle de 800 m2, sur lesquels ne seront construits que 4 500 m2 ». M. Nour ajoute que « tout le projet a été soumis à la Direction générale des antiquités (DGA) et à celle de l’urbanisme (DGU). Nous avons respecté toutes les servitudes que Solidere nous imposait, à savoir l’utilisation particulière du bâtiment en commerce et bureaux et l’interdiction de l’ajout d’un étage. Nous avons fait les choses dans les règles de l’art et de la transparence ».

Par ailleurs, la rue Trablos étant entièrement piétonne, c’est le parking des souks qui desservira le lot 12 par un passage reliant le sous-sol à une structure de verre portant les ascenseurs directement aux étages des deux corps des bâtiments, dont le nouveau avec sa façade en acier inoxydable porte la signature de Richard Rogers. « Si les travaux ont pris beaucoup de temps à démarrer, c’est parce qu’il y avait des questions légales à résoudre avec les locataires », dit Georges Nour. « Puis il fallait attendre le permis de rénover et de construire de la DGA et de la DGU, ensuite il y a eu le confinement dû au Covid. En bref, les complications se sont accumulées. Mais la famille Tamari croit ferme en ce pays, et persiste dans son engagement à continuer les travaux malgré les difficultés. »

Le bureau d’architecture locale Erga d’Élie Gebrayel a été choisi pour l’exécution du projet. Quant aux travaux, ils ont été confiés à l’entreprise MAN fondée par Michel Abi Nader. La façade originale sera restaurée par des artisans du Chouf, spécialistes de la pierre. Coût du projet ? Vu les prix des matériaux qui surfent avec le taux du dollar, Georges Nour n’avance aucun chiffre.

Il est un des derniers vestiges du Beyrouth d’avant la guerre civile. Il se trouvait au cœur des vieux souks de Beyrouth au cachet traditionnel avec ses rues colorées et grouillantes de vie, ses bâtiments datant de l’époque ottomane et du mandat français. Abandonné par ses locataires en 1975, dès les premiers mois de la guerre civile, il était resté debout, imposant sa fière allure...

commentaires (1)

Je précise que dans le même bâtiment que l'Orient-Le-Jour était venu se greffer le quotidien Al-Jarida. Après avoir cassé la croûte chez Ajami, on arrivait à une centaine de mètres de là au bassin "Al Berki" pour se rafraîchir d'un bon verre de jellab chez Antably. Sur le parking au bout de la rue Trablos étaient parqués les bus de la ligne DHP, de la marque Berliet, qui faisaient la navette quotidienne Beyrouth-Tripoli.

Un Libanais

19 h 36, le 20 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Je précise que dans le même bâtiment que l'Orient-Le-Jour était venu se greffer le quotidien Al-Jarida. Après avoir cassé la croûte chez Ajami, on arrivait à une centaine de mètres de là au bassin "Al Berki" pour se rafraîchir d'un bon verre de jellab chez Antably. Sur le parking au bout de la rue Trablos étaient parqués les bus de la ligne DHP, de la marque Berliet, qui faisaient la navette quotidienne Beyrouth-Tripoli.

    Un Libanais

    19 h 36, le 20 juillet 2021

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