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Lifestyle - Un peu plus

Je crains ce 4 août 2021

Je crains ce 4 août 2021

Beyrouth, le 4 août 2020. Photo M.A.

Depuis quelque temps, j’ai commencé à penser à la commémoration du 4 août, me demandant comment nous allions gérer ce jour qui a sonné le glas d’un pays qui ne sera plus jamais le même. Je me suis dit qu’il allait falloir être solides et solidaires, parce que notre trauma allait remonter à la surface. Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est que ce trauma commencerait sa remontée avant. En voyant, ces derniers jours, les visages des parents des victimes et leurs yeux remplis d’incompréhension, de ressentiment et de douleur face à la monstruosité de cette classe politique qui cherche à protéger certains des suspects ; en les voyant se faire tabasser par des soi-disant forces de l’ordre ; en les voyant manifester pour que justice soit faite, les flashbacks sont revenus à la charge. Et certaines images que j’avais totalement oubliées viennent troubler mes nuits. Ce n’est pas seulement ce que j’ai moi-même vécu ce soir-là qui me hante désormais. C’est ce que nous avons tous vécu. Mes proches et ceux que je ne connais pas…

Je me souviens de moi, debout dans le salon, au moment de la seconde explosion, les mains sur les oreilles, sentant le souffle entrer et ressortir, criant de peur parce que ne comprenant pas ce qui était en train de se passer. Je me souviens des fenêtres qui ont explosé, de la porte de la chambre de mon fils que je défonçais pour le trouver allongé par terre avec son amie, de gros morceaux de verre éparpillés sur le lit d’où il avait sauté subitement. Et puis le temps a pris sa course folle. Les alarmes des voitures étaient assourdissantes, les rues jonchées d’éclats de verre, de bois et de fer. Des clients blessés sortant de la supérette en face au moment même où j’appelais mon compagnon en hurlant pour lui dire qu’une explosion avait eu lieu en bas de chez moi. Supposition que nous avions tous faite durant les premiers instants après 18h7. Une immense fumée rose et violette avait envahi le ciel et je n’arrivais pas à joindre mes proches. Puis les images et les vidéos ont commencé à pleuvoir. Était-ce ce dépôt de feux d’artifice qui avait détoné? Cet incendie filmé de son balcon par ma cousine et par tant d’autres ?

Et le couperet est tombé… Beyrouth avait volé en mille morceaux. Elle avait été éventrée en l’espace de quelques secondes. Ce champignon qui ressemblait tant à ceux des explosions nucléaires était tellement immense que tout devenait invraisemblable. Et la mort a commencé allégrement sa danse macabre.

Je n’arrivais pas à joindre mes proches. Ni ma cousine qui habitait en face du port, ni ma tante à Mar Mikhaël, ni mes amis. Qu’était-il advenu d’eux? Mon téléphone n’arrêtait pas de sonner entre deux coups de fil que j’essayais de passer. Une quarantaine de minutes après, je recevais un message me disant qu’on allait déposer chez moi mon meilleur ami, grièvement blessé. Impossible de joindre un médecin. Mon salon était recouvert de sang, de Bétadine et de serviettes devenues rouge carmin. Le visage de mon fils était pâle, et une heure après avoir administré des soins de fortune à notre ami, nous avons sauté dans la voiture en direction des urgences d’un hôpital où nous attendait un ami radiologue. Je ne me souviens pas de ce que j’ai vu dans cette salle. Je ne me souviens pas du carnage que m’a décrit mon compagnon. Tout comme je ne me souviens pas de la plaie profonde de mon ami que j’ai nettoyée. Je me rappelle juste des couloirs menant à la salle de radiologie. De l’attente interminable pour qu’il entre au bloc opératoire et de mon regard hagard à 1 heure du matin quand je me suis retrouvée dans le noir de cette ville que j’aimais tant.

Et l’horreur est entrée dans nos vies. La liste du nombre de morts s’alourdissait heure après heure, jour après jour, et je réalisais petit à petit que la plupart de mes amis avaient tout perdu ; avaient été blessés ; avaient échappé à la catastrophe par miracle.

Je me rappelle des rues de Beyrouth au petit matin du 5 août. De ces étages que nous avons grimpés inlassablement ; de ces gens qui avaient besoin d’aide ; de ces amis que nous avons croisés un balai à la main ; de ces gens perdus ; de ces sentiments insoutenables qui nous submergeaient. De ce Basecamp que nous avons monté à bout de bras; de ces milliers de repas que nous avons distribués ; de la solidarité des jeunes, des moins jeunes. Des pleurs, de la brûlure dans nos cœurs, des gens qui craquaient en silence…

Chaque jour qui passe, mes larmes coulent encore plus, mon cœur saigne quand je pense aux familles des victimes que nos politiciens sont en train d’assassiner une seconde fois. Et j’ai terriblement peur de cette date qui approche à grands pas. Je suis terrifiée parce que je ne sais pas si je pourrai contenir mes émotions, ma colère et ma haine. Et je ne sais pas si ce jour-là, je retrouverai ce morceau de moi qui s’est éteint ce 4 août 2020.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis plus d’un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.

Épisode 10 avec Samer Makarem

https://youtu.be/G8rthu1i230


Depuis quelque temps, j’ai commencé à penser à la commémoration du 4 août, me demandant comment nous allions gérer ce jour qui a sonné le glas d’un pays qui ne sera plus jamais le même. Je me suis dit qu’il allait falloir être solides et solidaires, parce que notre trauma allait remonter à la surface. Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est que ce trauma commencerait sa...

commentaires (5)

Chère Médéa, on aimerait tellement revenir en arrière et imaginer qu’un apocalypse de ce genre ne pouvait avoir lieu au Liban si seulement le peuple était uni et ses politiciens honnêtes et patriotes. Mais voilà c’est arrivé et le traumatisme qu’il nous a causé est au dessus de tout ce que l’on peut imaginer, mais le plus douloureux n’est pas ce qui c’était passé, c’est ce qui se passe encore dans ce pays où,une poignée de gens croient encore à cette crasse politique qui a détruit le pays et la majorité des citoyens qui tardent à se révolter ne serait ce que par solidarité avec les familles endeuillées. La vue de ces images des féroces de l’ordre tabassant les familles est insoutenable et honteuse pour tout le peuple libanais qui ne semble même pas ébranlé par tant d’humiliation et d’insolence de cette caste. D’ailleurs je vous le dis, il ne méritent pas votre haine ils ne méritent que le mépris et les pires châtiments jusqu’àu dernier de leur descendants.

Sissi zayyat

20 h 17, le 16 juillet 2021

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Commentaires (5)

  • Chère Médéa, on aimerait tellement revenir en arrière et imaginer qu’un apocalypse de ce genre ne pouvait avoir lieu au Liban si seulement le peuple était uni et ses politiciens honnêtes et patriotes. Mais voilà c’est arrivé et le traumatisme qu’il nous a causé est au dessus de tout ce que l’on peut imaginer, mais le plus douloureux n’est pas ce qui c’était passé, c’est ce qui se passe encore dans ce pays où,une poignée de gens croient encore à cette crasse politique qui a détruit le pays et la majorité des citoyens qui tardent à se révolter ne serait ce que par solidarité avec les familles endeuillées. La vue de ces images des féroces de l’ordre tabassant les familles est insoutenable et honteuse pour tout le peuple libanais qui ne semble même pas ébranlé par tant d’humiliation et d’insolence de cette caste. D’ailleurs je vous le dis, il ne méritent pas votre haine ils ne méritent que le mépris et les pires châtiments jusqu’àu dernier de leur descendants.

    Sissi zayyat

    20 h 17, le 16 juillet 2021

  • tres chere, vous avez peur du 4 aout dites vous ! oh combien vous le craignez en deca de la realite ! en effet il semblerait-( au conditionnel donc ) que les adorateurs de aoun/hezb et Co sortent une batterie de rumeurs -bien entendu appelees "assurances" QUE, ce qu'on avait dit de la quantite de nitrate qui aurait ete "fuitee" du port vers la syrie est FAUSSE, que des quantites avaient ete transbordees depuis le navire sur d;autres petits bateaux AVANT meme le dechargement de la nitrate dans le port de bey. ceci laisse presager un lavage de cerveau qui menera CERTAINEMENT a enterrer la poursuite des responsables reels de la tragedie criminelle pour -peut etre- ne laisser que la petite(relativement ) racaille a trouver coupables

    Gaby SIOUFI

    15 h 04, le 16 juillet 2021

  • C'est dommage que vous n'écrivez pas en arabe . Ceux qui nous tiennent sous leur coupe, leurs familiers et ceux qui dépendent d'eux ne lisent pas le français. Traduisez cet article en arabe, ça pourrait leur titiller un neurone au lieu que ça ne booste les like de ceux qui pensent comme vous (nous - moi).

    Nadim Mallat

    14 h 04, le 16 juillet 2021

  • J’appelle solennellement Monsieur Le Président de la République Française à déclarer le Liban en danger de mort imminente et réclamer sa mise sous tutelle de l’ONU. J’appelle le Hezbollah à confier toutes ses armes à l’armée nationale et à s’y enrôler si leurs miliciens le veulent. J’appelle tous les dirigeants politiques libanais à commencer par le sommet de l’Etat à démissionner immédiatement et à confier le pouvoir et l’administration publique à l’armée nationale. J’appelle toute la population à s’unir contre ces dirigeants et leur réclamer des comptes immédiatement au moins en rapatriant tout l’argent public volé durant les 30 dernières années sous peine de les envoyer devant la Justice Internationale

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 50, le 16 juillet 2021

  • Depuis la France où nous sommes si prompts à râler, à nous plaindre, à critiquer notre système politique. Depuis la France où notre système social plie mais ne craque pas. Depuis la France où, finalement, nous allons plutôt bien. Je pense à vous et vous envoie mes pensées sincèrement admiratives pour le courage dont vous faites preuve. Malgré tout. Envers et contre tout.

    Florence TRAULLE

    09 h 06, le 16 juillet 2021

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