Des étudiants du département des arts du spectacle de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) et de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT-Lyon) se sont retrouvés fin mai, au Liban, pour démarrer une collaboration artistique portant sur la thématique des ruines de Beyrouth. Lena Saadé Gebran, chef du département des arts du spectacle et directrice de l’Atelier des arts du spectacle (AAS) à l’USEK, et Pierre Koestel, écrivain de théâtre, comédien et enseignant d’écritures théâtrales à l’ENSATT, ont souhaité inciter les artistes en herbe à laisser libre cours à leur créativité tout en encourageant les échanges culturels entre la France et le Liban. « Le terme de ruines est pris au sens large et évoque autant les ruines de la ville que la ruine des valeurs humaines et du sentiment d’appartenance. Nous avons choisi ce motif pour développer une création théâtrale sonore à la suite de la double explosion survenue le 4 août 2020 et aux différentes crises que traverse le pays du Cèdre », précise la chef du département des arts du spectacle à l’USEK. Dans les rues de la capitale libanaise, les dix étudiants participant à ce projet ont enregistré des sons, des ambiances, des paroles, capables de rendre compte de l’ampleur de la tragédie vécue par la population locale. Ils ont pu également se rendre compte des conséquences des crises économique, sanitaire et politique qui ont fragilisé le pays. Au cours de l’atelier d’écriture qui a suivi leurs déambulations dans les rues de la capitale, les artistes en herbe se sont inspirés des enregistrements pour mettre en mots, avec l’aide de Pierre Koestel, les histoires qu’ils ont vues et entendues.
Une expérience forte
« Notre groupe était chargé d’une énergie singulière qui nous a guidés et parfois perdus en allant à la découverte des différentes formes de ruines. Je me suis mise au service de ce qu’on voulait bien me dire des ruines mais tout en questionnant ma position dans ce va-et-vient », résume Aïcha Euzet. L’étudiante qui suit la formation écrivain(e)-dramaturge à l’ENSATT garde des impressions fortes de cette expérience inédite qui lui a permis d’aller à la découverte de la capitale libanaise et de s’ouvrir à une culture différente de la sienne. Cosette Dib, psychologue inscrite en licence arts du spectacle, option théâtre, et en master en dramathérapie à l’USEK, a souhaité vivre une expérience formatrice en prenant part à cet atelier. « Cela m’a incitée à me rendre au port de Beyrouth avec l’intention de découvrir tout un univers vivant au milieu de la destruction. L’exercice n’est pas facile, il permet de mesurer les dégâts causés par la double explosion mais aussi de donner un sens à ce qui se présente à nous en prenant le temps d’interpréter les différents sons », explique-t-elle. La jeune femme estime que cette expérience l’a poussée à se poser des questions portant, entre autres, sur le sens d’un événement tragique et son dépassement, la reconstruction d’une ville, le sentiment d’appartenance à un pays et le rôle des citoyens. Joanne Zeidan, psychothérapeute analytique pratiquant le théâtre depuis 7 ans à l’Atelier des arts du spectacle à l’USEK, n’a pas hésité à se lancer dans ce travail de création collectif. « En présentant mon pays aux autres, confie-t-elle, j’ai redécouvert un Liban différent de celui que j’ai créé dans ma tête pour mieux pouvoir y vivre. Les ruines, ce n’est pas seulement ce que l’on peut voir, par exemple, au port de Beyrouth et à Sursock, c’est aussi ce qui n’est plus là. Le peuple libanais est aussi en ruine. » Tout comme les autres étudiants, Joanne Zeidan espère que le travail artistique qui sera diffusé dans quelques mois pourra témoigner, au-delà des frontières du pays du Cèdre, de la tragédie vécue par les Libanais et des traces indélébiles qu’elle a laissées.
Les artistes en herbe poursuivent actuellement leur collaboration à distance dans le but de finaliser le travail sur leur création théâtrale sonore. « Dans les mois à venir, il nous faudra encore nourrir et enrichir cette création afin d’en finaliser le montage à distance, pour envisager une diffusion de celle-ci à l’automne 2021 », note Lena Saadé Gebran. Il ne s’agit pas de la première collaboration académique entre l’USEK et l’ENSATT et certes pas la dernière, les deux établissements d’enseignement supérieur ayant signé, en 2018, un accord de partenariat pour encourager la mobilité étudiante et enseignante et les échanges interculturels entre le Liban et la France.