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Culture - Exposition

Parce qu’en l’espace de deux ans tout a changé au pays du Cèdre...

À la galerie Janine Rubeiz, une quinzaine d’artistes expriment dans « Visions of Today » leurs perceptions des jours sombres que nous traversons. À travers des œuvres qui témoignent, dénoncent et déplorent l’engrenage fatal de cette dévastation (non ?) annoncée. 

Parce qu’en l’espace de deux ans tout a changé au pays du Cèdre...

« Where to » de Leila Jabre Jureidini (acrylique sur toile 100 x 100cm ; 2021).

La noirceur des temps serait-elle propice à la création artistique ? La question peut se poser au vu des expositions qui se succèdent sans relâche – au moindre déconfinement – depuis le début des bouleversements au Liban. Parmi lesquelles se distinguent, par leur ton absolument engagé, les « collectives » qu’organise régulièrement la galerie Janine Rubeiz dans son lumineux espace à Raouché.

Traduire en art les différentes étapes de la sombre réalité que nous vivons, c’est l’objectif que poursuit Nadine Begdache, la maîtresse des lieux, depuis l’irruption de la situation de crise au Liban. Depuis le 17 octobre 2019, la galeriste a clairement choisi son camp. Celui des artistes contestataires auxquels elle a décidé d’offrir, en mettant ses cimaises à leur disposition, une plateforme d’expression. Des peintres, sculpteurs, photographes, céramistes et plasticiens, mus par la nécessité d’exprimer dans leur travail leur vision des événements, d’apporter leur témoignage d’un moment de basculement historique et de retranscrire dans leur art la réalité du vécu libanais.

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C’est ainsi qu’ils ont abordé, au fil des trois précédentes expositions collectives, les thématiques de la « révolution », de la crise économique et financière – assez peu la pandémie, bizarrement – et la terrible tragédie de l’explosion du port le 4 août 2020…

Que pouvaient-ils trouver encore à dire et redire ces jeunes et moins jeunes artistes de la « thaoura » ? Quelles œuvres pouvaient-ils encore imaginer, concevoir et produire à partir de la sombre réalité qui enveloppe leurs existences et les nôtres d’une terrassante chape de plomb ?


Montage photographique signé Petram Chalach (inkjet on photo paper ; 90 x 90cm ; édition de 5).

Des rois bouffons à la scène du crime

C’était sans compter l’accumulation de nouvelles situations dévastatrices dues à l’incurie, la perversité, la cruauté sans fond des (ir)responsables qui nous gouvernent. Leur criminelle indifférence envers les victimes de l’une des plus fortes explosions non atomiques au monde et leur impunité un an plus tard ; l’abyssal trou noir vers lequel ils continuent d’aspirer le pays ; les humiliations quotidiennes qu’ils font subir à tout un peuple pris en otage à qui il ne reste plus comme issue que l’exode… Autant de sujets dont leurs nouvelles cuvées d’œuvres se font l’écho. Des peintures, des photos, des sculptures, des céramiques, des compositions en techniques mixtes nourries de cette vertigineuse actualité. Et qui essaient, avant tout, de dire quelque chose des inquiétudes et des interrogations de leurs auteurs devant ces nouveaux paliers franchis dans la déstabilisation et la déliquescence de ce qui fut l’ancienne Suisse de l’Orient.

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Chacun à sa manière, chacun avec son médium de prédilection, donne ainsi sa vision du Liban d’aujourd’hui. Un pays défiguré par une clique de bouffons corrompus qui se prennent pour des rois indétrônables comme les caricature dans ses peintures kitchs Ghassan Ouais. Un pays détruit devenu « scène de crime » ainsi que le représente Mirna Maalouf dans des photographies lacérées et encerclées de débris de verre de l’explosion. Une terre brûlée par le souffle meurtrier échappé de l’entrepôt numéro 12 du port de Beyrouth qu’a reproduit abstraitement Ara Azad dans une sombre acrylique sur toile… Et dont les décombres sont, depuis, hantés par les fantômes des victimes que semblent incarner les subtiles et poignantes sculptures en verre soufflé de Karma Dabaghi baptisées Moments of Devastation.


« Moments of Devastation » de Karma Dabaghi, des sculptures en verre soufflé réalisées avec les débris de l’explosion du port de Beyrouth (28 x 15cm ; 2021).

Comme un miroir réfléchissant…

Et puis, ce peuple, qui ne semble être aux yeux de ses dirigeants que de vulgaires cailloux bons à jeter dans le vide, ainsi que le suggère, dans un grand triptyque, Rached Bohsali… Un peuple que Sami Alkour compare à des bancs de poissons poussés à la Migration. Et qui se pose inlassablement la question « Partir ou rester ? » ou plus encore « où partir ? », comme le figure Leila Jabre-Jureidini dans Where to ? son éloquent autoportrait aux yeux bandés devant la mappemonde... Mais aussi, « comment s’en aller, quand la monnaie nationale ne vaut même plus son pesant de papier ? », semble interroger Ahmad Ghaddar dans ses compositions réalisées entièrement en découpages de billets de 1 000 livres libanaises…

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Quand certains regardent vers l’émigration comme un ultime recours, d’autres reviennent encore et toujours sur le traumatisme de l’explosion du 4 août 2020. Une souffrance que la peintre Nada Matta et la céramiste Tania Nasr enrobent d’un certain lyrisme délicat, alors que Carole Chaker, Petram Chalach ou encore Selim Mawad imprègnent leur travail (installation murale, montage photographique et art urbain) d’une tension explosive…

Impossible d’évoquer dans ces colonnes l’ensemble des pièces et des artistes de Visions of Today. Bien évidemment, dans ce genre de rassemblement collectif autour d’un même thème, les œuvres présentées ne sont pas toutes du même calibre. Il n’en reste pas moins que l’exposition atteint son objectif. Celui d’offrir aux visiteurs un art de témoignage, de révolte mais aussi de réflexion sur la situation que nous vivons. Un regard global, comme un miroir réfléchissant, sur la nouvelle réalité de ce pays du Cèdre, qui en l’espace de deux ans a totalement changé…

« Visions of Today » à la galerie Janine Rubeiz, Raouché, imm. Majdalani. Jusqu’au 20 août, du mardi au vendredi, de 10h à 18h. Et le samedi de 10h à 15h.  

Les artistes participants 

Ara Azad, Manar Ali Hassan Galvani, Sami al-Kour, Rached Bohsali, Carole Chaker, Petram Chalach, Thierry Chehab, Karma Dabaghi, Ahmad Ghaddar, Joseph Harb, Alaa Itani, Leila Jabre-Jureidini, Mirna Maalouf, Nada Matta, Selim Mawad, Tania Nasr et Ghassan Ouais.

La noirceur des temps serait-elle propice à la création artistique ? La question peut se poser au vu des expositions qui se succèdent sans relâche – au moindre déconfinement – depuis le début des bouleversements au Liban. Parmi lesquelles se distinguent, par leur ton absolument engagé, les « collectives » qu’organise régulièrement la galerie Janine Rubeiz dans son...

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