
Les deux ambassadrices s’entretenant avec un responsable saoudien hier à Riyad. Photo tirée du compte Twitter de l’ambassade de France à Beyrouth
C’est inédit dans l’histoire des nations. Que deux diplomates postés dans un pays, le Liban en l’occurrence, se rendent dans un pays tiers, l’Arabie saoudite, pour solliciter son aide, se substituant presque aux autorités locales du pays où ils exercent leur mission, c’est du jamais- vu. Dépêchées en Arabie saoudite pour des entretiens officiels, les deux ambassadrices française et américaine, Anne Grillo et Dorothy Shea, semblent vouloir tenter une énième médiation pour convaincre Riyad de s’impliquer un peu plus pour un règlement de la crise libanaise. Elles veulent surtout inciter le royaume à mettre la main à la poche et contribuer au sauvetage d’un pays pris dans les sables mouvants. S’étant quasiment distanciée du Liban après ses démêlés en 2017 avec Saad Hariri, Premier ministre à l’époque, l’Arabie saoudite refuse depuis de s’investir dans un pays qu’elle considère pris entre les griffes de l’Iran.
Officiellement, la mission des deux diplomates consiste à expliquer à leurs interlocuteurs l’urgence que soit mis en place un gouvernement crédible qui engage les réformes. L’idée est d’inviter Riyad à se joindre au tandem franco-américain et à ses partenaires régionaux et internationaux « pour faire pression sur les responsables du blocage », comme indiqué dans un communiqué publié mercredi par l’ambassade de France.
Un message publié hier sur les pages Twitter des deux ambassades a souligné qu’au cours de ces « importantes consultations trilatérales », Mmes Grillo et Shea ont discuté avec leurs interlocuteurs, mais sans les nommer, « des moyens de soutenir le peuple libanais et d’aider à stabiliser l’économie ». Des informations diffusées en soirée par la LBCI indiquent que les deux diplomates ont rencontré le conseiller du roi et responsable du volet humanitaire au royaume, Abdallah Rabiaa.
Aider l’armée
La France et les États-Unis, qui s’attellent depuis des mois, par le biais d’une action concertée et parfaitement harmonisée, à faire en sorte d’éviter au Liban un effondrement total, n’en sont d’ailleurs pas à leur première offensive de charme en direction de l’Arabie qu’ils souhaitent voir plus impliquée dans la crise libanaise. Le 29 juin dernier, une rencontre conjointe des ministres des Affaires étrangères américain, français et saoudien, Antony Blinken, Jean-Yves Le Drian et Fayçal ben Farhane, a eu lieu autour du dossier libanais, en marge du sommet du G20, à Rome.
« La réunion de Rome n’était pas négative en ce sens que le ministre saoudien était d’accord sur le principe général qu’il ne faut pas laisser le pays aller à la dérive », affirme Radwan Sayyed, un analyste politique proche de Riyad. Par contre, dit-il, M. ben Farhane n’a pas pu se prononcer en matière d’aides à verser par son gouvernement, puisqu’il devait au préalable consulter les hautes autorités de son pays. Les États-Unis voudraient surtout dire à leurs partenaires saoudiens que bien qu’ils considèrent eux-mêmes le Hezbollah comme une organisation terroriste, cela ne les a jamais empêchés d’aider l’armée libanaise ou la société civile. Selon M. Sayyed, il serait possible qu’ultérieurement, le ministre saoudien leur ait donné une réponse négative, ce qui peut-être expliquerait cette visite hors du commun des deux ambassadrices à Riyad. « Je ne comprends vraiment pas pourquoi ce ne sont pas les ministres des Affaires étrangères qui ont été envoyés », dit-il.
Une situation cocasse qui n’est d’ailleurs pas passée inaperçue dans les rangs des internautes antioccidentaux et antisaoudiens qui ont immédiatement lancé le slogan « L’ignoble ingérence des ambassadeurs ».
Pour de nombreux observateurs, cependant, c’est une indication claire du mépris qu’inspire désormais la classe dirigeante libanaise aux yeux des responsables occidentaux qui font désormais fi d’eux et décident en lieu et place des autorités accusées de rester apathiques face à la succession de drames qui frappent le Liban. En soirée, des informations non confirmées sur une escale possible à Riyad de M. Le Drian, qui aurait été probablement envoyé en renfort, ont circulé. Riyad fléchira-t-il pour autant face aux sollicitations assidues de ses partenaires occidentaux ? On le sait déjà : les responsables saoudiens n’ont aucun problème pour ce qui est de la mise sur pied d’un gouvernement qui serait dirigé par Saad Hariri, même s’ils ne vont pas jusqu’à officiellement soutenir ce dernier avec lequel ils ont coupé les ponts. À maintes reprises, ils se sont prononcés pour un gouvernement capable d’engager des « réformes urgentes pour stabiliser l’économie et soulager le peuple libanais », comme souligné dans un communiqué signé conjointement publié le 29 juin par les représentants saoudien, français et américain. Par contre, Riyad ne serait pas encore disposé à débourser de l’argent dans un pays qui ne leur a jamais rendu la pareille, à en croire les propos de certains analystes saoudiens. « Les Saoudiens ne sont pas vraiment enthousiastes pour aider le Liban même si Riyad reste quand même attaché à la pérennité de l’État libanais », commente, pour L’Orient-Le Jour, Hussein Chabakji, analyste politique.
« Tant que le Liban est sous le joug d’une milice, il ne pourra plus espérer aucune aide de Riyad. Imaginez par exemple que des aides humanitaires soient envoyées au Yémen et que les houthis (milice pro-iranienne) mettent la main dessus », affirme Hamdan el-Shehri, spécialiste en relations internationales.
Le soutien de Riyad ne sera réhabilité, explique le chercheur, qu’une fois l’ensemble de la situation politique au Liban transformée. Comprendre lorsque le Hezbollah ne sera plus aux commandes. Une position un peu radicale aux yeux d’un observateur libanais qui croit savoir que le royaume pourrait éventuellement consentir à contribuer, par des sommes relativement modestes, à soutenir ponctuellement des secteurs tels que la santé, l’éducation et l’armée.
Mais la question de la mainmise du Hezbollah sur la vie politique libanaise ne serait pas la seule raison qui décourage tout futur engagement saoudien au Liban. Riyad ne trouve quasiment plus d’intérêt à réhabiliter son rôle d’antan.
« Ce qui se passe en Arabie saoudite n’est pas un simple changement de tactique mais toute une nouvelle culture politique inaugurée par le royaume. Non seulement les Saoudiens n’ont plus d’intérêts économiques au Liban – ils n’ont quasiment plus d’investissements. Il faut également savoir que la nouvelle génération de leaders saoudiens n’a plus d’attachement affectif à ce pays », commente Rami Kiwan, analyste économique et politique. Le prince héritier, Mohammad ben Salmane, n’est jamais venu au Liban. D’un point de vue géopolitique, le Liban n’intéresse plus les pays arabes du Golfe, en tous les cas bien moins que la Syrie ou le Yémen.
Autant de raisons qui ont poussé le royaume à accorder la priorité à la politique intérieure et à se détourner d’un Liban gangrené par la corruption et du fait des récents scandales concernant l’exportation de Captagon en Arabie, conclut l’analyste.
Recommandation française d’une « task force » internationale à Beyrouth
La mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient relevant de la commission de la Défense du Parlement français recommande l’installation urgente à Beyrouth d’une « task force » internationale pour gérer les conséquences de la crise socio-économique qui ne fait que s’amplifier au Liban et insiste sur l’importance des échéances électorales de l’an prochain. Gwendal Rouillard et Philippe Meyer, rapporteurs de la mission d’information sur la stabilité au Moyen-Orient, ont présenté mardi leurs conclusions aux membres de la commission, préconisant, au sujet du Liban, une intervention rapide. « Nous recommandons l’installation urgente à Beyrouth d’une “task force” (force opérationnelle) internationale sous l’égide des Nations unies et de la Banque mondiale, afin d’amplifier les actions humanitaires (alimentation, médicaments soins, écoles…) et de développement (eau, électricité…) », ont-ils proposé, et ils ont « encouragé la France et ses partenaires arabes et occidentaux à soutenir l’armée et les Forces de sécurité intérieure (FSI) afin d’éviter leur effondrement et de poursuivre leur montée en puissance opérationnelle face à Daech et aux autres menaces (trafics de drogue…) ». Les deux parlementaires expriment ensuite le souhait que « la France, ses partenaires et les Nations unies puissent garantir la tenue des élections législatives, municipales et présidentielle en 2022 ». « Les Libanaises et les Libanais doivent pouvoir s’exprimer librement afin de bâtir le changement et leur nouveau Liban », soulignent-ils.
C’est inédit dans l’histoire des nations. Que deux diplomates postés dans un pays, le Liban en l’occurrence, se rendent dans un pays tiers, l’Arabie saoudite, pour solliciter son aide, se substituant presque aux autorités locales du pays où ils exercent leur mission, c’est du jamais- vu. Dépêchées en Arabie saoudite pour des entretiens officiels, les deux ambassadrices...
commentaires (6)
Merci Mesdames à vous et à vos chers pays respectifs qui tant bien que mal nous permettent de nous réfugier et de vivre librement durant notre tant pénible passage de Dante. Faites surtout qu’on puisse avoir une protection de l’ONU afin qu’on puisse se remettre debout et rayonner autrement comme autrefois du temps de notre cher président Chamoun mais en mieux encore.
Wow
16 h 55, le 09 juillet 2021