Le pape François a adressé jeudi un message d'espoir aux Libanais, les suppliant de ne pas se décourager, tout en enjoignant leurs dirigeants politiques de trouver "des solutions urgentes et stables à la crise économique, sociale et politique actuelle".
Le pape, après s'être entretenu dans la journée avec neuf chefs religieux chrétiens libanais, a exprimé lors d'un discours à la basilique Saint-Pierre sa "préoccupation forte à la vue de ce pays que je porte dans le cœur et que j'ai le désir de visiter, précipité dans une grave crise".
Arrivés jeudi matin à la maison Sainte-Marthe, où réside le pape dans la Cité du Vatican, les neuf dignitaires sont d'abord allés ensemble se recueillir dans la Basilique Saint-Pierre pour "invoquer la paix au Liban". Ils ont ensuite rejoint le palais apostolique pour trois séances de travail à huis clos, alors que le Liban subit la pire crise économique de son histoire, qualifiée d'une des plus graves dans le monde depuis 1850 par la Banque mondiale.
C'est en fin de journée, après une prière œcuménique "pour la paix" ponctuée de textes en arabe, syriaque, arménien et chaldéen, que le pape a prononcé son discours très attendu en présence de diplomates, s'adressant directement aux Libanais et à leurs dirigeants politiques mais aussi aux "membres de la communauté internationale", leur demandant à ce que, "par un effort conjoint, les conditions soient posées pour que le pays ne s'effondre pas, mais entame un chemin de reprise". Le pape ne s'est pas privé d'adresser quelques coups de griffe. A la classe politique libanaise tout d'abord, en affirmant que le Liban "ne peut être laissé à la merci du sort ou de ceux qui poursuivent sans scrupules leurs intérêts personnels" et qu'"il n'y a pas de paix sans justice". "Cela suffit, les avantages de quelques-uns sur le dos d’un grand nombre ! Cela suffit, la domination des vérités de parti, sur les espérances des gens !", a-t-il lancé. Le souverain pontife a également fustigé des pays tiers accusés d'"ingérences abusives" : "Cela suffit d'utiliser le Liban et le Moyen-Orient pour des intérêts et des profits étrangers !" a-t-il tancé.
S'adressant encore aux Libanais de la diaspora, le pape les a appelés à "mettre au service de (leur) patrie les énergies et les meilleures ressources dont (ils disposent)".
Le pape a en outre rendu hommage aux femmes libanaises. "Les femmes sont génératrices de vie et d’espérance pour tous ; qu’elles soient respectées, valorisées et impliquées dans les processus décisionnels du Liban", a souhaité le Saint-Père. Et il a rappelé que les jeunes "sont des lampes qui brûlent en cette heure sombre". "Regardons les enfants : que leurs yeux brillants, mais remplis de trop de larmes, secouent les consciences et orientent les choix", a-t-il prié.
Voyage papal fin 2021 ?
Le Liban, face à un "extrême danger" qui menace son existence même, ne peut pas être "abandonné à sa solitude", avait déjà plaidé en septembre le pape François dans un vibrant message au pays, un mois après la tragédie de l'explosion du port de Beyrouth. "Le Liban est un petit-grand pays, mais il est davantage : il est un message universel de paix et de fraternité qui se lève du Moyen-Orient", a-t-il affirmé jeudi, alors que la présence chrétienne dans le pays semble menacée par un nombre croissant de candidats au départ.
Le pape pourrait "peut-être" se rendre au Liban entre la fin 2021 et le début 2022, de préférence en présence d'un gouvernement nouvellement formé, selon le Vatican.
Aujourd'hui, "50 à 60% de nos jeunes vivent à l'étranger, il n'y a plus que les vieux et les enfants", déplorait le vicaire patriarcal maronite Samir Mazloum, interrogé par l'AFP avant la rencontre à laquelle il ne participait pas, en pointant le chômage et la dégringolade historique de la livre libanaise. La faute à "l'absence de gouvernement capable de prendre des décisions et de relancer l'économie, ou du moins de mettre fin à l'hémorragie", pointe l'évêque maronite, qui explique aussi que l'affaiblissement de la présence chrétienne est liée aussi à des "divisions politiques interchrétiennes".
Parmi les neuf dignitaires invités au Vatican se trouvait notamment le patriarche maronite Béchara Raï, à la tête de la plus grande communauté chrétienne du Liban, qui ne cesse d'envoyer des messages très critiques sur la corruption de la classe politique.
Pour un autre participant, Mgr César Essayan, vicaire apostolique de Beyrouth pour les catholiques de rite romain (une très petite communauté), "le Liban est en pleine crise d'identité" et la corruption touche toutes les sphères de la société, y compris la sphère religieuse. "C'est un moment très important pour nous", mais "pas évident", a-t-il confié lors d'une conférence de presse en ligne. "Les attentes des Libanais sont très élevées. On attend des miracles du pape François, de nous aussi! Mais les résultats ne seront pas immédiats", a-t-il averti.
Les réactions à Beyrouth
A Beyrouth, la présidence a affirmé dans un tweet que Michel Aoun avait suivi en direct à la télévision la réunion à Rome. "Aujourd'hui, le monde partage avec le pape François la prière et la contemplation pour le Liban", a également écrit le chef de l'État sur son compte Twitter personnel. "Renforçons, musulmans et chrétiens, les valeurs de justice, de vérité, d'équilibre et de respect mutuel, qui consacrent notre union nationale", a-t-il plaidé. "De la sorte, nous redonnons à notre patrie son message unique, celui du vivre-ensemble, dans son environnement et dans le monde", a conclu Michel Aoun.
الرئيس عون يتابع مباشرة عبر شاشة التلفزيون وقائع افتتاح البابا فرنسيس ل "يوم التأمل والصلاة من أجل لبنان" والذي يشارك فيه رؤساء الطوائف المسيحية الكاثوليكية والأرثوذكسية في لبنان pic.twitter.com/cyeEmqaJ5Q
— Lebanese Presidency (@LBpresidency) July 1, 2021
Le Premier ministre désigné, Saad Hariri, a espéré pour sa part que cette rencontre sera "couronnée de succès" et "aidera le Liban à sortir de sa dure réalité". "Il n'est pas surprenant que le Liban reste dans le cœur du Vatican, par cette invitation adressée par le pape François à dix chefs spirituels, avec l'intention d'aider le Liban à sortir de sa dure réalité", a-t-il tweeté. "Nous espérons que cette rencontre sera couronnée de succès", a-t-il poursuivi. Celui qui a été reçu par le souverain pontife fin avril a souhaité que le Liban "puisse profiter de la visite du Saint Père, comme il l'a promis (...)".
Le chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil a également commenté cette visite en s'attardant sur l'importance du rôle et de la présence des chrétiens au Liban, un slogan qui lui est très cher. "L'existence des chrétiens au Liban est liée à leur rôle. Sans ce rôle, ils n'existent pas", a-t-il écrit sur son compte Twitter, appelant le Vatican à reconnaître ce rôle, sans quoi le pays connaîtrait une "émigration totale" des communautés chrétiennes. "Le rôle du Vatican est central et moral. Les chrétiens n'ont pas besoin qu'on impose leur présence mais qu'on reconnaisse leur rôle. Le Saint-Siège est capable de raviver leur force afin qu'ils soient rassurés quant à leur avenir" dans le pays.
Le chef du parti Kataëb Samy Gemayel s'est réjoui pour sa part "du rassemblement mondial politique et spirituel auprès des Libanais". "Ce qui fait saigner le cœur, c'est que les dirigeants demeurent indifférents, complices, criminels", a ajouté le leader maronite. Il a enfin exprimé l'espoir que "les prières éveillent les consciences mortes qui ont besoin d'un miracle pour ressusciter".
De son côté, l'ancien ministre des Finances Ali Hassan Khalil, de confession chiite, a estimé que la prière du pape François à l'intention du Liban constitue un "appel" aux Libanais pour "sauver leur pays" et en "tirer un message d'unité et d'amour".
commentaires (9)
Grande déception. Nous nous attendions à des actions de la part de notre cher Pape et voilà, rien que des discours inutiles.
Georges Bitar
22 h 57, le 01 juillet 2021