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Politique - Éclairage

Les enjeux de la réconciliation interdruze

Walid Joumblatt et Wi’am Wahhab se rendent aujourd’hui à Khaldé chez Talal Arsalne pour régler les différends du passé.

Les enjeux de la réconciliation interdruze

Les leaders druzes Talal Arslane (g.) et Walid Joumblatt. Photo d’archives ANI

Lorsque le vent se lève, les druzes font front uni. Ce qui ressemble à un cliché essentialiste n’a quasiment jamais été démenti au cours de l’histoire libanaise. À chaque fois qu’une crise extérieure est considérée comme une menace pour la communauté, les leaders druzes mettent leurs rivalités de côté et jouent à fond la carte de l’unité. C’est à ce titre qu’il faut lire la réunion qui se tiendra aujourd’hui à Khaldé visant à parachever la réconciliation entre Walid Joumblatt, Talal Arslane et Wi’am Wahhab. Pas question pour les trois formations de revoir leurs lignes politiques. Mais l’idée est de régler les points litigieux au sein de la communauté et de s’entendre sur la répartition de la représentation dans les institutions de l’État.

La rencontre d’aujourd’hui s’inscrit comme l’aboutissement d’un processus de réconciliation entamé en 2019. Elle vise à régler trois différends intervenus depuis 2018. D’abord, l’incident de Choueifate, en mai 2018, au lendemain des élections législatives, qui a abouti à la mort d’un jeune partisan de Walid Joumblatt abattu par un homme affilié à Arslane. Ensuite, les évènements de Qabr Chmoun : une fusillade avait éclaté le 30 juin 2019 dans ce village du caza de Aley, engendrant la mort de deux gardes du corps du ministre d’État pour les Affaires des déplacés Saleh Gharib, proche de Talal Arslane, et blessant un militant du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt. L’incident s’était produit lors d’une tournée dans le Chouf du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, gendre du président Michel Aoun et allié politique de M. Arslane. Et enfin, l’attaque au couteau, il y a quelques semaines, de fidèles de Wi’am Wahhab contre des pro-Joumblatt à Kfarhim. L’affaire de Qabr Chmoun aurait dû être définitivement réglée il y un an. En juin 2020, Nabih Berry invite tous les protagonistes à Aïn el-Tiné pour tourner la page de cette querelle qui a fait vaciller la Montagne et réveillé les spectres de la guerre civile. Walid Joumblatt, accompagné de son conseiller Ghazi Aridi, ainsi que Talal Arslane et Saleh Gharib sont au rendez-vous. Mais les esprits ne sont pas encore assez mûrs pour que la réconciliation soit sincère. Pour Joumblatt, la priorité est d’ordre sécuritaire, pour Arslane, elle est politique. C’est l’occasion pour ce dernier de réclamer une part équivalant à celle de son rival au sein de l’État. « Est-ce qu’on vient régler le problème ou passer un contrat pour les emplois au sein des administrations ? » s’énerve rapidement Joumblatt. Mais Arslane n’en démord pas et réclame d’être reconnu à ce qu’il estime être sa juste valeur. Le chef du Parti démocratique libanais, appuyé par Gebran Bassil, veut contester le leadership du leader du PSP dans la Montagne. Pour éviter que la rencontre tourne au vinaigre, Berry intervient : « Ô émir, nous nous réunissons pour résoudre un problème qui a presque conduit à une explosion majeure dans le pays. Quant aux questions politiques dans l’État, elles seront traitées à un stade ultérieur, le sang ne peut être échangé contre des positions et des bénéfices politiques », dit-il à Arslane. Ce dernier souhaite au moins obtenir de Joumblatt une promesse de consensus sur l’élection d’un dignitaire religieux qui lui est affilié. « Il est prématuré d’en parler, nous avons plus d’un an et demi avant l’échéance, alors abordons les problèmes pressants et après nous nous entendrons sur ces détails », répond le chef du PSP. Mais Arslane insiste, encore une fois, pour discuter de la question, soulignant qu’il est nécessaire de revenir à l’accord druze selon lequel les Joumblatt et les Arslane alternent le leadership religieux, ce qui signifie qu’ils doivent s’entendre sur un cheikh Akl parmi ceux affiliés à Arslane pour succéder à cheikh Naïm Hassan, proche de Joumblatt. Ce dernier se met alors dans une colère noire. « Prenez tout ce que vous voulez, mais je veux mettre fin à cette mascarade. Est-ce ainsi que les problèmes d’une communauté sont discutés et que ceux qui la menacent de l’intérieur sont résolus ? » lance-t-il avant de s’adresser à Gharib en ces termes : « Vous venez également ici pour négocier avec moi pour votre oncle, prenez tout. » Joumblatt faisait allusion au cheikh Akl Nasreddine Gharib, candidat d’Arslane et oncle de l’ancien ministre, non reconnu comme tel par l’État. Après avoir constaté leurs désaccords, les parties respectives se sont entendues sur une solution à la libanaise : il a été convenu de former un comité mixte pour régler la question.

Comme en 1972

Le comité s’est réuni tout au long de l’année. En mars dernier, Arslane ouvre à nouveau la porte à la réconciliation, avec une visite au domicile de Joumblatt à Clemenceau. Mais le chef du PDL propose de résoudre uniquement le problème de Choueifate, pas celui de Qabr Chmoun. Joumblatt refuse, arguant qu’on ne peut panser une blessure et en laisser une autre béante. L’initiative d’Arslane intervient après que Joumblatt a avalisé l’élargissement du gouvernement à deux ministres druzes, dont l’un affilié à Arslane. Ce changement de position du leader druze avait été perçu comme une volonté de favoriser le compromis afin de calmer les tensions dans la Montagne. Quelques semaines plus tard, Wahhab demande un rendez-vous à Joumblatt pour régler le problème de Kfarhim et se propose comme médiateur dans le conflit qui oppose les deux autres leaders druzes. Joumblatt s’en félicite : « Tout mon souci est de résoudre les différends, et je n’ai aucun problème à me rendre chez Arslane en échange de sa visite en mars dernier. L’important est de tourner la page. »

Pour mémoire

Conciliations et réconciliations : les dessous de la résolution de l’affaire de Qabr Chmoun

C’est dans cet objectif que Joumblatt se rend aujourd’hui à Khaldé. Une visite qui rappelle celle qu’avait effectuée son père, Kamal Joumblatt, en 1972 au domicile de l’émir Majid Arslane pour la réconciliation druze et en préparation de l’alliance électorale dans le district de Aley. À l’époque, le camp chrétien était divisé entre les partisans de Pierre Gemayel et ceux de Camille Chamoun. Les druzes avaient préféré rester en marge du conflit, malgré le fait qu’Arslane était un allié de Chamoun.

Un épisode qui paraît, à bien des égards, proche de la situation actuelle. Mais loin d’une unité interdruze, Wahhab et Arslane envisageraient sérieusement, selon des sources proches de Joumblatt, de faire une alliance électorale avec le Courant patriotique libre contre le chef du PSP lors des prochaines législatives pour établir une parité druze. Les médias proches du 8 Mars ont vu derrière la réunion de demain le signe d’une volonté du leader de la Montagne de se rapprocher de Damas, allié de ses deux rivaux. « Tout cela, c’est de l’enfantillage politique, car Assad est incapable de quitter son domicile sans l’autorisation de diverses parties et (incapable) de se rendre ne serait-ce qu’à Deraa, Idleb ou même Damas », ironise un proche de Walid Joumblatt.

Lorsque le vent se lève, les druzes font front uni. Ce qui ressemble à un cliché essentialiste n’a quasiment jamais été démenti au cours de l’histoire libanaise. À chaque fois qu’une crise extérieure est considérée comme une menace pour la communauté, les leaders druzes mettent leurs rivalités de côté et jouent à fond la carte de l’unité. C’est à ce titre...

commentaires (3)

LES TROIS MO(US)QUE-TERRES !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 29, le 26 juin 2021

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Commentaires (3)

  • LES TROIS MO(US)QUE-TERRES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 29, le 26 juin 2021

  • ..."""À chaque fois qu’une crise extérieure est considérée comme une menace pour la communauté, les leaders druzes mettent leurs rivalités de côté et jouent à fond la carte de l’unité..."" je ne vois pas ou se trouve la menace EXTERIEURE qui inquiete ces 3 lascars ! Vous ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 50, le 26 juin 2021

  • La communautarisation en marche… L’appartenance citoyenne en recul, si tant est qu’elle ait jamais existé. Comment et quand pourra-t-on se libérer de l’emprise des ‘barons’ mafieux de la politique ? Il est clair que personne ne nous en fera cadeau. Alors peut-être, partager ce royaume que le Hezbollah domine , en duchés confessionnels?

    LeRougeEtLeNoir

    10 h 16, le 26 juin 2021

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