
Des membres des différents clubs laïcs du réseau MADA participent au nettoyage de la plage de Tyr souillée par la marée noire israélienne. Photo fournie par le Club laïc de Tyr
Au premier étage d’un immeuble d’une rue commerçante, au-dessus d’un café, Wassim Ezzeddine s’installe dans une petite salle où les membres du Club laïc de Tyr se rassemblent depuis des semaines. Ils étaient cinq au départ. Aujourd’hui, environ 60 jeunes ont rejoint, grâce au bouche-à-oreille, cette bande d’irréductibles, résidents ou originaires de la ville, âgés en moyenne d’une vingtaine d’années. « Nous voulons montrer que les chiites ne sont pas tous avec le tandem (Amal-Hezbollah), qu’un autre discours politique existe ici », explique Wassim Ezzeddine, 21 ans, qui est le président du club. Ce dernier cible les jeunes opposants et souhaite leur donner l’opportunité d’être actifs sur la scène politique dans leur ville en leur offrant un espace de discussion et d’organisation politique. « Ils en ont marre de ce système confessionnel. Et ici, ils n’en peuvent plus d’Amal et du Hezbollah. Ils veulent un changement et pouvoir s’exprimer sans être attaqués », assure encore cet étudiant en ingénierie civile. « Nous souffrons des conséquences de certains choix politiques alors que nous ne pouvions pas voter lors des élections. Ce sont les anciens qui ont décidé », poursuit Wassim. Les irréductibles du Club laïc de Tyr sont le symbole d’une jeunesse qui, à l’échelle du pays, veut rompre avec les précédentes générations. Grâce à l’impulsion du soulèvement de la rue en octobre 2019, les groupes indépendants ont remporté les élections estudiantines en 2020, comme les clubs laïcs de l’Université Saint-Joseph et de l’Université américaine de Beyrouth, infligeant un camouflet aux partis traditionnels.
Derrière la création du club de Tyr se trouve le réseau MADA, qui vise à intégrer les jeunes à la vie politique, sociale et économique du pays. Créé en 2017 par des anciens membres du Club laïc de l’AUB, ce réseau se focalisait au préalable sur les universités libanaises. Il est passé à la vitesse supérieure en établissant à Tyr ce tout premier club régional, autonome et indépendant. « Je veux être actif dans ma région. Je suis originaire de la ville et je fais partie de la communauté », explique Sultan, 20 ans et lycéen en terminale, section économie. Ces jeunes qui rêvent de faire carrière en politique se réjouissent du nombre de personnes qui partagent leurs idées dans leur ville. « Nous étions tous éparpillés chacun de notre côté, le club permet de réunir les opposants », continue le jeune homme, vice-président du club, qui préfère ne pas donner son nom de famille. Encore faut-il trouver les opposants favorables à la laïcité, dans une région où les partis politiques utilisent la religion, entre autres, pour rallier les troupes. Pour pallier cette problématique, le club laïc veut sensibiliser les résidents à leur définition du concept. « Ce n’est pas discriminatoire contre les communautés. Nous demandons la séparation de l’État de la religion avec l’établissement de lois qui permettent à tous d’être égaux et qui sont la plus grande autorité », explique Wassim.
« Des gens ont été menacés chez eux »
En posant ses bagages dans une région contrôlée par le tandem chiite où les voix dissidentes sont réprimées, le club ne s’est pas facilité la tâche. « Certains viennent de familles politisées et ne peuvent pas donner leur avis », renchérit Malak-al Amin, la représentante du club auprès de MADA, qui souhaite également ne pas donner son nom de famille. Le soulèvement d’octobre 2019 a changé la donne, certains habitants ayant pris d’assaut la place el-Alam pour critiquer les partis politiques qui ont la mainmise sur leur ville. Malak-al Amin, 16 ans, et Sultan sont descendus dans les rues de Tyr. « Avant la thaoura, nous étions muselés. C’est avec surprise que nous avons vu autant de monde », se souvient la jeune femme avec nostalgie. « Beaucoup de gens qui étaient présents sur la place font aujourd’hui partie du club. D’autres veulent l’intégrer mais ils ont peur », ajoute Sultan. Le 19 octobre 2019, des personnes affiliées à Amal ont attaqué, « avec l’accord du Hezbollah » selon Wassim, les manifestants après que Nabih Berry s’est fait insulter dans son propre fief, une chose inimaginable avant la thaoura. « Des personnes ont été menacées chez elles », raconte Wassim.
Certains membres du club, comme Sultan, ont reçu des menaces de la part de partisans d’Amal et du Hezbollah après avoir publié des messages critiquant le tandem chiite sur les réseaux sociaux. Lors du lancement de la page en mars, les réactions du camp opposé n’ont pas manqué. « Nous avons été insultés par certains étudiants pro-tandem, mécontents que le Club laïc s’invite chez eux », raconte Wassim. Pourtant, ces jeunes affirment ne pas avoir peur. Loin d’être naïfs et abattus d’office, ils savent qu’ils ne peuvent pas s’opposer au clientélisme de ces partis traditionnels, « surtout pour ceux qui en dépendent pour leur survie », lance l’étudiant en ingénierie. « Ça va être difficile avec la situation économique, mais c’est une guerre d’idées », poursuit-il. Des idées qui en ont tué plus d’un. L’intellectuel chiite Lokman Slim, farouche opposant au Hezbollah, a été assassiné en février dernier dans le fief du parti chiite. « Nous devons mettre ce sujet sur la table et être clairs sur notre position, sinon, c’est comme si nous ne faisions rien », maintient Wassim, en faisant référence aux armes du Hezbollah auxquelles le club s’oppose. Une bataille qu’ils espèrent remporter lors des prochaines élections municipales de Tyr, soit en soutenant un candidat, soit en présentant un issu des rangs du club laïc.
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« La religion est l opium du peuple » Mao Tse Toung
Robert Moumdjian
04 h 42, le 18 juin 2021