C’est à la Polka Factory* que se rassembleront les éditeurs et certains des photographes qui ont participé à la réalisation de l’ouvrage Le Liban n’a pas d’âge (Bernard Chauveau Édition, 2020), dont les entrées sont multiples autour de la question de la mémoire libanaise, et de sa construction visuelle et mentale. Trois textes ambitieux structurent un corpus de photographies conséquent et l’interrogent de manière éclairante et stimulante à travers la plume de Sabyl Ghoussoub, Georges Boustany et Tarek Nahas. Ils permettent une mise en perspective inédite du corpus des photographies de la collection de Georges Boustany et des œuvres plus contemporaines d’une trentaine d’artistes libanais.
Sylvie Andreu, qui a coordonné ce travail d’équipe et son questionnement livresque d’une mémoire collective, a une longue histoire avec le Liban. « Ce pays a toujours été dans ma vie. J’y ai débarqué à la fin des années soixante, alors que mon père était en poste à l’ORTF. J’y ai fait mes classes à Radio Liban et à l’École des lettres françaises, et j’y ai découvert une forme de beauté et une certaine complexité du monde. J’ai vu le soleil se coucher comme nulle part ailleurs, et j’ai vérifié que dans la même journée, on pouvait bien se baigner et faire du ski », confie-t-elle avec humour. La genèse du livre a coïncidé avec une période où le pays entamait une période de crise dévastatrice. « Lors de mes premiers voyages au Liban, j’entendais “Les Libanais dansent sur un volcan” ; mais aujourd’hui, tous les jours, je m’inquiète pour mes amis qui résistent comme ils le peuvent à Beyrouth. Ce livre est un peu pour eux. Quand nous avons projeté de faire le livre pour célébrer la date anniversaire de la création du Liban, le pays traversait une crise politique importante, puis allaient s’ajouter le coronavirus, l’explosion au port et l’appauvrissement de la population. Nous avions conscience de la difficulté du projet, et cette difficulté nous a confortés à aller jusqu’au bout », poursuit la journaliste avec détermination.
Une trentaine de photographes libanais ont répondu à l’appel : Sirine Fattouh, Joe Kesrouani, Stéphanie Saadé et bien d’autres. « À Paris, nous n’avons pas désarmé, et à Beyrouth, les photographes n’ont pas lâché l’objectif. Nous les avons mis face à un choix redoutable : sélectionner trois photos qui disent leur Liban révolu, vécu, fantasmé. Au fil de cette année de travail, se sont tissées des relations de confiance et de reconnaissance mutuelle. Ce fut une expérience éditoriale assez unique, rendue possible grâce au concours de Tarek Nahas, Georges Boustany, Sabyl Ghoussoub et Marine Bougaran. Cette soirée du 17 juin sera l’occasion d’un moment de répit pour les Libanais de Paris et de lisibilité pour les auteurs dont le talent s’expose à chaque page, dans un des lieux parisiens les plus prestigieux dédiés à la photographie, Polka Factory. Les lecteurs sont unanimes, beaucoup sont au comble de l’émotion face à notre livre, où art et historie se rejoignent et qui est au plus près de l’intime. Il n’a pas choisi son camp et témoigne des liens indéfectibles entre nos deux pays », conclut Sylvie Andreu avec ferveur.
La mer, la lumière et la diversité urbaine
Parmi les artistes qui seront présents jeudi soir, Cha Gonzalez, mais aussi Serge Najjar qui explique le choix des œuvres qu’il a voulu publier et leur portée symbolique. « J’ai choisi trois photos reflétant l’image que je tiens à garder dans ma tête lorsque je pense au Liban : la mer (Paper Clip), la lumière (The Architecture of Light) et l’incroyable diversité urbaine (Urban Theater). Malgré toutes nos peines, nos malheurs, la dureté du quotidien et la crise qui n’en finit plus, seuls l’espoir et un esprit positif sont en mesure de nous pousser à combattre et à sauvegarder le Liban qui nous est cher. Je parle du Liban Méditerranée, ce pays au soleil intense et à l’énergie débordante d’inventivité. Je refuse de sombrer dans un discours négatif lorsque je photographie mon pays. »
Les invités à cette soirée de lancement pourront également échanger avec Patrick Baz, dont le triptyque choisi au sein de ses photographies relève d’une toute autre perspective. « Ces photos représentent à mes yeux l’état chronique du pays : la guerre, les ruines et la misère, et elles incarnent son évolution. C’est toujours fascinant de voir l’intérêt que portent les étrangers au Liban et aux artistes libanais, et dans ce cas précis, les photographes. Cet événement tombe à un moment où les photographes en ont le plus besoin », enchaîne l’artiste avec conviction.
Clara Abi Nader, qui participera au cours des premières semaines de juillet à une exposition collective à Arles, sera elle aussi présente à la Polka Factory, l’occasion pour elle de rappeler le sens du corpus ternaire qu’elle a retenu pour le livre. « La première photo, issue de ma série “Views from the Sea”, représente le Saint-Georges, l’autre est un paysage côtier avec un palmier et une usine au loin. La troisième est constituée d’un paysage chaud où se tient ce pétrolier que l’on voit souvent amarré sur les côtes de Batroun. Ces dernières images sont tirées de ma série “Au retour”. L’ensemble évoque un passé festif que j’ai connu à travers des photos d’archives et les histoires de mes grands parents, et une histoire devenue lourde, pesante. Ce sont des sentiments troublants qui me laissent dans un état de nostalgie et de frustration. Ce paysage photographié à Selaata me fascine, sa dimension paisible est trompeuse, on dirait presque qu’il prend feu, la fumée de l’usine derrière est là pour nous le rappeler d’ailleurs. Le pétrolier, lui, suggère le rêve de jeter l’ancre ailleurs, dans un autre port », précise la jeune photographe qui insiste sur l’importance pour elle d’accompagner le lancement d’un livre dont la portée est plurielle.
« Depuis Paris, j’essaye de prendre du recul et de garder un petit espoir pour ce pays envahi par la corruption et la misère. C’est un privilège de pouvoir participer au lancement de ce livre, et c’est un honneur que mon travail soit publié dans une collection aussi forte et aussi conséquente pour relater les cent ans du Liban », termine Clara Abi Nader. Serge Najjar est également sensible à la dimension symbolique de la soirée du 17 juin. « Tout événement autour de la culture libanaise est actuellement un acte de résistance. La culture est la seule richesse qu’il est difficile de nous confisquer, et la signature de jeudi soir est une occasion de poursuivre ce combat », ajoute-t-il.
À signaler qu’une partie des ventes réalisées à l’issue de cette présentation sera reversée à l’association Soura, en partenariat avec le Beirut Center of Photography, afin d’aider un jeune étudiant libanais à financer ses études à Arles.
*14 rue Saint-Gilles, 75003, Paris.
commentaires (2)
J'ai acheté cet ouvrage et je considère qu'il s'agit de ma contribution à l'association Soura avant tout !
Bassam Youssef
09 h 43, le 03 juillet 2021