Le patriarche maronite Béchara Raï a une nouvelle fois critiqué sévèrement la classe dirigeante dans un Liban en profonde crise, accusant les responsables de mener une "politique de la population brûlée", alors que le pays est sans gouvernement depuis plus de dix mois et poursuit sa descente aux enfers.
"Aux responsables qui bloquent la formation du gouvernement et le redressement de l'État, nous disons : Nous avons connu la politique de la terre brûlée, mais aujourd'hui, nous sommes témoins de la politique de la population brûlée", a dénoncé le chef de l'Église maronite, au cours de son homélie dominicale à Bkerké.
Le nouveau cabinet est attendu depuis dix mois. Le gouvernement de Hassane Diab avait démissionné le 10 août dernier, suite à la double explosion au port de Beyrouth. Après un premier essai infructueux de formation d'un cabinet "d'experts indépendants" par l'ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustapha Adib, et la récusation de ce dernier, Saad Hariri avait été désigné en octobre pour reprendre le flambeau. L'impasse des tractations semble toutefois totale malgré les efforts menés ces dernières semaines par le président de la Chambre Nabih Berry, qui avait proposé une initiative basée sur un cabinet de 24 ministres (huit pour chaque grand pôle politique du pays) dans lequel aucune partie ne pourrait obtenir le tiers de blocage. Ce tiers de blocage et la nomination de deux ministres chrétiens flottants sont au cœur des tensions entre les protagonistes.
La formation d'un nouveau cabinet est pourtant cruciale pour mener des réformes qui permettraient de débloquer des aides internationales, le pays s'enfonçant dans une crise socio-économique et financière aiguë, décrite par la Banque mondiale comme l'une des trois pires crises mondiales depuis la moitié du 19e siècle.
"Le monde entier nous attend pour tendre sa main et nous aider, alors que vous, vous êtes empêtrés dans un jeu démoniaque (...) et une mauvaise gouvernance", a estimé Mgr Raï. "Ce pays n'est pas une propriété privée pour que vous vous permettiez de le mettre en banqueroute et le détruire", a-t-il prévenu. "Je me demande si vous n'avez pas été désigné pour détruire ce pays", a même lancé le patriarche. Il a ensuite appelé l'État à "se mobiliser pour demander aux pays frères et amis d'aider le Liban le plus tôt possible, car le peuple ne peut plus supporter davantage d'humiliation". Béchara Raï a estimé dans ce contexte que "les solutions existent", mais que certains "empêchent leur adoption, tout comme ils empêchent la formation du gouvernement". A aucun moment cependant, le chef de l'Église maronite n'a désigné les responsables nommément.
Audi implore Aoun de descendre dans la rue
S'adressant enfin à la population, Mgr Raï l'a appelée à "organiser un mouvement de contestation pacifique afin d'apporter le changement requis, si une classe dirigeante sage, courageuse et patriotique" ne voyait pas le jour. Le patriarche a critiqué à plusieurs reprises le soulèvement populaire du 17 octobre 2019, dénonçant les blocages de route et actes de vandalisme qui ont émaillé les manifestations qui ont accompagné ce soulèvement. Mgr Raï affirme toutefois soutenir certaines demandes de l'opposition populaire.
Quant au métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Mgr Élias Audi, il s'est demandé "s'il n'était pas temps que l'État se réapproprie sa décision et impose son autorité", critiquant implicitement l'emprise du Hezbollah sur les rouages du pouvoir. "Monsieur le président, je vous implore de descendre dans la rue pour voir l'humiliation subie par la population", a même lancé le métropolite à l'adresse du chef de l'État Michel Aoun, alors que les files interminables d'automobilistes devant les stations-service sont devenues monnaie courante ces derniers jours.
commentaires (12)
Le Président et le CPL ont raison d'être méfiants. En effet, pourquoi a t-il démissionné quand la crise a éclaté et pourquoi ce retour aujourd'hui ? Que cherche-t-il ? A t-il préparé un coup politique? Que peut-il aujourd'hui pour le pays ? Avant de lui faire confiance il faut qu'il s'explique sur hier et qu'il donne une feuille de route précise pour les 12 mois qui viennent. Enfin la survie des libanais ne dépend pas du Président mais de ceux qui tiennent l'économie, les propriétaires des banques avant tout.
NASSER Jamil
12 h 46, le 14 juin 2021