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Nos Lecteurs ont la Parole

Elle, figure de proue du changement

Si le monde entier se réduisait à un cadavre et si l’on décidait d’en faire une autopsie, on lui diagnostiquerait bien des maux... Le plus visible d’entre eux serait peut-être ce déséquilibre entre l’homme et la femme, cette discrimination inique qui handicape la société et endigue son évolution. Je pense qu’il est obscène d’aborder la cause de l’égalité des sexes au XXIe siècle. Dans une ère où vaincre une pandémie et conquérir l’espace deviennent des actes presque anodins, le monde devrait avoir déjà reconnu la femme comme homologue de l’homme, ayant mêmes devoirs, mêmes droits et mêmes capacités. Mais il me semble que ce même monde, dans un élan vertigineux vers le progrès, aurait brûlé des étapes. Au vu de la maltraitance de certaines femmes aux mains des hommes, de la croyance pourtant erronée de leur infériorité et des agressions dont elles sont victimes chaque jour, parler de leur cause devient urgent.

Des viols et des crimes scandaleux défilent sans cesse sous nos yeux, mais un seul chiffre a retenu mon attention : 97 % des femmes affirment avoir subi un harcèlement sexuel… Et la société veut croire ou faire croire que tout va bien, ce qui est pourtant loin d’être le cas. Les femmes sont prisonnières d’un système patriarcal suffocant et les hommes n’en sont que les geôliers. L’idée qui leur est rebutante est que la femme soit autant puissante qu’eux. Ils ne veulent pas qu’elle ait son mot à dire ou qu’elle soit au pouvoir. Ils ne peuvent pas l’accepter, et c’est sans doute la raison qui se cache derrière leur indifférence travestie face aux mouvements féministes. Ils ont alors voulu relever le défi de mettre la société en marche, alors qu’elle était amputée d’un pied, plutôt que d’accorder au « deuxième sexe » la place qu’il méritait. Leur soif de domination, couplée à ce concept obsessionnel du mâle alpha, pensées stériles qui ont abreuvé leur esprit depuis leur naissance, a tissé peu à peu la toile sociale, image qu’ils ont de la société où la femme est un personnage médiocre, sans valeur, au second plan de la scène. Sauf que la fille d’Ève ne reste pas dans les coulisses de l’action. Elle joue un rôle bien plus important que cela. Si certains en sont convaincus, d’autres regardent les choses d’un angle différent, surtout au Moyen-Orient, à croire que les braises de cette vision rétrograde scintillent encore, bien qu’étouffées par le sable de la lutte pour l’égalité des sexes. La cause du féminisme, qui se perpétue depuis des décennies, ne se résoudra que si les hommes comprennent que c’est en se séparant des privilèges liés à leur sexe dit « supérieur » que les femmes auront la place qu’elles méritent dans une société entravée d’inégalités. Si elle tenait les rênes des nations aux côtés de l’homme, le monde serait bien différent. La gent masculine a gouverné seule le monde pendant des siècles et a refusé l’intervention de la femme dans la politique… Résultat? Culte de la violence pour aboutir à une solution, des hommes qui s’entretuent pour, au fond, rien qui en vaille la peine, sang, guerres, mort, faillite, dégâts incommensurables. Il va sans dire que notre monde serait plus serein, voire plus proche du parfait, si les portes des affaires internationales, politiques, économiques et sociales étaient grandes ouvertes aux femmes. Mais pour l’unique fait de bénéficier des mêmes droits que leurs homologues, elles ont combattu trop longtemps seules. Le flambeau a été légué à plusieurs femmes au cours des siècles. D’Olympe de Gouges et Angela Davis à Hoda Chaaraoui et Nawal el-Saadawi, en passant par Mary Wollstonecraft et Louise Weiss, la conquête des droits de la femme a été laborieuse, ponctuée de batailles ferventes, d’idées révolutionnaires et confrontées parfois au refus radical de la gent masculine. Le combat de ces militantes n’était pas vain ; grâce à elles, la société s’est muée en un forum aux allures d’équité, où dialoguent respect, fraternité et égalité des sexes. Sauf que le monde que je dépeins serait idyllique, trop juste pour être vrai. La réalité est bien plus dure que cela. Toutes ces valeurs que je croyais universelles résonnent désormais comme des slogans creux qui, dénués de sens, ont été l’ultime moyen prisé par les garants du système patriarcal pour mystifier les foules et simuler des vents du changement. Malgré le combat de ces héroïnes qui, armées de courage, se sont révoltées contre le système, la balance de Thémis n’est toujours pas impartiale. L’injustice sévit et les disparités semblent irrémédiables. Outre le sexisme qui lacère leur dignité, les femmes sont victimes de ce que l’on appelle l’effet Matilda. Certains hommes ont eu l’audace d’usurper les exploits de la femme, s’appropriant leurs prouesse et taisant leurs voix. À titre d’exemple, c’est une femme qui a découvert la fission nucléaire, Lise Meitner. Mais pendant des décennies, elle a été attribuée à deux hommes, Otto Hahn et son assistant Fritz Strassmann. En 1923, elle découvre la transition non radiative qui sera pourtant nommée « effet Auger » en l’honneur de Pierre Auger, un scientifique français qui fera cette découverte… deux ans après elle. Si l’on vous demande : à qui doit-on le décèlement de la structure de l’ADN? vous répondrez assez machinalement : Watson et Crick. Pourtant, l’auteur de ce tournant décisif en biologie est une femme, et il s’agit de Rosalind Franklin. Spoliée par ses confrères, elle n’a jamais reçu les crédits de ce fameux cliché 51. Et si l’on évoquait Cecilia Payne-Gaposchkin devant vous, vous ne prêteriez probablement pas attention à son nom, qui passerait alors inaperçu. Pourtant, la science lui doit la découverte de la composition des étoiles, fondamentale en astronomie. Le professeur Henry Russell la dissuade de publier ses résultats, qu’il qualifie de « clairement impossibles », convaincu qu’elle a tort. Mais quatre ans plus tard, ce même Henry Russell arrive aux mêmes conclusions qu’elle et comprend qu’elle avait raison.

Ce sont de brefs exemples parmi des centaines où les hommes se sont octroyé les mérites du génie de leurs collègues féminines. L’effet Matilda met en lumière l’injustice qui touche ces femmes-là, qui sont toutes des pionnières ayant largement contribué aux progrès de la science, mais qui sont restées dans l’ombre et ont été sommées de se murer dans le silence. La loi de l’omerta doit être abrogée. Je pense que les femmes en ont assez. Le parfum du système patriarcal est devenu irrespirable. Sa fumée âcre s’engouffre pourtant en tout lieu, que ce soit dans la sphère familiale ou dans le milieu du travail, ou encore dans les rues et les places publiques. Il n’est un secret pour personne que la société aujourd’hui est aussi fragile qu’un château de cartes. Son équilibre est menacé par ce système qui creuse des inégalités immenses entre les deux sexes. Le pire, c’est que l’on s’adapte à l’erreur au lieu de la corriger. Le recours à l’éducation est ici primordial.

La femme a été longtemps enfermée dans des clichés tantôt séduisants, tels que l’image de la femme charmante, sa nudité ensorcelante et son regard captivant, tantôt dégradants, comme sa fonction qui se restreint à faire la cuisine et à s’occuper des enfants. Cependant, la femme contemporaine est loin de ces clichés. S’émancipant de ce modèle imposé pour acquérir sa propre identité, elle défie le statu quo et brise les standards. Créature unique, jugée la plus belle que Dieu ait pu créer, elle a plus d’une corde à son arc. Elle incarne la force d’une révolution mêlée à la délicatesse maternelle. Meneuse, elle orchestre de l’aube au crépuscule la vie des autres et la sienne. J’appelle féminité ce don incroyable de dompter le monde sans parler fort ni prendre toute la place, cette corde qui vibre à son approche, cette oreille tendue au-delà des mots, cet éveil subtil des sens, cette poésie d’être, cette puissance qui émane de la douceur, cette aura teintée de liberté, pétrie de sacrifice et nacrée de maturité qui se dégage d’elle en un seul geste.

J’appelle femme la figure de proue du changement.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Si le monde entier se réduisait à un cadavre et si l’on décidait d’en faire une autopsie, on lui diagnostiquerait bien des maux... Le plus visible d’entre eux serait peut-être ce déséquilibre entre l’homme et la femme, cette discrimination inique qui handicape la société et endigue son évolution. Je pense qu’il est obscène d’aborder la cause de l’égalité des sexes au...

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