
Le chef du courant du Futur Saad Hariri, lors de la réunion de son groupe parlementaire. Photo Dalati et Nohra
Si la machine s’est effectivement mise en marche depuis le retour de Saad Hariri des Émirats arabes unis, ce n’est pas tant pour trouver une issue au blocage de la formation du cabinet, semble-t-il, que pour gagner du temps et réfléchir à une alternative plus radicale qui commencerait par une récusation du Premier ministre désigné.
Le temps de réflexion que les deux parties se sont accordé ne serait donc pas pour répondre à l’intercession du président du Parlement Nabih Berry, qui a tenté lundi une ultime médiation entre Baabda et la maison du Centre. Mais tout simplement pour mieux définir les contours de la période à venir.
Même si le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a réitéré hier son soutien au Premier ministre désigné qu’il affirme souhaiter, toujours et en dépit de tout, voir poursuivre sa mission, il apparaît de plus en plus clairement que l’objectif ultime du camp aouniste est de pousser lentement et sûrement M. Hariri vers la sortie, mais sans avoir à en assumer la responsabilité.
C’est peut-être sous cet angle que l’on peut interpréter les tentatives de M. Bassil d’édifier un plan B qui consisterait à envisager, en amont, un remplaçant au Premier ministre désigné... « au cas où ».
Selon des proches du Parti socialiste progressiste, informations corroborées par des sources diplomatiques arabes, le chef du CPL aurait récemment pris contact avec au moins trois personnalités sunnites : le président du comité scientifique pour la vaccination anti-Covid Abdel Rahman Bizri, le député de Tripoli Fayçal Karamé et Jawad Adra, dont l’épouse Zeina Acar est actuellement ministre sortante de la Défense. C’est un véritable hommage qu’a d’ailleurs adressé hier Gebran Bassil à Fayçal Karamé, à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de son oncle Rachid Karamé, assassiné en juin 1987.
« C’était l’homme du pacte national par excellence, celui qui ne marginalisait aucune composante de la société. Une philosophie que suit fidèlement aujourd’hui son neveu », a-t-il dit dans ce qui a été considéré comme une pique dirigée contre Saad Hariri.
Dans son discours, le chef du CPL s’est évertué à donner l’impression de celui qui continue de tendre la main en laissant la porte ouverte à une solution. C’est ainsi qu’il a évoqué la possibilité d’une conférence de dialogue à Baabda, si M. Hariri ne se décidait pas à consentir un compromis d’ici à la fin de la semaine. Si ce dernier devait s’abstenir de prendre part au dialogue, au moins les responsabilités du blocage seront clairement pointées du doigt, a-t-il laissé entendre. Dans ce cas de figure, il n’hésiterait pas à avoir recours à d’autres « moyens de pression » ou à lancer une « nouvelle initiative », a ajouté le chef du CPL.
S’octroyant le beau rôle, il a indiqué qu’il ferait tout pour « faciliter » la formation du cabinet, tout en martelant l’idée que son camp a déjà fait beaucoup de concessions. Comprendre : ce n’est pas le cas de Saad Hariri. Sa formation, a-t-il assuré, continuera à « démentir tous les prétextes » empêchant la formation du gouvernement, comme celui d’une réclamation du tiers de blocage, soulignant que de telles excuses étaient « fabriquées » pour ne pas avoir à mettre sur pied la nouvelle équipe ministérielle.
La réaction du courant du Futur ne s’est pas fait attendre. « À écouter les propos de Gebran Bassil, on devine sans peine les esquisses de cette danse dangereuse qu’il exécute au bord du gouffre », note un communiqué au vitriol publié par la formation haririenne. Le texte évoque un « marécage politique » géré par M. Bassil, « le président de l’ombre », et parrainé par son beau-père, dans lequel sont jetés les Libanais.
Le secrétaire général du courant du Futur Ahmad Hariri a pris le relais en initiant l’escalade verbale. Dans un tweet publié en soirée, il a accusé le camp aouniste de « cumuler les échecs » et « d’allumer un foyer d’incendie après l’autre ». Le porte-parole du courant du Futur Hussein el-Wajeh lui a emboîté le pas en publiant un hashtag intitulé « le président de l’enfer », en allusion à Michel Aoun.
Lors de la réunion des membres du groupe parlementaire du Futur, Saad Hariri aurait affirmé aux députés présents que « rien ne va ». Il a également indiqué qu’il n’était aucunement disposé à lâcher du lest sur la question de la nomination de deux ministres chrétiens, ou à accepter d’accorder de manière explicite ou dissimulée le tiers de blocage au camp du président. En bref, Saad Hariri n’admettra nullement que l’expérience de 2011, lorsqu’il a été acculé à la démission, puisse se renouveler. À l’époque, les ministres du 8 Mars et des aounistes avaient collectivement présenté leur démission, alors qu’il se trouvait en visite à Washington. Dans les milieux du courant du Futur, on estime que l’éventualité d’une récusation de M. Hariri serait liée à une démission collective du Parlement des députés de la formation.
Selon la source proche du PSP, M. Hariri pourrait finir par rendre son tablier, mais uniquement dans la perspective d’un gouvernement de transition chargé d’organiser les législatives dont la tenue pourrait être accélérée par une démission collective des députés. Sauf que, précise la source, le courant du Futur n’acceptera personne d’autre que Tammam Salam qui serait alors suggéré par le club des anciens Premiers ministres sunnites pour présider un tel cabinet.
Selon un député du même groupe parlementaire, l’impasse est telle qu’il n’y a pas lieu de distiller ce climat d’optimisme comme l’ont répercuté certains médias. D’ailleurs, les informations au sujet de la rencontre qui s’est tenue entre MM. Berry et Hariri lundi à Aïn el-Tiné n’augurent aucune percée, encore moins une volonté de consentir à une quelconque concession. Devant le président du Parlement, M. Hariri a affirmé sans ambages qu’il n’acceptera pas de se voir interdire la nomination d’un ministre chrétien, selon notre correspondante à Baabda Hoda Chédid.
L’ambiance n’était vraisemblablement pas plus encourageante lors de la réunion tenue en soirée entre Ali Hassan Khalil, bras droit de Nabih Berry, Hussein Khalil, conseiller politique du secrétaire général du Hezbollah, Wafic Safa, haut responsable au sein du parti chiite, et Gebran Bassil, au domicile de ce dernier lundi soir, à en croire des sources proches de la réunion, au cours de laquelle les dissensions étaient perceptibles, notamment autour de la répartition des portefeuilles.
Ce sont autant de signes d’une impasse qui perdure que M. Bassil tout comme M. Hariri tentent de camoufler en s’accusant mutuellement de rigidité.
Les dés sont donc jetés et la mascarade semble se poursuivre inlassablement. L’enjeu n’est plus tant celui qui accepterait de faire des compromis que de savoir quel camp, au final, gagnera cette guerre de communication et s’en sortira avec le moins de dégâts possible aux yeux de l’opinion publique.
Si la machine s’est effectivement mise en marche depuis le retour de Saad Hariri des Émirats arabes unis, ce n’est pas tant pour trouver une issue au blocage de la formation du cabinet, semble-t-il, que pour gagner du temps et réfléchir à une alternative plus radicale qui commencerait par une récusation du Premier ministre désigné.Le temps de réflexion que les deux parties se sont...
commentaires (14)
Demandons à Macron de choisir les deux ministres en question, enfin !! Et qu’on en finisse de ces sinistres zombies ambulants,,
Wow
15 h 05, le 02 juin 2021