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Culture - Exposition

La guerre civile libanaise transposée au cœur de Ménilmontant

À travers différents médias, six artistes libanais proposent, dans la galerie Ménil’8 à Paris, un angle esthétique novateur sur l’histoire de leur pays.

La guerre civile libanaise transposée au cœur de Ménilmontant

Photo tirée du documentaire de Dalia Khamissy qui réunit des témoignages des familles qui recherchent toujours les disparus de la guerre civile libanaise. Photo DR

Regards sur la guerre civile est une exposition collective présentée au public jusqu’au 6 juin, dans la galerie Ménil’8, à Paris. Deux artistes libanaises sont à l’origine de ce projet : une peintre et médiatrice artistique, Joëlle Dagher, et une céramiste et designer, Johanna Saadé. Cette exposition était à l’origine prévue pour mai 2020, dans le cadre d’un workshop d’art-thérapie, à l’Inecat (Institut national d’expression de création d’art et transformation), sur le thème des blessures de l’histoire. Mais comme tout le reste des événements de cette année déceptive, des réajustements ont été nécessaires et les deux programmes ont dû être menés séparément.

« Nous sommes un groupe d’artistes et d’amis, qui partageons les mêmes valeurs. À la suite du projet qu’Armand Volkas a mené dans le cadre du workshop de drama-thérapie, nous avons décidé de nous réunir autour de cette exposition et d’exprimer chacun à notre manière l’impact de notre vécu de la guerre. Nous voulons proposer au spectateur, à travers nos œuvres, un moment d’immersion, dans nos expériences diverses », précise Johanna Saadé, qui insiste sur ses difficultés à appréhender cette guerre et sa mémoire. « Elle nous a été imposée ; et l’expression artistique a été notre unique arme : l’art est la manifestation consciente ou inconsciente de ce que nous traversons. Il nous permet d’évacuer nos ressentis et nos blessures refoulées. Dans notre culture, nous avons tendance à enfouir le mal, qui finit par ressurgir, et qui s’invite dans nos œuvres. Aujourd’hui réunies, elles forment un contraste entre la douceur d’une nature picturale et la brutalité des matières, que ce soit par le biais de la peinture, de la photo, de la sculpture, ou d’une déambulation à travers son et vidéo. Ce corpus incarne des souvenirs redevenus actuels », poursuit Joëlle Dagher.

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Si Mahmoud Akhal a choisi d’oublier les stigmates de la guerre dans ses photographies, en mettant en avant la beauté de son pays d’origine, les sculptures de Léa Elmetni tissent une narration antithétique. En effet, celle-ci traduit à travers ses sculptures en argile des émotions fortes refoulées, auxquelles elle redonne toute leur place. Le documentaire de Dalia Khamissy, The missing of Lebanon, poursuit cette exploration des ténèbres, en réunissant des témoignages du parcours chaotique des familles qui recherchent toujours les disparus de la guerre civile libanaise : c’est un silence assourdissant que donne à entendre l’artiste. L’approche de Mahmoud Halabi est plus intimiste : il travaille la toile au corps, comme un champ de bataille, en proposant le portrait d’êtres en proie à la peur et l’angoisse, face à la violence qui les entoure. Quant à Johanna Saadé, c’est à travers son travail de l’argile qu’elle tend à matérialiser les traumatismes de sa jeunesse, tout en dénonçant les clichés de la société dans laquelle elle a grandi. Enfin, c’est sur le principe d’une perpétuelle métamorphose que semblent se déployer les œuvres de Joëlle Dagher, dont les peintures, aux techniques mixtes, juxtaposent des matières brutes et d’autres plus raffinées. Dans cette recherche d’une matière constituée de contrastes, l’artiste semble opérer un processus de construction et de déconstruction permanent, aux allures allégoriques dans cette lecture de la guerre. Ainsi, « la matière s’impose et devient maîtresse de son sort », commente sobrement l’artiste, pour qui l’expérience de la destruction invite à une redéfinition de la création artistique.

Une sculpture en argile de Joanna Saadé. Photo DR

« Les fantômes vivent en nous »

La galerie Ménil’8 accueillera, à l’occasion de cette exposition, la romancière Dima Abdallah qui a déjà reçu de multiples récompenses avec son premier roman, Mauvaises herbes (Sabine Wespieser, 2020). Vendredi 4 juin, à 19 heures, l’autrice proposera une lecture d’extraits de son texte, construit autour d’une enfance aigre-douce au cœur de la guerre libanaise. « Cette exposition a lieu dans mon quartier, y participer me tient à cœur. Vendredi, je lirai un des chapitres de mon roman. Nous sommes en 2021, et nous n’avons pas surmonté grand-chose. Nous sommes en 2021, et 1975 c’était hier. Nous sommes en 2021, et les 200 000 corps n’ont jamais été enterrés. Nous sommes en 2021, et les fantômes vivent en nous tous les jours. Les souvenirs sont intacts, les odeurs de poudre sont intactes, la peur est intacte. La mémoire ne veut rien savoir de notre désir d’oublier un peu, de passer à autre chose. Plus que jamais, aujourd’hui, le pays nous hurle ses traumatismes, nos traumatismes », confie celle qui revient tout juste du festival du premier roman à Chambéry. Selon Dima Abdallah, c’est autour de cette mémoire que la création artistique semble prendre tout son sens. « On me demande souvent si je vis aujourd’hui encore comme une enfant de la guerre civile, ou si je suis en paix avec cette mémoire. Je réponds toujours que chaque jour, chaque minute, chaque seconde, je suis une enfant de la guerre. Une enfant qui n’a rien connu d’autre. L’enfant de la guerre que je suis ira vendredi rue Boyer dire qu’elle n’est pas guérie, mais que dans l’art et la littérature, l’absurde se meurt un peu, et la révolte se dit. À la manière des mauvaises herbes, nous repousserons, nous, artistes et auteurs, à l’infini, pour repeupler d’arbres immenses les forêts brûlées. »

Galerie Ménil’8, 8 rue Boyer, XXe arrondissement à Paris. Jusqu’au 6 juin.

Regards sur la guerre civile est une exposition collective présentée au public jusqu’au 6 juin, dans la galerie Ménil’8, à Paris. Deux artistes libanaises sont à l’origine de ce projet : une peintre et médiatrice artistique, Joëlle Dagher, et une céramiste et designer, Johanna Saadé. Cette exposition était à l’origine prévue pour mai 2020, dans le cadre d’un workshop...

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