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Société - Ordre des ingénieurs

Face au report indéfini des élections, Jad Tabet menace de claquer la porte

Prévue ce dimanche, l’échéance électorale a été ajournée sine die.

Face au report indéfini des élections, Jad Tabet menace de claquer la porte

Jad Tabet, au cours de sa conférence de presse, hier. Photo ANI

Au rythme d’échéances démocratiques bafouées, le sabordage des institutions semble se poursuivre de manière systématique : les élections au sein de l’ordre des ingénieurs prévues ce dimanche ont été ajournées sine die. Ce qui a poussé le président du conseil de l’ordre, Jad Tabet, à menacer hier de démissionner si la paralysie continue à s’emparer de l’organisme dont il a la charge. Prévu initialement en mars 2020, le scrutin avait été reporté à maintes reprises, sous divers prétextes. Responsables de la dernière entrave : les membres du conseil affiliés au Courant patriotique libre (CPL), au mouvement Amal et au Hezbollah, qui ont rejeté le plan sanitaire présenté par M. Tabet, pourtant établi en accord avec la Croix-Rouge libanaise (CRL) et approuvé par la Commission nationale de suivi des mesures préventives contre le Covid-19. Le projet n’ayant pas obtenu une majorité des voix au sein du conseil, celui-ci n’a pu vérifier la liste des candidats, qui selon les règles aurait dû être finalisée au plus tard mercredi pour permettre la tenue des élections. Selon de nombreux observateurs, le boycottage du plan s’inscrit dans le sillage des ajournements cumulés en raison de la crainte des partisans de se voir défaits au profit d’indépendants issus du mouvement du 17 octobre.

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Élu en 2017 en tant qu’indépendant, le président du conseil de l’ordre a appelé hier à la démission des deux tiers des 16 membres qui le composent, en vue de procéder à l’élection d’une nouvelle équipe, comme la loi le stipule en pareil cas. Au cours d’une conférence de presse tenue au siège de l’ordre, il a indiqué que durant la période de vacance, la loi l’autorise à diriger seul l’organisme pendant deux mois et à appeler à la tenue d’élections dans le même temps. M. Tabet a déclaré qu’en l’absence de réponse à son appel au désistement des membres du conseil dans les prochaines semaines, il sera conduit à démissionner lui-même.

Le conseil, qui se renouvelle normalement par tiers, se compose actuellement d’un seul autre membre indépendant et de quatorze partisans. Trois membres sont affiliés au CPL, deux au Hezbollah, deux au mouvement Amal, trois aux Forces libanaises (FL), trois au courant du Futur et un au Parti socialiste progressiste (PSP). « Je suis pris entre deux feux », déplore le président de l’ordre via L’Orient-Le Jour, évoquant « de graves tiraillements politiques ». « Le report des élections est dû à la pleine volonté du conseil et non à des causes extérieures », regrette-t-il, martelant qu’il refuse d’être « un faux témoin de la violation du droit démocratique des ingénieurs », en référence au droit au vote.

Mainmise

La réunion de mercredi avait été précédée de convocations à d’autres séances (dont la dernière était prévue lundi) qui n’ont pu se tenir, faute de quorum. Joint par L’OLJ, le membre affilié au PSP, Firas Bou Diab, indique n’avoir pas lui-même assisté à la réunion de lundi parce que, constatant que les sept membres du CPL et du tandem chiite entendaient la boycotter, il n’a pas voulu qu’elle se tienne sur base d’un quorum étriqué. Jouant les go-between, il a donc œuvré pendant 48 heures, en prélude à la séance de mercredi, afin de les convaincre d’y participer.

En concomitance avec la séance qui s’est prolongée dans une ambiance houleuse jusqu’à une heure tardive de la soirée du mercredi, le Rassemblement des ingénieurs indépendants, la liste « L’ordre se révolte » et d’autres groupes d’ingénieurs nés dans le sillage du mouvement du 17 octobre ont organisé un sit-in pour exprimer leur refus d’un nouvel ajournement des élections et réclamer la levée de la mainmise des partis sur les questions électorales.

Les débats au cours de la séance n’ont donc pas conduit à une entente, les membres du conseil accusés par les ingénieurs révolutionnaires de saboter le scrutin ayant ainsi invoqué la défaillance du plan sanitaire dressé par Jad Tabet. Deux membres du CPL (le troisième s’est absenté) ainsi que les quatre membres du tandem chiite se sont prononcés contre ce plan. En face, les six partisans des FL et du courant du Futur se sont exprimés en sa faveur. Les trois autres membres présents, Jad Tabet, Firas Bou Diab et l’indépendant Joseph Maalouf se sont déclarés neutres. Selon plusieurs observateurs, si M. Tabet avait assumé la responsabilité du plan dont il est l’auteur, celui-ci aurait été adopté, la liste des candidats aurait été finalisée et l’échéance électorale préservée. « Jad Tabet a hésité et n’a pas tranché », note M. Bou Diab, assurant qu’il se serait lui-même exprimé en faveur du plan si le président du conseil en avait assumé la responsabilité. La défaillance de M. Tabet est également critiquée par M. Maalouf. « Je ne suis pas médecin pour savoir si le plan de prévention est de nature à protéger contre la contamination au coronavirus », affirme-t-il à L’OLJ, soulignant s’être abstenu de l’approuver après le renoncement du président du conseil de l’ordre. Pour M. Maalouf, ce dernier aurait dû le présenter au conseil avant de l’adresser à la Commission nationale de suivi des mesures préventives. Selon lui, le sujet aurait été débattu et on aurait maintenu le rendez-vous électoral après avoir écarté le motif d’empêchement invoqué.

Contacté par notre journal, Jean-Pierre Jabre, membre du CPL et secrétaire général du conseil de l’ordre, accuse dans ce cadre le président du conseil de l’ordre de ne pas s’être concerté avec lui au préalable et de n’avoir pas informé à l’avance le conseil de la teneur du plan d’organisation et de l’entente avec la CRL. Jad Tabet répond qu’il a agi dans le cadre de ses prérogatives. « Je ne suis pas tenu de présenter tous les détails des dispositions techniques au conseil de l’ordre. Celui-ci prend des décisions et c’est moi qui les applique. »

Pierre Geara, ancien membre du conseil de l’ordre et secrétaire général du Parti national libéral (PNL), qui soutient les candidats de la thaoura, estime que les mesures adoptées par M. Tabet sont correctes. « Les élections étaient prévues dans un immense parking extérieur, doté de deux portes d’entrée et de sortie », note-t-il. « Il s’agit d’un parking de 2 800 mètres carrés dans lequel on voulait accueillir 12 000 électeurs à travers des portes d’un mètre et demi de large », rétorque M. Jabre.

Non à des élections décentralisées

Sur un autre plan, Jad Tabet révèle que certains membres avaient demandé que les élections aient lieu lorsque tous les ingénieurs auront été vaccinés. D’autres, déplore-t-il, ont réclamé que le scrutin soit organisé dans les quatre centres que possède l’organisme à Dbayé, Saïda, Nabatiyé et Zahlé, plutôt qu’uniquement au siège de l’ordre à Beyrouth. « Il est pratiquement impossible d’organiser les élections à travers le territoire, car il est très difficile d’en assurer le contrôle et d’en garantir la transparence », estime M. Tabet. « L’option avait été étudiée en 2011, mais s’est avérée irréalisable », indique-t-il, évoquant « une insuffisance de personnel et de moyens électroniques indispensables tant au vote qu’au dépouillement, ainsi que les risques encourus lors du transport des urnes jusqu’au siège de l’ordre ». « En outre, la Commission de supervision des élections est, selon la loi, composée du président et de deux membres du conseil de l’ordre. Comment pourrait-on gérer à trois des élections qui se tiendraient dans cinq centres? » s’interroge-t-il. À l’opposé, Jean-Pierre Jabre loue les avantages d’élections décentralisées : « Au lieu de concentrer en un seul lieu 12 000 ingénieurs, leur nombre serait réparti dans les régions. » Ce à quoi Pierre Geara réplique qu’« adopter une telle solution revient à risquer que les électeurs soient soumis à des pressions ou puissent bénéficier de clientélisme ».

Au rythme d’échéances démocratiques bafouées, le sabordage des institutions semble se poursuivre de manière systématique : les élections au sein de l’ordre des ingénieurs prévues ce dimanche ont été ajournées sine die. Ce qui a poussé le président du conseil de l’ordre, Jad Tabet, à menacer hier de démissionner si la paralysie continue à s’emparer de l’organisme...

commentaires (2)

Je me souviens du "père des ingénieurs Libanais", Joseph Naggear, premier polytechnicien du "monde arabe" et rédacteur des statuts de la Ligue arabe; sans l'un des meilleurs ministres que le Liban n'ait jamais eu. Il aurait été très étonné de constater à quel point toutes les institutions politiques, culturelles, scientifiques... Et même religieuses sont gangrènées par la politique, en fait par des clans et des mafias devenus suicidaires et cruels. Ce serait drôle si ce n'était pas tragique. Il paraît que tout est politique, encore faut-il s'entendre sur ce terme.

Nicolas ZAHAR

09 h 08, le 21 mai 2021

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Commentaires (2)

  • Je me souviens du "père des ingénieurs Libanais", Joseph Naggear, premier polytechnicien du "monde arabe" et rédacteur des statuts de la Ligue arabe; sans l'un des meilleurs ministres que le Liban n'ait jamais eu. Il aurait été très étonné de constater à quel point toutes les institutions politiques, culturelles, scientifiques... Et même religieuses sont gangrènées par la politique, en fait par des clans et des mafias devenus suicidaires et cruels. Ce serait drôle si ce n'était pas tragique. Il paraît que tout est politique, encore faut-il s'entendre sur ce terme.

    Nicolas ZAHAR

    09 h 08, le 21 mai 2021

  • Ecœurant! L'Ordre des Ingénieurs et Architectes est-il un organisme politique? Si oui, je ne voterai jamais plus pour personne!

    Georges MELKI

    06 h 53, le 21 mai 2021

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