Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La mode

« Kinamania » , la chaussure-monde de Kristina Zouein

Kristina Zouein a découvert sa vocation pour l’accessoire en déclinant à 23 ans une petite ligne de ceintures inspirée d’une série que lui avait offerte une grand-mère « très coquette ». Le succès lui ouvre les portes de l’atelier Johnny Farah. Son parcours jusqu’à la création de la griffe « Kinamania » passe par « une dynamique de recherche d’histoires et de symboliques ». Rencontre virtuelle avec une créatrice-conteuse dont chaque objet est un récit.

« Kinamania » , la chaussure-monde de Kristina Zouein

Kristina Zouein devant son espace éphémère à l’Auberge espagnole, Bruxelles. Photo DR

Il pleut sur Bruxelles. Chaussée du Havre, pourtant, au 331, à un jet de pierre de la place Jourdan, Kristina Zouein fait soleil. À l’Auberge espagnole, un espace que la brindille blonde occupe depuis le 4 mai, et jusqu’au 24 juillet, se crée autour de la chaussure et de la maroquinerie un véritable foyer de culture dynamique, chaleureux, avec des événements tous les vendredis soir dédiés tour à tour à la musique ou au cinéma. Kristina Zouein y anime surtout, à l’arrière-boutique, un atelier de cuir où chacun apprend à créer et personnaliser son propre sac. Ce pop-up store tout en lumière douce lui a été prêté grâce à une initiative de l’organisme gouvernemental Hub Brussels qui soutient l’entrepreneuriat au féminin. Elle entend bien en tirer le meilleur parti, tant pour sa marque Kinamania que pour offrir au public, naturellement dans le respect des consignes sanitaires, un espace de convivialité dont la pandémie l’a trop longtemps privé. « L’Auberge espagnole est un incubateur commercial dont le but est de permettre à des projets comme le mien de s’essayer en boutique avant de se lancer dans un commerce en propre qui permettrait aussi de créer des emplois », explique la créatrice.

Ballerines chinoises et derbies Kinamania. Photo DR

Éthique, broderies cérémoniales et savoir-faire patrimoniaux

Dans la vidéo qu’on peut visionner sur le compte Instagram de sa marque @kinamania.atelier, la créatrice maroquinière invite la caméra à l’intérieur et dévoile sur le mode d’une visite guidée chaque ligne de la collection et l’histoire qui la sous-tend. On y apprend déjà que l’origine du nom Kinamania remonte aux sandales traditionnelles des Baléares, les kinas, appelées majorquinas à Majorque et minorquinas à Minorque. « Je pensais vraiment que je ferai des sandales toute ma vie », confie Kristina qui, pourtant, après des études en gestion et marketing à l’AUB, semblait se destiner à une tout autre carrière. Avec leur forme simple et leur bande large, ces kinas se prêtent à une formidable liberté d’interprétation. La créatrice les transforme littéralement en un espace d’expression miniature pour divers artistes, artisans et ONG. Flamboyantes, elles sont interprétées en broderies cérémoniales, entièrement réalisées à la main avec des insertions de perles, par un atelier de costumes pour matador. Une manière de mettre à profit la beauté des savoir-faire autour de la tauromachie en les détournant de la cruauté des arènes. Une autre ligne, avec ses modèles Big Fish et Home Sweet Home, est également brodée main par des artisanes de l’ONG The Ana Collection qui procure du travail aux réfugiées syriennes pour leur permettre de subvenir aux besoins de leurs familles. On verra aussi les kinas ornées du traditionnel point de croix palestinien en collaboration avec l’association Inaash qui, elle, enrôle depuis les années 1960 des brodeuses des camps de réfugiés palestiniens non seulement pour leur procurer du travail, mais également pour préserver leur patrimoine et sa transmission.

Lire aussi

« HH The Brand » lance « Collection Four »  : âge d’or et farniente

Cet esprit éthique de la marque s’applique non seulement au travail équitable, mais également au matériau : « Kinamania ne travaille qu’avec des peaux d’animaux élevés en milieu agricole : bovins, ovins et caprins. Il faut savoir que 93 % de la valeur d’une vache réside dans sa viande. La valeur de la peau ne représente que 3 % de la valeur monétaire de l’animal. Ce qui veut dire que les animaux domestiques ne sont en aucun cas élevés pour leur peau, bien que les industries de la viande et du cuir aillent de pair. Par ailleurs, les tanneries européennes cherchent à réduire l’empreinte écologique des processus de transformation des peaux animales en cuir, et c’est à celles-ci que nous avons exclusivement recours », souligne Kristina Zouein qui ajoute que sa marque s’inscrit aussi dans un mode de consommation durable selon le principe « make, do and mend », qui correspond globalement à la création d’accessoires réparables, comme les chaussures qu’on peut ressemeler.

Ornement en métal martelé. Photo DR

La derby, nouvelles interprétations et collection cathartique

Kristina Zouein ne fera finalement pas que « des sandales toute sa vie ». Entre celles-ci et une ligne de ballerines inspirées de la ballerine chinoise traditionnelle, elle va s’attaquer à un morceau plus complexe : la derby. Cette chaussure à lacets et empeignes typiquement anglaise va elle aussi se prêter à de nouvelles interprétations, personnalisée pour Kinamania à travers des plis et encoches cousus sellier, un talon un peu décalé, un écart en « V » légèrement orientalisé et des cuirs contrastés entre l’avant et l’arrière. Portant des noms comme Joplin ou Bowie (en version haute), ces modèles rappellent que dans une vie antérieure, la créatrice fut DJette à Beyrouth (De Prague, Kayan) à ses heures et qu’elle ne peut concevoir la vie sans la musique.

Or, la vie n’est jamais dépourvue de surprises. Heureuses ou malheureuses, Kristina les transforme en opportunités, elle qui a été formée aux ateliers du créateur libanais Johnny Farah, lui-même artisan autodidacte, adepte du wabi-sabi japonais qui ne conçoit la beauté qu’imparfaite, impermanente et incomplète. En 2015, elle s’installe à Bruxelles avec son mari qui y est basé. Quelques années plus tard, en 2019, alors qu’elle se lance dans un nouveau projet avec son amie Lara Captan, elle est diagnostiquée d’un cancer du sein. On est en pleine pandémie, et plutôt que de céder à la solitude amplifiée qui se profile dans sa vie, elle va se jeter corps et âme dans une collection cathartique. Lara Captan est une graphiste basée à Amsterdam, créatrice de caractère arabes. Elle va se baser sur le module des racines pour développer une calligraphie autour de mots qui inspirent et font du bien : l’amour, la vie, la tranquillité, le mouvement, la danse… Ces mots « hymne à la vie » vont être gravés au laser sur le cuir d’empeigne d’une collection de 107 pièces en série limitée et numérotée sur la derby Rima. Pourquoi 107 ? « Un matin, je me suis réveillée avec le chiffre 107 en tête. Quelques jours plus tard, ce chiffre m’est réapparu dans un roman. J’ai fait une recherche pour en comprendre la symbolique : 107 est symbole de nouveau départ. Avec cette dernière année de soins contre le cancer, j’ai trouvé que le chiffre ne pouvait être mieux approprié… J’ai pris ça comme un signe de l’au-delà », confie Kristina. Véritables œuvres d’art, ces pièces sont vendues au profit de la fondation belge Fournier-Majoie qui finance la recherche contre le cancer.

La belle histoire de Kinamania, commencée à Beyrouth aux côtés de Johnny Farah, se poursuit en Belgique sans quitter sa base, avec notamment un showroom à Beyrouth tenu par la mère de la créatrice, Élise Zouein, à deux pas de l’ambassade de France. Kristina Zouein poursuit également sa collaboration avec Cynthia Chamat (Boutique Hub, Beyrouth) – « mon ambassadrice », dit-elle. C’est avec elle qu’elle se prépare à lancer une nouvelle collection baptisée Kinamania 961 dont le but est de faire travailler des artisans libanais tout en s’alignant à la réalité du marché. À ceux qui croient qu’on n’emporte pas sa ville aux semelles de ses souliers, il reste à chausser ces Kinamania qui ramènent indéfiniment aux racines tout en parcourant le monde.

Voici le beau film tourné par Jérôme Schlomoff sur la collaboration entre Kristina Zouein et Lara Captan :

Il pleut sur Bruxelles. Chaussée du Havre, pourtant, au 331, à un jet de pierre de la place Jourdan, Kristina Zouein fait soleil. À l’Auberge espagnole, un espace que la brindille blonde occupe depuis le 4 mai, et jusqu’au 24 juillet, se crée autour de la chaussure et de la maroquinerie un véritable foyer de culture dynamique, chaleureux, avec des événements tous les vendredis soir...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut